IL
L’écumeur d’étoiles.
Le Commandant Xéros Malempis, du vaisseau d’exploration scientifique Nimbus III, de la flotte galactique Silnienne s’installa à la console principale de la passerelle.
Une immense vue à 360° de l’espace environnant s’étendait autour du vaste local, sans cesse renouvelée en images de synthèse de toute beauté par les scanners du bord, car les voyageurs spatiaux étaient en vol supraluminique, dans l’hyperespace, et ils n’auraient pu affronter la vue de l’univers en folie tel qu’il était à l’extérieur, sans devenir désaxés. Les filtres des scanners leur permettaient de clairement se situer dans la Galaxie et au dehors, sans risquer de se perdre, et les puissants calculateurs du bord permettaient des plongées et des sorties de l’hyperespace pratiquement sans erreurs de calcul.
Xéros méditait devant la représentation de la Galaxie d’Andromède qui s’agrandissait à vue d’œil, quand une alarme retentit soudain. Un voyant rouge s’alluma sur la console du navigateur, et l’image colorée de rouge d’un objet inconnu, situé sur leur route et dans l’hyperespace parut tout d’un coup sur les écrans. Cela ressemblait à une immense amibe, agitée d’écœurantes palpitations.
Par Zeus, qu’était-ce encore que cela ?
Le fier commandant, orgueil de sa flotte et de l’Empire Silnien, se dressa à demi sur son siège, sa langue bifide pointant entre les crochets à venin cristallins de sa bouche ouverte par la stupeur. Ses yeux d’agate ophidiens se posèrent tour à tour sur les membres de son équipage.
Xéros était certes un Silnien, mais il avait grandi sur Gaïa, dans la colonie silnienne d’Atlantis. Son équipage était composé d’indigènes de ce monde lointain et perdu, mais tous de pays et d’époques différents. Un seul homme de l’équipage était son contemporain, et quel contemporain ! Un esclave affranchi qui faisait horreur à tous les autres Gaïens, surtout ceux des époques situées dans le plus lointain futur.
Xéros s’était attaché à l’esclave affranchi car ce dernier lui avait sauvé la vie, et avait aussi sauvé la couvée de son épouse, la claire et fine Xylonia. Il avait été à son service, en tant qu’esclave pendant plusieurs années, et s’était avéré un remarquable cuisinier. Quand l’esclave l’avait sauvé, Xéros l’avait fait affranchir, et le très moche Barbare avait alors demandé à le suivre dans l’espace, parce qu’il prétendait que plus rien ne le rattachait à son monde.
Xéros avait recruté les autres membres de l’équipage un peu plus tard, et ensuite, ils avaient décollé d’Atlantis, sans trop savoir où ils iraient, juste guidés par la soif d’apprendre.
Le Nimbus III possédait un moteur à gravitation, qui lui permettait de créer son trou de ver particulier dans l’espace, et de transcender ainsi les lois de la physique ordinaire. De cette façon, ils voyageaient bien plus vite que la lumière, sans ressentir les effets désastreux de cette célérité effroyable.
Le Nimbus III était alimenté par les photons des soleils qu’ils croisaient, et par un moteur à fusion et à propulsion magnétohydrodynamique quand ils pénétraient dans l’atmosphère des mondes qu’ils exploraient.
Et, pour pallier tout inconvénient à bord, ils auraient dû embarquer un Sensitif, en cas de défaillance des systèmes. Mais aucun de ces êtres particuliers n’était disponible. Ils s’étaient donc lancés à l’aveuglette, dans l’Univers infini. Et voilà ce qui leur tombait dessus !
Le commandant soupira, retombant mollement dans son fauteuil. Il fit stopper toutes les machines, et ils émergèrent de l’hyperespace. L’amibe géante les suivit. Ils étaient dans le vide intergalactique. Loin de tous. Entre la Voie Lactée et Andromède... Et à la merci de ce truc indescriptible qui palpitait sur le noir de l’espace, et brillait d’un vert fluorescent nauséeux.
Le cauchemar de Niya.
Niya dormait, dans la cabine minuscule attenante à la coquerie. Il rêvait de Délian-Ka, la femme qu’il aimait pardessus tout, et qui ne lui rendait pas son amour, et pour cause ! Ils venaient de deux tribus aux mœurs trop différentes, et, il est vrai qu’il avait conquis la jeune femme d’une manière très contestable qu’elle ne lui avait pas pardonné. Elle l’avait donc mis dehors avec pertes et fracas, et le pauvre gars s’était fait volontairement capturer par les Atlantes, parce qu’il n’avait plus envie de vivre, et que peu lui importait ce qui pouvait lui arriver, du moment que son amour ne voulait pas de lui !
Pour le moment, il revoyait la blonde, claire et étonnante Délian-Ka. Elle était si belle, aux yeux si verts, au si joli sourire, aux hanches ondulantes, et il tendait les bras vers elle, ravi ! Mais une horrible masse verte et gluante s’interposait entre elle et lui, et absorbait la jeune femme ! Il se retrouvait seul, seul face au vide noir de l’espace ! Espace qu’il ne supportait pas de voir, et qu’il tentait d’oublier, au fond de sa cambuse !
Et là, il se retrouvait dans le vide infini, face à quelque chose d’effrayant, aux pensées glaciales, morbides, tout aussi horribles que celles qui émanaient de Taïa-Araakh, le Mauvais Grand Esprit que redoutait son peuple ! Cette chose, dans son âme éperdue, clamait :
«- J’ai faim ! Je vais vous dévorer ! Venez à moi ! Vous êtes ma nourriture ! ! !».
Niya, horrifié, se réveilla d’un coup. Il se retrouva sur sa couchette, dressé sur son séant, trempe de sueur glacée, le souffle court, et tous les poils de son corps hérissés. Mais les pensées n’avaient pas quitté son esprit, qui lui donnaient une affreuse migraine :
«- J’ai faim ! Je vais vous tuer et vous dévorer !».
Niya, terrifié, sortit de sa cabine, en hurlant :
«- Au secours ! Au secours ! IL arrive ! IL va nous tuer ! Nous allons tous mourir ! ! !
- Eh bien ! Qu’est-ce que t’as à gueuler comme ça, le demi gorille ? demanda un immense gars d’origine française, issu du XX° siècle, attrapant le très vilain cuistot au vol !
- Il y a un monstre, là, dehors, et il veut nous tuer ! Je dois voir le commandant ! Par Moïa, laisse-moi passer ! supplia Niya, se dégageant brutalement de l’étreinte du grand gars qui alla dinguer trois mètres plus loin, stupéfié.
- Déconne pas, le cavernos, sinon je te descends ! fit le gars, se remettant sur ses pieds, et brandissant un radiant. Niya stoppa net. Le type avait un regard bizarre, avec un sigle étrange, à la place de l’iris et de la pupille ! ! ! De plus, il parlait avec une voix bizarre.
- Il y a quelque chose dehors, je le sais, je le sens ! insista-t-il.
- Et depuis quand un demi-singe préhistorique se mêlerait d’avoir des talents ? ricana le moderne, fixant avec un insondable mépris l’affreux petit type velu qui lui faisait face.
- J’étais chaman, dans mon clan... Et je sens les choses. Et si je dis qu’il y a quelque chose de dangereux dehors, C’EST QU’IL Y A QUELQUE CHOSE DE DANGEREUX DEHORS ! ET MAINTENANT, TU ME LAISSES PASSER, OU JE CASSE TOUS TES OS UN PAR UN ? ? ? se fâcha le préhistorique, devenant soudain tout pâle, hérissé et grondant ! Guère impressionné, et surtout rassuré par l’arme terrifiante qu’il tenait, le moderne dit, posément :
- Si tu bouges, je te descends ! J’ai jamais pu te piffer, le monstre ! Alors, tu rentres là-dedans, et t’en sors plus, compris ? T’as fait assez peur comme ça à tout le monde, avec ta sale gueule ! ! !
- Écoute, vous êtes tous en danger ! Il faut prévenir le commandant ! Laisse-moi aller, c’est important ! Notre vie à tous en dépend ! Par pitié, laisse-moi passer, je DOIS y aller ! implora Niya, que sa tête faisait horriblement souffrir, sous les coups de boutoir des pensées étrangères.
- Rentre là-dedans, l’affreux ! Et ferme-la ! ! !».
Le moderne braqua son arme sur la large poitrine musclée du préhistorique et l’obligea à reculer jusque dans la coquerie. Quand le pauvre malheureux y pénétra, le moderne verrouilla la porte et la souda, à l’aide d’éclairs qui jaillissaient de ses mains en puissants arcs électriques ! ! ! Les suppliques de Niya se turent, étouffées par l’épaisse porte blindée. Le moderne reprit son poste, ricanant.
La guerre du feu et celle des étoiles ne font pas bon ménage.
Le spationaute ricanait dans son absence de barbe au bon tour qu’il avait joué au macaque. Ce type affreux, personne ne pouvait le voir dans l’équipage. Seul le commandant le traitait avec respect. Comment cet extraterrestre, issu d’une civilisation remarquable, pouvait-il traiter un sauvage pareil avec tant de courtoisie ? « Et pourtant, cet être est mon ennemi ! », susurrait dans sa tête l’entité avec laquelle il communiquait depuis quelques temps...
En plus, l’affreux noiraud semblait porté sur la chose, qui avait eu maille à partir avec plusieurs membres féminins de l’équipage. Il avait reçu de violents soufflets de toute le gent féminine, et s’était donc renfermé dans un sombre mutisme, évitant de côtoyer tout le monde, autant que faire se pouvait. Cela arrangeait l’équipage, qui trouvait que ce hideux spécimen était à lui tout seul un échantillon de ce que l’humanité pouvait présenter de plus dégénéré et mal foutu.
Tous ignoraient qui était réellement Niya, et quel chagrin le rongeait. Et aucun n’avait même tenté de l’approcher ou de simplement parler avec lui. Les femmes qu’il avait tentées d’approcher, il les avait abordées avec douceur et gentillesse, mais son indescriptible aspect avait tout fait capoter et une simple phrase timide était devenue, dans la bouche des filles outrées, une tentative de viol !
Niya s’était plusieurs fois retrouvé aux fers à cause de ça, alors qu’il n’avait rien fait, le malheureux ! À la fin, excédé, il avait demandé à ce qu’on diffusât les films pris par les caméras de sécurité dans les coursives alors qu’il avait abordé les filles.
Ce furent ces films infalsifiables qui prouvèrent son innocence, au grand dépit des filles à qui il faisait horreur. Combien de fois avait-il enduré les réflexions et quolibets cruels de l’équipage en serrant les dents et les poings, les yeux brûlants de larmes ? Quand il n’y tenait plus, il s’en allait, dignement. Mais, une fois dans sa coquerie ou dans sa cabine, il éclatait, cassant tous les objets qui tombaient sous ses mains musculeuses, velues et spatulées.
D’un coup de poing furieux, il avait brisé le miroir de sa cabine, et il avait hurlé à la mort pendant des heures, en proie à une rage et à un chagrin terribles. Il n’avait certes plus aucune attache sur Gaïa, mais méritait-il pour autant de vivre en Enfer ?
Même les tentacules putrides de Taïa-Araakh étaient plus doux que ce qu’il vivait ! Et là, alors que l’homme qu’il avait sauvé une fois, risquait de nouveau la mort, tout comme cet équipage d’imbéciles haïssables, on le traitait comme une quantité négligeable, et on l’humiliait plus que tout ! Et, pire que tout, il ne reverrait jamais Délian-Ka, s’ils mouraient tous ! Un rauque sanglot s’échappa de son poitrail d’aurochs, et des larmes brûlantes roulèrent sur ses joues fuyantes et barbues.
Il serrait les poings à s’en faire saigner les paumes, et se rencogna au pied de la porte soudée, secoué de violents sanglots, réduit à l’impuissance, en proie au désespoir absolu mais aussi à une souffrance mentale épouvantable, générée par les pensées de l’étranger, là, dehors ! La souffrance, trop forte, eut finalement raison de sa résistance. Il sombra.
Où le danger révèle les hommes !
Même toutes machines stoppées, le Nimbus III filait sur son erre, droit vers l’amibe gigantesque qui, maintenant, occupait la moitié de l’écran de proue. Petit à petit, le puissant vaisseau se rapprochait.
Le commandant se secoua de la fascination morbide qui l’anéantissait, et ordonna qu’on fît machine arrière... Las ! Aucune commande ne répondit ! Et sur les écrans, un sigle étrange et inconnu s’afficha... Une sorte d’œil, ou plus exactement plusieurs cercles concentriques dont l’externe s’ornait de trois traits à la base et d’un trait au sommet...
On aurait dit que le vaisseau se rapprochait du phénomène spatial encore plus vite ! C’était pire que de plonger dans une singularité ! C’est alors qu’une autre alarme clignota sur le tableau de bord principal. Une alarme intérieure, cette fois, dans la coursive du pont 4 ! A la coquerie ! Le commandant enclencha la vidéo et le com, et découvrit, sur l’écran, Niya, au milieu de la fumée, qui hurlait :
«- Commandant, sortez-moi de la coquerie ! Il y a un danger, dehors, qui veut tous nous détruire ! Je ne sais pas ce que c’est mais je perçois ses pensées ! Par Moïa, sortez-moi d’ici, je vous en supplie !
- Mais enfin, Niya, tu as fait cramer le repas, ou quoi ? fit le commandant, amusé par cette scène plutôt comique, il fallait l’avouer.
- On m’a enfermé ici, commandant ! Et on a soudé la porte, alors que je voulais vous prévenir qu’un danger nous guettait ! expliqua le brun préhistorique, les yeux brillants comme des escarboucles au fond de ses grandes orbites.
- Qui t’a enfermé ? insista le commandant, stupéfié.
- Peu importe ! Je le liquiderai plus tard ! J’ai juste fait un petit feu pour vous alerter, mais j’ai besoin d’aide pour sortir d’ici ! La porte est verrouillée et soudée ! Je suis peut-être très fort, mais là, même avec toute la meilleure volonté du monde, je ne peux rien faire ! Et si vous voulez que je vous aide à affronter ce monstre, dehors, j’ai besoin d’être sur la passerelle, avec vous ! Dépêchez-vous, car ses ondes mentales me vrillent le cerveau, et c’est intolérable ! Je suis le seul qui perçoit cette créature, mais sa puissance mentale est telle qu’elle pourrait bien me tuer ! Et en plus, ce n’est pas une chose naturelle ! Cette chose semble artificielle ! Hâtez-vous de me sortir de là ! Quelque chose doit être fait, et je le ferai ! dit Niya, reprenant son sang-froid, après avoir éteint l’incendie qu’il avait déclenché d’une casserole d’eau froide.
- Mais, Niya, c’est le travail d’un Sensitif ! fit le Silnien, étonné.
- Je suis chaman, chez moi ! Et la plupart des Sensitifs, du moins ceux de Gaïa, sont des chamans issus de la plupart des tribus de Barbares, comme moi ! Je suis le seul à pouvoir lutter contre ce monstre. Laissez-moi vous aider ! Sortez-moi de là ! dit Niya, portant à son crâne énorme et bas une lourde main crispée par la douleur.
- Je viens te délivrer !».
Cependant que le commandant allait chercher le préhistorique dans les profondeurs du vaisseau, le second de l’équipage déclara le Sauve qui peut ! et tous les spationautes quittèrent le navire, à bord des chaloupes de secours !
Peu importaient ce fou de commandant et cet abruti de Néanderthal !
Le commandant parvint enfin devant la coquerie, ordonna à Niya de reculer, et fit sauter la porte blindée avec un désintégrateur.
Niya et lui revinrent sur la passerelle à présent déserte, et virent, horrifiés, les chaloupes se faire happer, une par une, par le monstre spatial.
Les jurons et hurlements de l’équipage lâche et félon furent un baume au cœur de Niya, qui déclara, cruel :
«- Des mauviettes ! Et je me suis rendu malade à cause de ces mauviettes ! N’auraient même pas été capables de rattraper un aurochs à la course, ces minables ! Ni même d’étriper et de dépecer un saïga pour leur dîner ! Bande de chochottes ! Je ne sais pas ce qui me retient de vous y laisser, là-dedans, tiens ! grondait-il, l’air mauvais, sa grande figure camuse et hirsute éclairée par la lueur fluorescente de l’amibe, sur l’écran.
- Niya, je comprends que tu leur en veuilles, mais ce sont, eux aussi, mes hommes ! Nous ne pouvons pas les laisser. Je vais mettre les armes en fonctionnement et régler leur tir, toi, tu tenteras, pendant ce temps, de rentrer en contact avec cette créature immonde ! dit le commandant.
- À vos ordres !».
Où le tas de muscles poilu montre qu’il a aussi un cerveau !
Assis en tailleur au centre de la passerelle, yeux clos, Niya respirait profondément, se mettant petit à petit dans l’état mental de transe qui lui permettait de communiquer avec les Esprits et, en général, de soigner les siens.
Mais là, c’était d’un tout autre exercice qu’il s’agissait ! Là, c’était un combat de neurone à neurone, de synapses complexes contre synapses complexes ! Et cet être primitif méprisé de tous, seul capable, par un étrange caprice de l’Évolution et de la Nature de percevoir les ondes mentales de l’entité étrangère, préférait mourir en combattant, même quelque chose d’inconnu, que de rester sans rien faire.
C’était d’une folle témérité, mais le jeune homme n’avait plus rien à perdre ! Il ne supportait plus d’être considéré comme un sous-être par les autres membres de l’équipage, et là, il voulait prouver sa valeur. Pour gagner un peu de prestige, pour prouver à Délian-Ka qu’il n’était pas un minable voleur de femmes et à l’Atlante Silnien qu’il était autre chose qu’un simple Barbare, il risquait sa vie, mais mieux valait-il encore ça que le mépris permanent dont il était l’objet !
Tentant d’oublier l’atroce douleur qui compressait son cerveau, il méditait, il gagnait, petit à petit, cet état altéré de conscience ou d’hyper conscience où les lois du monde ordinaire n’ont plus cours.
Il n’était plus Niya Aïak Bokhr, le sauvage voleur de femme d’une tribu de Néanderthal, mais une pure entité désincarnée.
Son esprit s’était dégagé de son corps trapu et lourd, et il avait traversé les parois du vaisseau spatial qu’il avait laissé loin derrière lui.
Il faisait face au monstre tentaculaire et informe, cette étrange créature qui semblait guidée par quelque chose de froid, d’artificiel mais de redoutablement intelligent !
Et son âme désincarnée toucha enfin l’id de l’immense créature :
«- Tu es affamée, dis-tu ! Mais de quoi te nourris-tu ?
- Qui... Qui est là ? firent soudain les pensées de l’être visqueux et fluorescent.
- Je suis l’un de ceux que tu veux tuer. Je ne veux pas mourir ! Et puisque tu veux notre mort, sache que je ne mourrai pas sans combattre d’abord ! déclara l’esprit de Niya, sans plus éprouver aucune crainte.
- Tu me défies, misérable créature ? gronda la pensée de l’amibe spatiale.
- Eh oui ! Chez moi, on chassait les gloutons et les hyènes à coups de pierres ! On en tuait quelques-uns, parfois ! Et moi, les craignoseries qui s’en prennent à mes amis ou moi, ça me met très en colère ! Ah, tu veux nous manger, eh bien, avale, saloperie ! ! !».
Et Niya transmit toute sa haine, toute sa rancœur droit dans l’esprit du monstre, le tout accompagné d’images mentales de massacres bien sanguinolents !
Le choc en retour fut effroyable !
Niya plongea dans un abîme de ténèbres douloureuses.
Quand il revint à lui, il était couché sur la passerelle du vaisseau, et le commandant était penché sur lui, inquiet.
Mais les autres membres de l’équipage étaient là aussi ! L’amibe les avait recrachés avec leurs vaisseaux de secours ! Elle avait rejeté le plus loin possible le vaisseau spatial et cet être pourtant misérable, mais dont la force mentale était redoutable !
«- Niya ! Niya, mon gars, parle-moi ! Est-ce que ça va ? demanda le commandant, inquiet.
- Délian-Ka ! Cette immondice tient ma Délian-Ka ! Elle a capturé d’autres personnes aussi, dans plusieurs époques et sur plusieurs mondes ! Moïa ! Elle les a mises dans des espèces d’alvéoles, et elle les digère lentement, absorbant en premier leur énergie mentale et vitale ! Oh, Moïa ! C’est épouvantable ! Il faut retourner là-bas ! On ne peut pas laisser ces gens et ma pauvre Délian-Ka dans le sein de cette horreur ! C’est.. C’est possédé par une intelligence artificielle maléfique ! déclara Niya, se redressant à-demi, les yeux hagards, des sueurs froides coulant sur son front fuyant, agité de frissons d’épouvante.
- Eh ! Il a viré fou, l’orang-outan ? ricana le grand imbécile qui avait enfermé le pauvre préhistorique quelque temps plus tôt.
- Toi, quand cette histoire sera finie, j’aurai ta peau, et je m’en ferai une tunique neuve, valet de cette chose immonde, là, dehors ! gronda Niya, pas commode.
- Marchal, c’est vous qui avez enfermé Niya dans la coquerie ? susurra le commandant, se redressant de toute sa hauteur, deux bons mètres et demi, et toisant le Gaïen moderne d’un air glacial.
- Cette espèce de cinglé voulait vous rameuter parce qu’il avait soi-disant senti un danger qui nous menaçait ! ricana le sale type.
- Et il avait raison ! Vous lui devez la vie ! Vous entendez, vous tous ? Niya nous a tous sortis d’un traquenard spatial épouvantable ! dit le commandant.
- Ces deux imbéciles devraient se pacser ! marmonna Marchal entre ses dents, en tournant le dos au commandant, dédaigneux.
- Marchal, je n’en ai pas fini avec vous ! Pour votre attitude insolente et votre mauvais esprit, vous serez mis aux fers trois jours, à fond de cale, et ensuite, vous serez de corvée de latrines pendant toute la durée du voyage ! ! ! beugla le Silnien. Embarquez-moi cet abruti, et que je ne le croise plus jamais ! A la prochaine connerie, ça sera une ballade dans l’espace sans scaphandre, vu ? Exécution ! ! !».
Deux Romains impassibles embarquèrent donc le Français moderne gesticulant et hurlant à fond de cale.
Le reste de l’équipage attendait toujours, au garde-à-vous.
«- Durant ces dernières heures, j’ai eu tout loisir d’admirer votre courage, Mesdames et Messieurs.
Je vous signale que la prochaine fois que nous ferons face à un danger, toute fuite que je n’ordonnerai pas sera considérée comme une désertion et punie en tant que telle ! Docteur, infirmiers, occupez-vous de Niya, il est mal en point ! Nous allons passer quelques jours dans la station spatiale Sigma Arboria 4, le temps que nous préparions notre défense contre ce danger, et que Niya se remette d’aplomb.
- Permission de parler, commandant ! dit une jeune enseigne.
- Accordé, enseigne Bayrou ! dit le Silnien.
- Vous voulez que nous affrontions de nouveau cette chose, là, dehors ? demanda-t-elle.
- Vous avez entendu ce qu’a dit Niya ! Il y a d’autres prisonniers à l’intérieur de ce monstre ! Nous ne pouvons pas les laisser ainsi ! dit le commandant.
- Mais, commandant, ce type est fou, et c’est un sauvage ! fit-elle, désignant Niya, à nouveau évanoui, qu’on embarquait sur une civière anti-gravité.
- Niya a les dons d’un Sensitif ! Regardez ce que j’ai trouvé dans sa cabine ! dit le commandant, exhibant un costume d’un bleu étrange, comme moiré et irisé à la fois, aux nuances allant de l’indigo le plus sombre au turquoise le plus pâle. Il y avait aussi, un petit cylindre d’orichalque, noué d’une faveur d’or, au sceau brisé.
- Qu’est-ce que c’est, commandant ? demandèrent plusieurs spationautes.
- Ceci est l’habit d’un Sensitif ! dit le commandant, désignant les vêtements bleus. Et ceci, reprit-il, montrant le rouleau d’orichalque, l’attestation du Temple de la Lumière d’Atlantis comme quoi l’Affranchi Niya Aïak Bokhr possède les qualités requises pour être un Sensitif de Première Classe, les plus rares, et les meilleurs ! Il y a son hologramme, enchâssé dans ce document ! Et il est signé de Sa Majesté l’Impératrice de l’Atlantide elle-même !
- Mais pourquoi ne s’est-il pas présenté dans ses vêtements de Sensitif, alors ? demanda un jeune homme, étonné.
- Seul Pluton le sait ! fit l’ophidien personnage, tenant son menton pointu entre ses longs doigts griffus, squameux et diaphanes.
- Ce gorille, Sensitif ! Et moi, je suis meneuse de revue aux Folies Bergères ! dit une jolie rouquine issue de la Belle Époque.
- Tu pourrais ! Il y en avait une, qu’on appelait la Goulue, et qui était tout aussi rousse que toi ! rit un grand Noir, venu, lui, du mythique empire du Bénin, au VI° siècle de l’Ère Chrétienne.
- Mais tu sais ça comment, d’abord ? fit la fille, stupéfiée.
- Les cours par hypnopédie, c’est utile ! J’ai appris tout ce que j’ignorais grâce à eux ! dit le bel Africain.
- Tout comme Niya, ou vous tous, d’ailleurs ! Et moi qui désespérais de trouver un Sensitif, j’en avais un sous la main, et je l’ignorais ! J’aurais pourtant dû m’en douter ! Ce petit Barbare est plein de ressources, et il a l’esprit très vif ! Et, hormis d’être le meilleur cuisinier d’Atlantide, c’est un musicien remarquable ! Et un excellent chanteur ! J’ai fait une affaire en or, le jour où je l’ai acheté ! Et j’ai gagné un vrai trésor quand je l’ai affranchi ! Je sais que vous trouvez tous que Niya est horrible, et que c’est un vrai sauvage. Pourtant, sous ses dehors rudes, il cache un grand cœur, une grande générosité, et une sensibilité extrême. Il est d’une intelligence stupéfiante, et c’est un homme dont je suis fier d’être l’ami.
Et j’avoue que vous me décevez beaucoup, tous ! Vous ne lui avez pas laissé une chance ! Que moi je vous effraie parce que je suis un extraterrestre pas bien beau non plus, soit ! Mais lui ? Il est de votre monde ! Il fait partie de vos ancêtres ! Et c’est un type bien ! J’ai lu vos ouvrages de préhistoire, et je sais quelle image lamentable vous avez de ces gens. Vos savants les ont appelés des Hommes de Néanderthal et ont dit bon nombre de bêtises à leur sujet. Mais, malgré leur physique singulier et leur force herculéenne, ces gens étaient humains, tout comme vous ! Moi, en tant que Silnien de pure souche, je n’étais que froide raison jusqu'à présent.
Et si j’ai demandé un équipage Gaïen, c’est à cause de Niya ! Car cet homme que vous décriez tant, ce sauvage, comme vous dites, ce Barbare, comme on dit chez moi, cet homme m’a appris ce qu’étaient les sentiments, et il m’a montré ce qu’étaient les valeurs morales, les idéaux.
Et c’est parce qu’il m’a fait apprécier l’humanité, que j’ai demandé à ce que tous les membres de cet équipage soient de Gaïa. Grâce à Niya, j’ai découvert que Gaïa portait des êtres remarquables et dignes de respect ! Et j’ai découvert aujourd’hui que ce petit être noiraud et pas vraiment gâté par la Nature, tout comme moi d’ailleurs, soyons honnête, était un psychique de tout premier ordre, et que nous lui devions tous la vie !
J’ai une chose importante à vous demander ! Moi, vous m’avez accepté et vous me respectez parce que vous savez que les Silniens sont une espèce puissante à la civilisation avancée. Mais vous devriez respecter Niya encore plus, parce qu’il fait partie de ceux qui ont posé les jalons de votre monde, des pays et des cultures d’où vous êtes tous issus ! Ils n’étaient peut-être pas bien beaux, les Néanderthaliens, mais sans eux, vous ne seriez jamais devenus les peuples et les civilisations remarquables que vous êtes devenus ! Faites un effort, parlez avec lui, vous serez surpris, croyez-moi ! Rompez !».
Suite à ce discours, chacun reprit son poste, et le voyage commença en direction de la frange galactique, vers la station spatiale de Sigma Arboria 4.
Les membres de l’équipage et le commandant du Nimbus III ignoraient que l’amibe les suivait.
Marchal va au diable !
Sigma Arboria 4 était un immense cylindre creux, aux extrémités de plastométal transparent d’une épaisseur de dix pouces, qui laissait passer les rayons de l’étoile la plus proche, Sigma Arboria, une étoile de la Constellation de l’Arbre, présente sur les cartes de navigation silniennes, mais inconnue de la nomenclature astronomique terrienne.
La station spatiale était située au Point de Lagrange 5, entre Sigma Arboria 3 et Sigma Arboria 4, deux planètes désertes, mais susceptibles de porter la vie un jour. La station spatiale n’existait que pour préparer la terraformation de ces deux mondes. C’était une immense pépinière spatiale, de cent kilomètres de long, et de trente kilomètres de diamètre. Elle tournait autour de Sigma Arboria, tout en effectuant une rotation sur elle-même de 24 heures, afin de générer une gravitation artificielle de 0,84 G, supportable par presque tous les habitants de la Galaxie, et un cycle circadien régulier, favorable à l’épanouissement des plantes qu’elle emportait avec elle dans sa course folle. Le tout était combiné avec une rotation supplémentaire sur un axe traversant le cylindre de part en part afin de maintenir la gravité à un niveau constant.
Le cycle des jours et des nuits était non seulement assuré par la rotation multiple de la station cylindrique, mais aussi par un astucieux jeu de miroirs qui réfractaient la lumière dans les moindres recoins, et de volets immenses qui l’occultaient quand l’heure était venue.
L’énergie qui alimentait la station provenait d’un tokamak et des photons solaires ainsi que de l’énergie hydroélectrique issue des irrigations des cultures et du recyclage permanent de l’eau et des déchets dont les plus difficiles à éliminer alimentaient aussi le tokamak.
A l’intérieur de la station, l’écologie était érigée en mode de vie, et ce, dans tous les aspects de la société qui y vivait.
Tout ce qui était recyclable était recyclé, et les machines, les maisons et objets les plus usuels ne dérogeaient pas à cet axiome. Les restes culinaires et les cadavres eux-mêmes participaient à ce recyclage.
Les gens de la station spatiale avaient ainsi mis au point des processeurs informatiques basés sur l’ADN et les rayons lumineux d’une puissance de calcul supérieure d’un milliard de fois à celles des calculateurs Cray terriens du millénaire précédent ! Le tout pour un volume d’occupation inférieur à celui d’un antique P.C. à écran plat !
Ces formidables machines, en réseau, assuraient une maintenance parfaite à l’écosystème de la station spatiale, grâce aux paramètres de régulation basés sur les lois mathématiques du chaos et des fractales.
Exactement comme l’étaient les lois physiques de la bonne vieille mécanique des fluides et des prévisions météorologiques terriennes ! Sauf que si ces lois servaient sur Terre à dépeindre simplement un système météorologique, sur Sigma Arboria 4, elles servaient à faire la pluie et le beau temps, basées sur les descriptions des phénomènes météorologiques de plusieurs mondes de la Galaxie !
Autant dire que tout ce qui se passait dans ce cylindre creux perdu dans l’espace était bien calculé !
Et que, dès que de nouvelles personnes abordaient la station spatiale, dès qu’un vaisseau approchait, la station se paramétrait automatiquement en fonction des données qui changeaient brusquement, de façon à assurer l’équilibre parfait pour lequel elle avait été conçue.
Le petit spatiodock de la station reçut le Nimbus III, et l’équipage fut prié de quitter les vêtements qu’il portait, des uniformes de tissus synthétiques, et de passer à la décontamination ! L’écosystème du bord était délicat, et toute importation de microbes d’outre-monde, périlleuse pour son équilibre ! Ils seraient mis en quarantaine pendant une semaine durant laquelle ils n’absorberaient que des aliments et de l’eau issus de la station, et se soumettraient à toutes les mesures d’hygiène qu’on leur imposerait !
A eux les douches photoniques et soniques ! Le récurage de la plus petite anfractuosité corporelle ! Et tout ça pour quelques hectares de verdure et quelques mètres cubes d’un air divinement pur !
Pendant qu’ils subissaient ce traitement de choc, le vaisseau avait droit lui aussi à une révision de fond en comble, et surtout les navettes de secours, étrangement corrodées.
Les robots perfectionnés, chargés de la maintenance, ne laissaient échapper aucun détail.
Pendant ce temps, l’équipage du Nimbus III, Niya compris, était parqué dans un bâtiment stérile.
Les seuls contacts qu’ils avaient avec les habitants du cru, étaient visuels et sonores, via les coms, mais ils étaient tous enfermés dans une structure d’habitat étroite et aseptisée.
Niya fut bien obligé de cohabiter avec les autres, tout comme eux de supporter l’affligeante vue du malheureux qui était vraiment très laid.
Et cette promiscuité obligée n’arrangea pas les choses. Si Niya avait grandi dans une tribu et était, au départ, tout ce qu’il y avait de plus grégaire et accommodant, ça n’était pas vraiment le cas des autres membres de l’équipage, surtout ceux issus des XX° et XXX° siècles de l’Ère Chrétienne !
Niya se faisait donc tout petit, enfin, autant que le permettaient sa structure trapue et sa musculature redoutable. Il demeurait plongé dans ses pensées, l’esprit tourné vers sa Délian-Ka, prisonnière de ce monstre infâme, et il restait sourd aux quolibets et remarques des autres que Marchal montait contre lui.
Et ce fut Marchal qui commit la pire connerie de sa vie. La dernière !
Alors que le commandant étudiait à l’aide des puissantes machines de la station comment venir à bout de l’ennemi inconnu qu’ils avaient affronté et s’était isolé dans la pièce voisine, les vingt-trois autres membres de l’équipage avaient acculé Niya au fond du petit appartement qu’ils se partageaient tant bien que mal.
Les exhortations du commandant avaient été vaines. Personne à bord ne voulait être redevable à l’horrible préhistorique d’avoir la vie sauve !
Niya était assis en tailleur dans un coin, les yeux clos, à fouiller l’espace et le temps, à la recherche des ondes mentales de sa bien-aimée, et ne s’était donc rendu compte de rien, si ce n’était que l’amibe les avait suivis, et qu’elle approchait !
Il rouvrit les yeux au moment où Marchal, un poignard à la main, s’apprêtait à lui faire un sourire kabyle ! Il avait à nouveau ce regard étrange et vraiment effrayant !
Niya ne broncha pas, et laissa venir le dangereux maniaque à lui... Marchal bondit, mais une force incompréhensible le cloua en l’air ! Il demeura là, suspendu, immobile, et cependant, parfaitement conscient !
Le couteau qu’il tenait se mit à luire d’une jolie couleur rouge... Ses doigts crispés durent le lâcher, le couteau était brûlant ! Il tomba sur le sol, transformé en flaque de métal en fusion. Mais, possédé qu’il était par l’entité, à l’extérieur, il riposta... Il tenta d’électrocuter Niya, mais la force mentale de ce dernier le protégea, contre toute attente L’entité, surprise, se retira du corps de Marchal, chassée par quelque chose d’incompréhensible !
Avec un sourire tranquille, serein comme si cela ne le concernait pas, Niya se leva et vint vers sa victime :
«- Marchal, qui de nous deux est la brute primaire ? Toi ou moi ? Regarde-toi ! Prêt à tuer ce qui ne te ressemble pas et ne te ressemblera jamais ! J’ignore pourquoi vous me haïssez tant, vous tous, mais le jour est proche où vous me supplierez de vous sauver la vie... Et ce jour-là il n’est pas dit que je volerai à votre secours ! En attendant, Marchal, regarde-moi ! Regarde-moi, c’est un ordre !».
Fasciné par les yeux noirs immenses du Néanderthalien, qui se mirent à luire comme des escarboucles d’un éclat rouge et flamboyant, le malheureux moderne émit un gémissement étranglé.
Avec un doux sourire, Niya continua, toujours aussi calme :
«- Je n’ai pas besoin de mes gros muscles, moi, pour m’imposer ! Un simple talent mental suffit ! La prochaine fois que tu t’aviseras de me nuire, Marchal, ça sera la migraine fatale ! Une bonne rupture d’anévrisme ! Un télépathe tel que moi peut le faire. Alors, un conseil, reste calme et inodore, et ça vaudra mieux pour tes petits copains et toi !
- Jamais je m’abaisserai devant un demi-singe !
- JE NE SUIS PAS UN DEMI-SINGE ! ! ! Je n’y peux rien, si je suis né cent mille ans avant toi, et avec cette tête là ! Je n’ai pas choisi, figure-toi ! Alors, maintenant, tu arrêtes, avec tes âneries, parce que tu commences à m’échauffer sérieusement les oreilles ! déclara Niya, devenu soudain d’une mortelle pâleur, très mauvais signe, chez lui !
- Si tu n’avais pas fait partie d’une race de dégénérés, vous n’auriez pas disparu, et les gens de ton futur te ressembleraient, l’affreux ! Mais c’est pas le cas, donc, j’ai raison, donc, t’es pas humain, donc, on n’a pas à te respecter ! Ferme ta grande gueule, gorille, ça vaudra mieux pour toi ! ! ! déclara Marchal, rassuré parce que les autres se rapprochaient d’eux.
- Je suis un homme de parole, Marchal ! Ce que je promets, je le tiens toujours ! Je veux ta peau, et je l’aurai ! Et ces cons-là ne pourront rien faire contre ça ! Meurs donc dans des souffrances horribles, c’est tout ce que tu mérites, merde à pattes !».
Eh oui ! Aucun moderne n’aurait imaginé que les Néanderthaliens pouvaient être si sourcilleux, et pas qu’au plan physique !
Les yeux de Niya se rivèrent de nouveau sur ceux de Marchal, se remettant à luire de leur feu infernal.
Marchal sentit un étau lui broyer le cerveau, tandis que tout un tas de démangeaisons insupportables faisaient frissonner tout son corps de la tête aux pieds !
La pression dans son cerveau augmenta, et il s’évanouit !
Mais le pire était à venir. Niya tendit les mains vers Marchal toujours suspendu en l’air et paralysé, et des éclairs sortirent de ses paluches énormes qui auraient pu étouffer un lion, qui d’ailleurs, l’avaient étouffé !
Un cocon de lumière entoura Marchal et, quand il disparut, il ne subsistait rien à la place du moderne raciste et stupide ! Mais les autres continuaient à avancer vers lui, les yeux soudain envahis par cet étrange symbole qui annonçait la possession par l’entité cosmique maléfique ! Niya déclara, alors, très calme, luttant toujours contre la possession que tentait d’exercer sur lui cette chose inimaginable :
«- Oh, il n’est pas mort, même si je l’ai envoyé en Enfer !
- Mais... Mais qu’en as-tu fait ? gémit une fille, épouvantée, malgré sa possession.
- Je l’ai juste envoyé à sa place ! En Enfer ! Ou plutôt, dans les tentacules de Taïa-Araakh, cette chose immonde qui nous poursuit ! déclara Niya, avec un suave sourire qui n’avait rien de rassurant !
- Mais... Mais tu l’as envoyé à la mort ! fit la fille.
- Il l’a méritée cent fois pour ce qu’il m’a fait ! J’aurais pu le tuer rien qu’en lui éternuant dessus, si je l’avais voulu ! Mais je préfère lui donner une bonne leçon ! C’est une troisième chance que je lui offre de se racheter, et je suis encore bien bon ! expliqua le Néanderthalien, toujours aimable.
- Mais, il ne t’a rien fait ! se récria-t-elle.
- Non ! Il m’a insulté et humilié à chaque fois qu’il me croisait ! Eh bien, trop, c’est trop ! Il y a des limites aux bornes, comme dirait une de mes amies ! Il a joué avec le feu, là, qu’il ne soit donc pas étonné de s’y brûler ! Je ne vous ai rien fait, moi, que je sache ! Mais vous m’avez suffisamment cherché, et maintenant, vous allez me trouver ! Ah, vous voulez suivre ce bellâtre grande gueule de Marchal ? Je vous accorde bien volontiers de le suivre ! À moins que vous n’ayez quelques excuses à me présenter ? Et attention, des excuses SINCÈRES ! Marchal me fait tout à fait penser à Nahyi, une grande brute plutôt beau mec qu’il y avait dans ma tribu... À croire que la connerie traverse les millénaires sans changer d’apparence, ou si peu !».
Devant ce calme et cette maîtrise impossibles à dominer, l’entité relâcha son emprise sur les membres du Nimbus. Niya, serein, reprit son récit :
«- Nahyi, donc, était un très bon chasseur, un très beau gosse, selon les filles de la tribu, mais c’était un lâche, un violent et un tyran.
C’était la terreur de toute la tribu. Il était mauvais comme la gale, et, surtout, c’était le plus macho des Golan, ma tribu, qui pourtant, sur le plan machisme sont assez redoutables... Il capturait des filles dans les clans voisins, selon nos usages, mais il leur menait une vie tellement insupportable que les pauvres finissaient par se suicider, ou par risquer la mort à s’enfuir !
Un jour, il courut après une fort belle femme qui ne voulait absolument pas de lui, et il la traita comme les autres... Enfin, il essaya. La fille était une rusée, une Moéha qui était chamane dans son clan et connaissait certaines plantes et champignons bien vénéneux... Elle fit semblant de se soumettre à ce butor, et lui fit donc boire son bouillon de onze heures. Comme il était parfumé à la viande et aux herbes, le grand Nahyi ne remarqua rien... Il but, et sombra dans le coma.
Il aurait dû en mourir, mais Moïa avait décidé que ça ne devait pas être son heure, et puis, avec la constitution d’ours des cavernes qu’il avait, il pouvait survivre à n’importe quoi, ou presque, et il le prouva, une fois de plus !
Il revint à lui au bout d’une main de jours. Mais quelque chose en lui avait changé. Il avait vu Moïa lors de son coma, et il avait subi une transformation profonde. De grande brute qu’il était, il se calma, et se mit à respecter les autres. Il ne nous dit jamais ce qu’il avait vu alors que son esprit était hors de son corps, mais Nahyi traita sa compagne avec douceur, et ne chercha plus jamais à nuire à quiconque.
Chose étrange, on aurait dit que son esprit s’était ouvert, lui aussi ! Il se mit à réfléchir avant d’agir, au lieu de foncer comme un mammouth devant un feu de forêt, et il finit par devenir un chaman respectable et respecté.
J’ai envoyé Marchal là où est allé Nahyi, et j’espère qu’il va s’arranger, parce qu’il craint salement, cet imbécile ! C’est vrai qu’il m’a humilié comme jamais personne ne s’était permis de le faire, et c’est vrai que, même pour les gens de mon époque, je suis très laid ! Mais s’il y a deux choses dont j’ai horreur, ce sont la violence et la méchanceté gratuites ! Marchal est un être dangereux, un malade ! Un type comme ça n’aurait jamais dû faire partie de cet équipage, il est vraiment trop malsain ! Ce qu’il lui fallait, c’était un traitement de choc, une remise à zéro de son cerveau. Je les lui ai offerts... Et gratuitement, en plus ! Il est en train de vivre l’équivalent de ce que vous avez appelé une N.D.E., une expérience mystique, ou une transe chamanique. Je n’ai rien contre Marchal, moi, je n’ai donc aucune raison de lui nuire ! Il en sera quitte pour une bonne trouille, mais ça lui apprendra à juger les autres sur la mine ! expliqua Niya, amusé.
- Mais où l’as-tu donc envoyé ? insista la fille, désignant la place aérienne où s’était trouvé Marchal, quelques minutes plus tôt.
- Il est dans le sein du monstre que nous avons affronté l’autre jour, monstre qui n’est qu’un des aspects de Taïa-Araakh, le Mauvais Grand Esprit de mon peuple, une entité qui est la concrétisation de toutes les mauvaises pensées et les mauvaises actions des gens ! Elle se nourrit de haine et de peur. Et puisque Marchal hait et veut faire peur à tout le monde, il éprouvera ce qu’il fait éprouver aux autres avec un malin plaisir, mais au centuple ! Et, quand au fond de son âme, il suppliera qu’on le sorte de là, quand il priera son Dieu ou Moïa, qui n’est que Lumière, Vie et Amour, là, il sera sauvé ! Et il deviendra enfin un homme digne de ce nom, et non une mouche à merde ! déclara le chaman préhistorique.
- Mais, il risque d’en mourir ou de devenir fou ! dit la même fille.
- Fou, il l’est déjà ! C’est un sadique psychopathe que Marchal ! Certains membres de votre unité sont morts dans des accidents, soi-disant, au cours des exercices qu’on vous a imposés pour votre entraînement... C’est Marchal qui les a liquidés, parce qu’il a des pulsions meurtrières ! Regardez ce qu’il a failli me faire, tout à l’heure ! Je le dis et je le répète, ce type est un dangereux maniaque ! Et vous, pauvres imbéciles, vous le suiviez dans sa folie et dans son délire ! N’avez-vous pas de cerveaux pour juger par vous-mêmes et faire la part des choses ? Là, il vit ce qu’il mérite de vivre ! Il en sortira mort, peut-être, mais s’il en sort vivant, il en sortira grandi et guéri ! Et il n’ira plus jamais chercher des poux dans la tête des gens qui sont différents de lui à cause de leur couleur, de leur religion, ou de leur aspect ! dit Niya.
- Oui, mais il n’empêche que tu l’as menacé de mort à plusieurs reprises ! dit la moderne.
- En effet. J’ai fait exprès afin qu’il révèle sa vraie nature. Dans dix jours, nous verrons bien ce qu’il ressortira de tout ceci. L’heure de l’affrontement avec l’entité est proche, et Marchal est la mine qui va m’aider à la détruire, grâce à sa folie et au formidable potentiel de haine qui est en lui ! Ce type est une vraie bombe psychique, et c’est justement ce qu’il nous fallait pour mener notre mission à bien !».
Un peu d’air et de verdure, y’a que ça de vrai !
Parce que la présence néfaste de Marchal n’était plus là pour les dominer et parce que Niya s’avérait effectivement un compagnon étonnant et drôle, avec son humeur toujours égale et gaie et ses anecdotes préhistoriques souvent salées, la fin de la quarantaine se déroula sans anicroches.
On distribua enfin aux reclus des vêtements de coton légers et fins, d’une blancheur immaculée, et on les invita à sortir de leur geôle.
Les épaisses portes métalliques de leur prison s’ouvrirent alors sur un véritable Eden cosmique.
Le soleil, Sigma Arboria, s’engouffrait par les deux extrémités du cylindre, et nimbait tout d’une nuance d’or rouge du plus bel effet ! Les forêts, fleurs et prairies s’étendaient devant, derrière et au-dessus d’eux dans un camaïeu de verts profonds et vifs, des plans d’eau miroitaient à plusieurs endroits, des torrents et des rivières vifs étincelaient comme des torrents de lave dans une atmosphère à la pureté idéale.
De part en part, de grands miroirs, suspendus à l’axe central de la station spatiale, redistribuaient les rayons du soleil, assurant en tous lieux un éclairage régulier et idéal.
Des myriades d’oiseaux et d’insectes s’affairaient parmi les végétations luxuriantes, les chants des oiseaux étaient un assourdissant concert, et, dans les fourrés, au plus profond des forêts, herbivores et prédateurs assuraient l’équilibre écologique nécessaire à tout l’écosystème.
Il n’y avait pas de villes apparentes dans cette Nature merveilleusement reconstituée.
Les robots les firent descendre alors au fond d’un étroit vallon. Ils ouvrirent une grande porte métallique, et les invitèrent à pénétrer dans la vaste pièce qui s’ouvrait derrière.
Un vieux Terrien souriant, le nez chaussé de lunettes anachroniques, parut, à la tête d’une troupe d’humanoïdes tout aussi disparates que ceux qui composaient l’équipage du Nimbus III.
«- Soyez les bienvenus à bord de Sigma Arboria 4 ! Je vous prie de nous excuser des mesures quelque peu contraignantes auxquelles vous avez été soumis, mais la moindre bactérie étrangère suffit à déséquilibrer tout ce que nous avons mis tant de temps à mettre en place ici !»
Les pénétrants yeux bleus du vieil homme détaillaient avec amabilité ses interlocuteurs, et s’attardèrent un bon moment sur Niya :
«- Mais je rêve ? Cet homme ressemble à un Néanderthalien ! songea-t-il, in petto.
- Mais tout simplement PARCE QUE je suis un Néanderthalien ! rit Niya, qui avait perçu la pensée du vieil homme, médusé. Oui, et que je suis un peu télépathe, sur les bords, aussi ! précisa-t-il, souriant.
- Mais... fit le vieux, surpris.
- C'est un truc que vous avez un peu perdu en faisant pousser votre cerveau par le haut, vous autres ! Mais le premier Néanderthalien venu est un être doté d'une empathie hors pair, et un chaman comme moi est encore plus fort pour ça, sans compter quelques capacités médiumniques qui font un peu peur à tout le monde, bien malgré moi, d’ailleurs, parce que je n’ai jamais utilisé les dons que Moïa m’a donnés pour nuire à quiconque, au contraire ! expliqua aimablement le préhistorique.
- J’ai entendu parler des Sensitifs, dont les dons exceptionnels permettent des miracles... Mais j’ignorais que nos ancêtres possédaient de tels talents ! dit le vieillard.
- Tout comme le fait que la grande majorité des Sensitifs est issue de mon époque et de la gent néanderthalienne ! expliqua Niya, souriant.
- Mais on a une Sensitive, ici... Se peut-il, que... fit-il, médusé.
- Oh pour ça oui ! C’est une fille de la planète Bêta, n’est-ce pas ? demanda Niya, amusé.
- Oui, certes, mais... fit le savant, étonné.
- Les Bêtariens sont d’anciens esclaves d’Atlantide qui ont fait sécession il y a bien longtemps, et qui ont prospéré et évolué jusqu’à devenir une civilisation remarquable... Mais pour ce qui est de l’allure générale, eh bien, c’est du Néanderthal pur style, les jeunes ! Sous ses voiles bleus, elle doit être tout aussi trapue et archaïque que moi, votre donzelle ! rit le brun jeune homme.
- Si elle t’entend, elle risque de te punir de ton insolence ! dit le vieillard.
- Pouh ! Vous savez, les Bêtariens nous méprisent encore plus, à nous qui sommes leurs ancêtres directs, que les Terriens modernes ! Ils ont honte d’être issus de gens qui étaient si archaïques et avec des usages aussi tordus ! Alors moi, vous savez, les morpions qui renient leurs parents, je m’en contrefous ! fit Niya, digne.
- Insolent ! Sale voleur de femmes ! Tu vas retirer immédiatement ce que tu viens de dire ! hurla soudain un petit fantôme couvert de voiles bleus en surgissant d’un seul coup du néant et en marchant vers Niya, prêt à lui arracher les yeux !
- J’ai pour principe de ne parler qu’aux gens dont je vois la figure ! ricana le préhistorique, guère intimidé par les yeux d’or en fusion étincelants qui étaient la seule chose visible de la Sensitive.
- C'est ça, pour que tu me sautes dessus, espèce de satyre ! protesta-t-elle, resserrant autour d’elle ses voiles bleus.
- Tsst ! Rien qu’à tes mains et tes pieds, on le voit, que tu sors de la même caverne que moi, ou si peu ! rit Niya.
- JE NE SORS PAS DE TON EPOQUE DE SAUVAGES, MOI ! Je suis une Bêtarienne, tu entends ? UNE BÊTARIENNE ! se fâcha-t-elle, alignant un retentissant soufflet sur la face camuse du jeune homme qui éclata de rire :
- Morphologiquement, mon petit, tu es une NEANDERTHALIENNE ! Une Néanderthalienne qui, aux yeux des modernes sera toujours une demi-guenon trapue, velue et moche ! ! ! Pour les modernes, un Néanderthalien préhistorique ou un Néanderthalien émigré ailleurs, c’est bonnet blanc et blanc bonnet ! Les Bêtariens ont beau jeu de vouloir en remontrer aux Silniens et aux Terriens, ils ne sont jamais que des clowns pathétiques qui pètent plus haut que leurs culs, chose pas très difficile pour eux, vu qu’ils ont le tuyau d’échappement à ras du gazon ! ! ! ricana le préhistorique.
- Espèce d’insolent ! Je vais t’apprendre, moi ! se fâcha la fille, bondissant sur Niya qui s’en dégagea souplement, hilare.
- Et voilà ce que donne une Néanderthalienne après quatre siècles d’exil et une émigration spatiale ! Une petite peste tout aussi déchaînée qu’une de mes contemporaines ! Tout ça parce que j’ai eu le malheur de briser le mythe des mystérieux Sensitifs ! riait-il.
- Mais enfin, toi aussi, tu es un Sensitif, puisque tu es un chaman ! Peux-tu m’expliquer alors pourquoi tu nous détestes et pourquoi tu as trahi notre secret ? s’indigna-t-elle, tentant de se dégager des mains de Niya qui maintenaient fermement ses poignets.
- Parce que nous ne devrions pas avoir honte de ce que nous sommes et cesser de nous cacher ! Je sais bien que l’ordre des Sensitifs est tenu par le secret absolu, et que celui ou celle qui accomplit une mission mystique et s’engage dans cet ordre doit abdiquer de tout ce qui était sa vie précédente, mais pourquoi se cacher le visage ? Pour ne pas effrayer nos commanditaires avec nos têtes bizarres ? Si c’est là la raison, eh bien, c’est moche ! Allez, montre-nous donc ton museau, toi ! Je suis sûr que tu es ravissante, dans ton genre ! Tu as des yeux extraordinaires ! Le reste est sûrement tout aussi charmant ! Allez, enlève ce voile, ça fait des mois que ceux qui sont ici avec toi brûlent de savoir à quoi tu peux bien ressembler ! insista Niya, la libérant enfin de son étreinte.
- Pourtant, toi, le Chasseur de Femmes, tu ne dois pas trop apprécier de les voir avec le nez à l’air ! fit-elle, dardant dans les yeux de nuit du jeune homme son regard flamboyant.
- Je ne suis plus comme autrefois. J’aime désespérément une femme d’une tribu lointaine qui m’a montré que les femmes libres et fières étaient autrement intéressantes que les oies blanches dressées à la soumission absolue qu’il y avait par chez moi ! expliqua Niya.
- Oui, et comme tu l’as draguée avec la méthode des Golan et autres abrutis du même tonneau, elle ne peut te souffrir, et ça te crève le cœur ! Et que dirais-tu, si une femme de ton peuple s’avérait aussi révoltée que cette fille et qu’elle a choisi la voie de la liberté en devenant une Sensitive ? Allez, réponds ! insista-t-elle, le fixant intensément de ses yeux ardents.
- Ça me ferait drôle. Assurément. Mais je ne la jugerai ni ne la blâmerai. Personnellement, je n’aimerais pas être traité comme le sont les femmes chez nous ! J’ai été esclave en Atlantide, et même si mon maître était bon, je n’ai pas précisément aimé ça ! Alors, tu peux bien montrer toute ta personne à Moïa si tu le veux, c’est ton droit ! dit Niya.
- Un Novateur ! Aussi fou qu’Aïak ! Ça alors, je dois rêver, moi ! fit la fille, se pinçant vigoureusement le bras, et quel bras !
- Alors, tu nous montres à quoi tu ressembles ? insista de nouveau Niya.
- A la condition que tu me fiches la paix ! J’en ai soupé, des types comme toi ! déclara-t-elle, fermement.
- Tu ne risques rien ! Celle que j’aime est blanche et claire, ses cheveux sont comme la brume d’un matin d’été, et ses yeux sont verts comme ceux d’un chat. Tout ce qui ne correspond pas à ce modèle-là, je m’en moque ! dit Niya.
- Bon. Mais à la première tentative d’approche, je te désintègre, voleur de femmes !».
Et la fille ôta les voiles qui la dissimulaient.
Les modernes ne purent retenir des exclamations de surprise. La fille était effectivement une Néanderthalienne, ça oui ! Elle était tout aussi tatouée de spirales noires et rouges que Niya, ça aussi ! Mais elle avait des yeux vraiment superbes, un teint d’ambre sombre, de longs cheveux noirs aux reflets bleutés qui ondoyaient jusqu’à ses cuisses, et, ce qui stupéfia le plus les modernes, c’est qu’en dépit de sa petite stature, et de ses épaules puissantes, elle possédait des formes et des courbes enchanteresses et une taille de guêpe ! Son visage singulier était d’une grande régularité, et on pouvait dire que dans son genre, elle était diantrement jolie ! Niya, amusé, déclara :
«- Non mais avoue que c’était du gâchis de nous priver d’un spectacle pareil ! Vous voyez ! Toute Néanderthalienne qu’elle est, elle est jolie, eh oui ! Moi, c’est vrai que je ne suis pas gâté par la Nature, mais elle, elle est tout ce qu’il y a de plus ravissant ! Eh bien, ma Délian-Ka, c’est quelqu’un de tout aussi charmant, sauf qu’elle est aussi blonde et pâle que cette fille est brune et sombre ! Rien que pour voir des êtres aussi ravissants, la vie vaut la peine d’être vécue, tiens ! déclara Niya, s’attirant un regard sévère de la part de la jeune femme.
- J’avoue que je n’imaginais pas tes contemporaines aussi splendides ! dit le vieux savant. De quoi me faire regretter et ma jeunesse, et le fait que je ne suis pas un Néanderthalien ! déclara-t-il, enthousiaste.
- Oui, ben on se calme, vous êtes âgé et vous avez le cœur fragile ! fit la fille, froidement.
- Fiou ! Ça ne m’étonne pas que c’était l’ère glaciaire, à votre époque, les mecs ! C’étaient des glaçons, les filles, chez vous, oui ! ricana un moderne.
- Ah non ! Tu n’y es pas du tout ! Je ne vais pas avec le premier venu, c’est tout ! Par contre, quand je vois quelqu’un qui me plaît... dit-elle, d’une chaude voix en coulant un regard on ne peut plus tendre au malheureux éberlué !
- Ah... Ah bon ? fit-il, on ne peut plus confus.
- Eh oui ! susurra-t-elle, de sa voix à donner des frissons de volupté à un roc !
- Wouaouh ! fit le gars, de plus en plus confus, parce que la fille lui faisait des approches on ne peut plus explicites !
- Bon, et si nous visitions nos installations et vous conduisions à vos quartiers ? Il est grand temps, ce me semble !».
Sur l’invite du vieux savant, tout le groupe le suivit dans la visite des habitats et installations industrielles ou de maintenance, ménagées contre les parois du cylindre, sur plusieurs niveaux, mais sous les jardins et les cultures.
Durant la visite, le jeune membre de l’équipage du Nimbus III sur lequel la Sensitive quelque peu sensuelle avait jeté son dévolu, bénéficia d’agréments inattendus et fort agréables ! Finalement, pour lui, le séjour dans la station spatiale s’annonçait passionnant ! Il avait trouvé un moyen inédit de faire de l’anthropologie sur le terrain !
Un étrange échange d’idées.
La jeune Sensitive, qui était effectivement devenue une Bêtarienne, s’avéra, d’après ce que Niya perçut chez elle, issue, en fait, de la même époque que lui, mais d’un autre clan !
Elle, elle venait du peuple des Marrakhéïn, des types encore plus machos que les Golan, si c’était possible, et, alors qu’on allait la marier, sans lui demander son avis, avec un gars qu’elle n’avait jamais vu de sa vie, elle s’était enfuie, manifestant là des dons ahurissants pour la première fois de sa vie ! Les femmes, chez les Marrakhéïn, étaient gardées prisonnières quasiment toute leur vie. Elles n’avaient aucun droit, sauf celui de faire des enfants et de tenir le foyer. Elles étaient des monnaies d’échange entre clans, des servantes, des épouses soumises, et c’était tout !
Même si elles avaient les talents pour ça, les femmes ne devaient se mêler ni de religion, ni de médecine, encore moins de chasse ou de pêche !
Toute contrevenante était vigoureusement rossée, et si elle en réchappait, elle était bannie, ou exécutée sur-le-champ !
Elles allaient donc, cachées sous des masques imposants, liées, et même pire que ça, toujours la peur au ventre !
La jeune fille, révoltée par cette vie et le destin qu’on lui avait tout tracé sans lui demander son avis, était donc soudain entrée dans une colère noire, et, sous une impulsion mentale, elle avait carrément fait disparaître liens, masque et tout le reste, et, même, avait foutu le feu au village, rien qu’en pensant à le détruire !
Les gens du village furent trop affolés pour penser à la châtier, et elle profita de la situation en s’enfuyant dans la Nature, guidée par des puissances inconnues que sa transe soudaine lui faisait percevoir !
Elle courut dans les immensités désolées et glaciales, avant de se faire happer par un vaisseau Atlante.
Là, on voulut la vendre comme esclave, mais, une fois encore, ses talents étranges firent des ravages.
Un Sensitif, qui passait par-là, la récupéra alors que la Garde Impériale, à la recherche de la fugitive, quadrillait tout Atlantis.
Il la mena au Temple de la Lumière, et, là, on lui apprit bien des choses. On lui donna toute la culture qui lui manquait, on lui apprit les disciplines mentales et les arts martiaux les plus sophistiqués, le maniement de toutes les armes possibles et imaginables, et elle était enfin partie pour sa première mission, protégée par l’anonymat de l’ordre des Sensitifs et ses voiles bleus.
Elle était arrivée sur Bêta, la planète mère de cet Empire d’anciens esclaves renégats, et, là aussi, acquit toutes les connaissances qu’elle voulut. Le savoir traditionnel des siens et ceux des civilisations qu’elle côtoyait lors de ses aventures lui donnait une solide base de connaissances, et elle devint l’une des meilleures de l’Ordre.
Elle était sortie tout droit de la Préhistoire et de sa dureté, pour filer entre les mondes, loin, le plus loin possible de ce peuple où elle avait vu le jour et où elle avait grandi, mais qu’elle avait appris à haïr dès lors qu’elle était devenue une femme, et plus elle mettait d’espace-temps entre eux et elle, mieux elle se sentait !
Elle avait déjà réussi de nombreuses missions, et là, ça faisait deux ans qu’elle vivait dans cette station spatiale, goûtant enfin une paix qu’elle pensait ne jamais trouver.
Et là, patatras ! Voilà qu’on amenait en ce lieu un homme de son époque, quasiment de son peuple ! Et ce type avait sûrement deviné qu’elle n’avait pas tout dit !
Le clan des Marrakhéïn akhr Soïren Hoïan Altaïn avait quasiment été exterminé, de son seul fait ! Elle avait sur la conscience la mort de vingt personnes, hommes, femmes, vieillards et enfants !
Et ce type avait sûrement deviné ce qu’elle avait fait, et il en avertirait certainement les chamans de toutes les tribus des Marrakhéïn, Golan et autres ! Un type issu de ces peuples, suivant le même parcours chaotique qu’elle, devait sûrement la suivre, à la trace, prêt à lui faire la peau, pour venger le misérable clan décimé !
Si ça se trouve, c’était ce type, cet affreux Niya !
Comme elle commençait à échafauder un plan pour se débarrasser de ce gêneur, elle sursauta.
Il était arrivé derrière elle, sans un bruit, et il déclara :
«- Je sais qui tu es et ce que tu as fait. À ta place, j’aurais sûrement agi de la même façon... Je sais que tu souffres d’avoir tué des gens que tu aimais, malgré tout ! Enfin, tu crois les avoir tués. Rassure-toi, il n’en est rien ! Ils ont juste eu le poil un peu roussi, et ça leur a remis les idées en place. Maintenant, ils demandent l’avis des filles, avant de les marier ! Tu sais, ils n’oseront jamais te le dire en face, mais je crois que tu as gagné le respect de tout ton peuple, et des tribus apparentées ! Ça leur a fait faire une sacrée remise en question, tu sais !
- Tu mens ! feula-t-elle, se retournant d’un bond, et brandissant un méchant poignard d’acier tranchant, une arme de facture atlante.
- Je ne suis pas ici pour te tuer, d’ailleurs, aucun des tiens ne veut cela, et aucun d’eux ne m’a envoyé à ta poursuite ! C’est vraiment un pur hasard si je me trouve ici, je te le jure, par Moïa ! dit Niya, pas rassuré par la lame qui effleurait sa carotide.
- Je ne te crois pas ! fit-elle, froidement.
- Mon esprit t’est tout ouvert ! Regarde en moi, et tu verras que je dis la vérité ! D’ailleurs, je n’ai jamais su mentir, et aucun autre Néanderthalien non plus, et c’est bien là tout notre drame, d’ailleurs ! dit Niya.
- Regarde-moi, alors ! Et attention, pas de coup fourré, parce que je ne te raterai pas !».
Un sondage enrichissant bien que non pétrolier.
Elle plongea alors dans les pensées du jeune homme avec une facilité déconcertante, car, ainsi qu'il le lui avait dit, il avait ouvert son esprit.
Ce qu’elle découvrit sur Niya Aïak Bokhr manqua la faire défaillir !
Cet homme était issu d’un clan voisin du sien ! Mais il avait été élevé parmi les Golan, suite à une histoire lamentable où les usages franchement révoltants de ces clans étaient encore une fois de plus, en cause !
Aïak, le vrai père de Niya, était le chef redoutable et respecté des Soïren Marrakhéïn akhr Goran Altaïn.
Cet homme, lors d’un rassemblement entre tribus, avait découvert une jeune Golaï pâle et claire qu’il décida d’épouser. L’accord entre les Golan et le jeune chef ne se fit pas, parce que si les Golan serraient les femmes de près, ils n’allaient pas jusqu’à les mutiler ainsi que le faisaient les Marrakhéïn ! Sans compter que Raïak, son jumeau, avait aussi des visées sur la claire jeune fille...
De plus, la jeune fille était la sœur d’un jeune homme appelé à devenir un grand chef aimé et respecté des siens.
Bref, comme il n’y avait pas eu d’entente possible, Aïak passa à l’acte et enleva la jolie et claire Maïna. Mais Raïak le défia pour la possession de la blonde créature, le laissant pour mort et il l’épousa selon les terribles rites de sa tribu, peu scrupuleux de devoir suivre de tels usages. Entre-temps, Aïak survécut à ses blessures, guérit et défia son jumeau qu’il tua pour récupérer celle qu’il aimait, bien désolé qu’on lui eût fait subir ces rites cruels qu’il abhorrait et se jurait d’abolir un jour... Trop tard pour Maïna, hélas ! Il l’apprivoisa peu à peu et l’amour naquit entre eux, malgré tout. Il l’épousa enfin et elle attendit un enfant.
Et puis, les Golan retrouvèrent la disparue, et ce fut une mêlée effroyable entre les deux clans. Il y eut des blessés, il y eut des morts.
Les Golan ramenèrent la pauvre Maïna parmi eux, et le chaman de la tribu constata, horrifié, quelle affreuse opération elle avait subie.
Vint le moment où Niya vit le jour. Maïna, en raison de ce qu’elle avait subi ne survécut pas à l’accouchement, et ce fut son frère qui adopta le petit orphelin, l’élevant aux côtés de ses propres enfants.
Il était tout ce qui lui restait de sa sœur, et il reporta sur lui toute l’affection dont il était capable.
Niya grandit parmi les Golan, choyé par ses parents adoptifs, haï par l’aîné de leurs enfants, car ce dernier adorait Maïna qui, pour lui, était comme une grande sœur.
Il rendait Niya responsable de la mort de cette dernière, et le lui fit chèrement payer.
Niya était un enfant laid, malingre, et myope.
Les autres enfants du clan, cruels comme tous les enfants du monde, quelle que soit leur époque ou leur culture, perdirent plusieurs fois le vilain petit dans la forêt, lui firent courir des périls inimaginables, et même, une fois, son frère adoptif, l’aîné qui le haïssait, l’enferma dans le garde-manger, l’enterrant pour ainsi dire vivant !
Mais les déboires de Niya ne s’arrêtèrent pas là.
Quand il devint un jeune homme, il dut chasser son premier gibier, et tous les gamins ricanaient, se doutant bien que cette taupe serait incapable de faire quoi que ce soit de valable.
Mais Niya avait, grâce à son père et à son autre frère, appris à connaître le territoire des Golan par cœur, et ses sens aigus de malvoyant compensaient merveilleusement sa faible vue.
Il avait repéré, grâce à son ouïe incroyable et à son odorat subtil, la tanière d’un ours des cavernes.
On était au début du printemps, et les redoutables plantigrades n’étaient pas encore réveillés.
Niya pénétra sans un bruit dans la grotte qu’il avait repérée et, à l’aide d’une solide lance en if, à la belle pointe de pierre bien acérée, il tua la bête, la frappant au défaut de l’épaule. L’ours mourut sans même se rendre compte de ce qui lui arrivait !
Satisfait, Niya ramena la peau de l’ours, et rameuta tout le monde afin qu’on l’aidât à le découper et à le ramener au village.
Les ricaneurs ne riaient plus du tout ! Par cet acte follement téméraire, Niya avait prouvé sa valeur, car peu d’hommes pouvaient se venter d’avoir abattu un grand ours tout seuls !
Et puis vint le temps pour ses frères et lui d’aller chercher une compagne.
En tant que fils de chef, ils devaient trouver des compagnes dignes d’eux, et non des filles échangées lors des Rassemblements. Ils partirent donc, tous les trois, à la recherche des plus belles filles qui fussent, des Moéhan, des femmes du peuple des Moharn, une redoutable tribu vivant très loin à l’ouest.
Ils partirent, épouvantés, parce que les Moharn étaient des chasseurs de têtes cannibales.
Leurs femmes, disait-on, dirigeaient les clans, avaient le pouvoir, et, pis que tout, pouvaient exercer le chamanisme ! D’ailleurs, les sorcières des Moharn, les Aka-Ehan, les Femmes Sages, comme ils disaient, étaient les meilleures guérisseuses qui fussent. Nombre de gens de diverses tribus bravaient le danger de se faire tuer et dévorer par ces sauvages dans l’unique but de ramener un remède, une recette d’onguent, de potion ou d’infusion !
Et ces trois jeunes fous avaient décidé de tenter l’aventure pour revenir parmi les leurs couronnés de gloire et nantis de femmes magnifiques !
Ils étaient fous, et ils réussirent.
Rleï captura Arn-Eha.
Laïn, Délian-Ka.
Et Niya, le pauvre Niya, s’était rabattu sur une Akkah, une fille aussi laide que lui, issue d’un peuple misérable et pouilleux, mais il n’avait pas eu le choix, eu égard ses yeux lamentables.
Pourtant, ses faibles yeux furent, malgré leur brouillard, attirés par la clarté de Délian-Ka, la captive de Laïn. Niya sentit une sourde haine monter en lui. Cette fille, c’était elle qu’il lui fallait ! Il était prêt à tuer son frère pour ça !
Mais il n’eut pas le loisir de mettre son plan à exécution : les Moharn, sur la piste de leur Séritha, la Suprême Femme Sage, le chef de leur tribu, la jolie Arn-Eha, attaquèrent !
Ils rossèrent les Golan d’abondance, qui, écrasés sous le nombre, leur rendirent leurs proies.
Les autres les emmenèrent à leur campement, prisonniers.
Ils allaient mourir, c’était sûr, et leurs crânes rejoindraient ceux des précédentes victimes qui délimitaient, sur des pieux, les frontières du territoire Mohar.
En attendant le moment propice à leur supplice, les trois gars furent jetés, sévèrement garrottés, dans une cahute branlante, à côté des autres cabanes qui étaient érigées sous le vaste porche d’une grotte.
Il n’y avait pas une minute à perdre, on voulait les tuer le lendemain, à l’aube !
Les trois gars parvinrent, grâce à de l’eau, moult contorsions et une pierre de soutènement de la cabane aux arêtes bien vives, à se délivrer de leurs liens. Puis ils durent sortir de leur précaire abri sans alerter quiconque.
Rleï décida donc de sortir par le fond de la cabane, et de s’éloigner du campement Mohar en grimpant par le plafond de la grotte qui était plein d’aspérités salvatrices.
L’obscurité ne gênait en rien les Golan qui, comme tous les Néanderthaliens y voyaient dans la nuit comme les fauves. La nuit ne changeait pas grand-chose pour Niya qui, au lieu d’un grand flou clair, voyait un grand presque net sombre.
Ils grimpèrent donc, en varappe, s’accrochant de tout leur corps aux moindres aspérités, et sans faire un bruit. En dessous, sauf pour le guetteur près du feu et des deux idiots qui gardaient la cabane où ils avaient été enfermés, tout dormait.
Les trois abrutis, en bas, commençaient à dodeliner de la tête, attendant la relève qui viendrait au milieu de la nuit qui était encore loin.
Les trois garçons grimpaient le long de la falaise, ombres parmi les ombres, et ils atteignirent enfin le causse, sur lequel soufflait un vent glacial à décorner les aurochs !
Il fallait jouer serré. Les Moharn ne tarderaient pas à s’apercevoir de leur absence, et allaient se jeter à leur poursuite très vite !
Les trois jeunes gens décidèrent donc de faire croire qu’ils avaient fui au loin, alors qu’ils s’installèrent dans une toute petite grotte, à mi-hauteur de la falaise, à quelques centaines de mètres du camp des Moharn !
Toute la nuit, ils s’employèrent à parsemer le causse de faux indices, et ils gagnèrent leur refuge alors que l’aube blanchissait à l’Orient, et que les Moharn, là-bas, se réveillaient.
Ils restèrent terrés dans leur tanière pendant une pleine main de jours, puis, leurs provisions étant terminées, ils durent se résoudre à sortir afin de chasser.
Et là, ils trouvèrent enfin les proies dont ils rêvaient ! Rleï remit la main sur la jolie Arn-Eha, Niya, cette fois, tomba sur la très charmante Délian-Ka, et Laïn, lui, se précipita sur une créature qu’il considéra comme une splendeur, une fille dénommée Wang-Ka qui, comme Délian-Ka, inspirait à Arn-Eha, une sainte terreur.
Les trois femmes furent ramenées très rapidement dans les territoires orientaux des Golan.
Pendant toute une année les trois femmes furent soumises aux Golan et à leurs usages innommables.
Mais les Moharn suivaient de loin.
Et ils parvinrent eux aussi à proximité du camp de leurs ennemis, ces salauds qui avaient osé leur voler leurs meilleurs chamans et les plus belles filles qui fussent !
Alors que tous les hommes étaient partis chasser, Niya se contentait de ramasser quelques plantes et baies, ou récoltait du miel en échange de parts de venaison respectables, car Niya était le seul capable de récolter du miel sans se faire attaquer par les abeilles !
C'est alors qu’il pillait une ruche, que les Moharn le surprirent.
Bien que presque aveugle, le jeune homme était devenu très fort, et il se défendit âprement.
Un des Moharn eut finalement raison de lui qui lui passa son épieu durci au feu en travers du corps !
Mais les abeilles, dérangées par tout ce mouvement, attaquèrent à leur tour les assaillants, et ils n’eurent d’autre recours que de s’enfuir, ratant leur attaque surprise de ce fait.
Niya agonisait, sa lance en travers du corps.
Cependant, un événement stupéfiant eut lieu. Les Moharn récupérèrent les trois captives, mais ils disparurent, tous, d’un bloc, comme happés par Taïa-Araakh elle-même !
Même Niya, qui allait mourir, disparut, lui aussi, happé par la même force étrange.
Et c’est là que le plus extraordinaire eut lieu. Car les Moharn et le Gola avaient gagné un endroit inimaginable !
Une vraie légende chez les Marrakhéïn et apparentés ! Le Taïgorin ! Le Taïgorin où résidaient les Élus de Moïa !
A l’époque, les Moharn et les autres peuples ignoraient tout de cet endroit, et ils étaient bien loin d’imaginer de quoi il s’agissait au juste.
La jeune Sensitive revécut l’effroi et la stupeur de Niya quand il reprit conscience dans cet endroit inconcevable encore endolori, certes, étrangement fatigué, aussi, mais sauf ! Sauf et la tête encore toute bruissante de pensées incompréhensibles qui, petit à petit, s’organisaient pour lui donner le savoir de ses sauveurs.
Il avait atterri chez les enfants de ses enfants !
Les Explorateurs du Temps.
Ses sauveurs étaient les créatures les plus laides qui fussent. Mais ils disposaient d’un savoir magique redoutable, et il lui faisaient partager ce savoir.
C’était très bien, certes, mais qu’en était-il de Délian-Ka et des Moharn enragés ?
Alors qu’il se posait la question angoissante de son devenir, constatant au passage qu’on avait entouré son torse à présent rasé d’un bandage blanc en une matière étrange qui dégageait une odeur piquante, la paroi de la salle où il se reposait s’ouvrit sur Délian-Ka !
Elle était toujours aussi claire et aussi jolie, et il se dressa à demi sur son séant pour l’accueillir.
La jeune femme était embarrassée et avait l’air bien malheureux.
«- Niya ! Ainsi je n’avais donc pas fait un cauchemar ! Tout ça est bien arrivé ! Tu existes vraiment ! Je devrais te haïr pour ce que tu m’as fait, et j’aurais dû être ravie qu’on t’ait quasiment tué ! Je devrais même t’achever ! Pourtant, Mah m’est témoin que je ne voulais pas ça... Je... C’était horrible ! J’avoue que je ne sais pas quoi penser... J’aurais dû être ravie de ta mort, et je me rends compte pourtant que je n’aurais pas aimé voir ça ! Mais toi aussi, imbécile, tu ne pouvais pas me demander si j’avais une famille et des enfants, avant de me sauter dessus ? Je te signale que Laïn et toi êtes les seuls Golan, ici, et que les Moharn ne vont pas être tendres avec vous ! Enfin, tu es vivant, et tant mieux ! Mais je te préviens, espèce d’affreuse chauve-souris, ne t’approche plus JAMAIS de moi, sinon je te tuerai ! Je le jure sur la tête de mes enfants ! s’exclama-t-elle, les yeux étincelants et empourprée de colère.
- Mais... Délian-Ka, je t’aime, moi ! fut le seul propos lamentable du jeune homme.
- Ouais, ben ton amour, tu te le tailles en pointe et tu t’assieds dessus, non mais ! Qu’est-ce qui m’a foutu des gens pareils qui courent après les filles comme d’autres vont à la chasse ? En voilà, des façons ! Je t’aurais peut-être aimé, imbécile, si tu avais été un Mohar respectueux des femmes ! Mais vraiment, les usages de ta tribu, c’est un scandale ! Je m’en vais, tiens, parce que tu me révoltes ! Ta seule vue me donne envie de vomir ! Je me demande finalement si c’est un bien que les médecins d’ici t’aient sauvé ! Crève, mais crève donc, charogne ! ! !».
Et la petite furie aux longues boucles d’ivoire s’en alla en refermant bruyamment la paroi derrière elle, paroi qui s’en brisa d’ailleurs !
En proie à un chagrin immense, le jeune homme voulut mourir et arracha de son bras les étranges choses souples pleines de liquide rouge -du sang ?- qui y pénétraient !
Pis ! Il se leva, se dirigea vers un endroit où se trouvaient ses vêtements à présent en loques et tachés de sang, trouva sa besace, prit à l’intérieur son couteau de pierre et, fou de chagrin, se tailla les veines !
Ce avant de se jeter par le trou qui se trouvait dans la paroi, juste à côté de la couche étrange où il avait gési quelques temps.
Il tomba de quatre étages, et ne dut qu’à son exceptionnelle constitution d’en sortir indemne, car, comme tout bon chasseur qui se respectait, il avait appris à tomber, et savait comment éviter le pire. Son instinct de survie seul lui avait évité de se fracasser le crâne sur le béton de la dalle de la véranda, en contrebas.
Mais la cruelle déclaration de Délian-Ka, tout le sang qu’il avait perdu, et qu’il perdait encore à flots, le fou, eurent raison de sa résistance. Sa vue se brouilla encore plus, si c’était possible, et il sombra de nouveau.
Il revint à lui dans l’étrange petite grotte toute blanche où il s’était retrouvé tantôt, et fut accueilli par un homme franchement affreux qui s’exclama à sa vue, et dans une langue qu’il n’avait jamais entendue et qu’il comprenait pourtant :
«- Té ! Bonne Mère ! Voilà ce grand fada qui revient à lui ! Et alors, pauvre couillon, tu peux me dire ce qui t’est passé par la coloquinte ?
- À quoi bon vivre si elle me hait ? s’entendit dire Niya, stupéfait, dans l’étrange idiome.
- Mais toi aussi, pauvre falourde, quel besoin avais-tu d’agresser la petite Délian-Ka comme ça ? C’est des manières de sauvages, ça ! D’ailleurs, ton taré de frangin est ici aussi, et Dieu seul sait comment il a réussi à tourner la tête de Wang-Ka ! D’ailleurs c’est pas que la tête qu’il lui a tournée, oui ! Ah c’est du joli, les mœurs des Golan ! Sade n’a qu’à bien se tenir ! Mais vous êtes tous de dangereux psychopathes, dans ton peuple, ou quoi ? s’exclamait l’étrange bonhomme, d’une voix tonitruante avec de grands gestes et un accent que Niya comprenait difficilement.
- Mais... Ce sont nos usages ! Et d’ailleurs, je n’ai pas fait de mal à Délian-Ka ! J’ai juste obéi aux usages de mon peuple ! se défendit Niya, rencogné sous le déluge verbal de cet abracadabrant type franchement très moche.
- Les lois de ton peuple ! Et la dignité de cette pauvre petite ? Dieu sait que les Moharn et leur mœurs m’ont dépassé, voire choqué, au départ... Mais vous autres, les Golan, vous remportez le pompon, et sans jeu de mots vaseux ! Ma parole, si l’homme moderne tient du chimpanzé, le Néanderthalien tire du bonobo ! Quelle santé ! Mais tout de même, il faudrait demander leur avis aux filles, d’abord, tu ne crois pas ? ? ? Et en plus, je te signale, espèce de pauvre falabraque, qu’elle est enceinte jusqu’aux yeux, la Délian-Ka ! Et enceinte de toi, on le sait, l’analyse génétique le prouve ! ! ! Franchement, qu’est-ce qu’elle va en faire, de cette crevette, surtout si elle a une aussi sale gueule que toi ? Depuis que je bosse ici, j’en ai vu, des Néanderthaliens, mais toi, tu remportes la palme de la laideur ! Non mais quelle audace ! Un type aussi affreux que toi qui ose porter la main sur cette mignonne petite Délian-Ka qui est gentille comme tout, en plus ! NON MAIS TU N’AS PAS HONTE ? ? ? se fâcha le bonhomme, soufflant une haleine infecte pleine de postillons dans le nez camus de Niya, tout en le secouant comme un prunier et réveillant la douleur de sa blessure.
- Elle attend un bébé ? Pourquoi ne me l’a-t-elle pas dit ? Si elle attend un bébé, c’est que Moïa est d’accord ! fut l’argument du jeune Néanderthalien ahuri et quelque peu terrifié par ce type tonitruant et hideux qui empestait.
- Moïa ! Elle a le dos large, ta Moïa ! Je te signale qu’elle était déjà mariée ! Et mère de famille ! Et qu’elle ADORE son mari et ses enfants ! Et que toi, espèce de grande brute, tu as détruit sa vie ! Oui ! DETRUIT SA VIE ! Et son couple ! C'est qu’il est jaloux comme un tigre l’Enah-Ohar ! Et que tu as intérêt à numéroter tes os avant, parce que s’il te rencontre, je ne donne pas cher de ta peau tatouée et velue ! Il serait foutu de t’écorcher vif, et de tanner ton cuir pour s’en faire un costume neuf ! C’est qu’ils ne sont pas méchants, les Moharn qui travaillent et vivent ici, ils sont juste un peu sourcilleux et susceptibles ! Pour ne pas dire un peu coléreux ! Ah, ils ne sont pas stupides non plus, puisqu’ils ont réussi à apprendre, tout comme toi, d’ailleurs, tout notre savoir, mais ils ont un caractère un peu entier, tu vois ! Dès que tu seras sur pieds, je t’expédierai avec ton fou de frère chez mon ami Kospodine, directeur de la base inter temporelle ! expliqua le hideux et puant zigomar.
- Quoi ? fit Niya, qui n’avait pas tout saisi de la tirade.
- Oui, les Moharn ne peuvent pas saquer les Golan ! Et moi, même si les Néanderthaliens me passionnent, je préfère les garder VIVANTS et en bonne santé, si possible ! Alors, quand tu seras guéri, ton frère et toi partirez pour , parce que je n’ai pas vraiment envie de vous retrouver découpés en petits morceaux délicatement cuits à la broche et avec vos crânes an guise de presse-papier sur mon bureau, moi ! Vous avez assez fichu la merde comme ça, les Golan ! Maintenant, ça suffit ! fit le gars, sévère.
- Alors, je ne verrai plus Délian-Ka ? Jamais ? fit Niya, totalement abasourdi et désespéré.
- Ah ça non, alors ! Il n’en est pas question ! Tu lui as suffisamment causé du tort comme ça, à Délian-Ka ! fit le type, encore plus teigneux.
- Oh non ! Par pitié ! Si je ne la vois plus, j’en mourrai ! fit le pauvre Niya, désespéré, et fondant lamentablement en sanglots, sous le regard stupéfait du bonhomme.
- Mais enfin, c’est si tu restes ici et la voies encore, que tu mourras ! fit le moderne, sidéré.
- Si je ne la voie plus, je mourrai aussi ! Je n’ai plus rien à perdre ! Je ne peux pas vivre sans elle ! Je l’aime ! Je l’ai aimée dès que je l’ai vue ! Délian-Ka, c’est Moïa qui est descendue sur Terre ! Oh, par pitié ! Ne m’éloigne pas d’elle ! Sans elle, je préfère encore mourir ! supplia le jeune homme, pitoyable, sa vilaine figure camuse inondée de larmes.
- Mais enfin, pauvre innocent, est-ce que tu lui as jamais dit, que tu l’aimais ? Je te signale que si elle l’avait su, elle te haïrait peut-être un peu moins ! dit le savant.
- C’est vrai que je l’ai soumise aux usages des miens, mais je ne l’ai jamais rudoyée... Enfin, pas plus que nécessaire ! Oh, Moïa ! Mais pourquoi suis-je né chez les Golan et pas dans un autre peuple ? Délian-Ka, c’est toute ma vie ! J’ai même rêvé d’elle quand j’étais petit, et je savais qu’un jour je la rencontrerai, et que je l’épouserai ! Je savais en plus qu’arriverait quelque chose d’extraordinaire à ses côtés ! Ne m’éloigne pas d’ici, je t’en supplie ! Je dois la voir ! Je dois lui expliquer ! Je dois tout lui dire !».
Consterné par l’état où se trouvait le blessé - tous les monitorings auxquels il était relié clignotaient de manière inquiétante et une alarme s’était déclenchée !- le moderne sortit en courant, partant à la recherche de Délian-Ka que son époux avait cruellement rejetée.
Il avait même frappé la jeune femme quand elle lui avait avoué qu’elle attendait un enfant de Niya ! Et puis, il s’était enfui en Atlantide, où il avait des amis.
Délian-Ka, au comble du désespoir faillit commettre là une bêtise plus grosse qu’elle. Mortifiée par le rejet de ceux qu’elle aimait, au tréfonds de l’angoisse, elle décida de se débarrasser de l’enfant qu’elle portait, la mort dans l’âme et en utilisant une méthode qui faillit la laisser bel et bien morte !
On l’avait retrouvée exsangue dans les toilettes du Niveau I de la base , la main encore crispée sur l’esquille d’os qu’elle avait utilisée afin de réaliser son sinistre projet.
On l’amena donc d’urgence à l’infirmerie à elle aussi.
Il va sans dire que les médecins de l’endroit la tancèrent d’importance, lui disant en long, large et travers qu’il y avait des méthodes plus modernes pour interrompre une grossesse bien moins risquées que la sienne !
Et en plus, selon les usages des siens, attenter à la vie d’un enfant, même en gestation et non désiré, c’était quand même un crime ! Ce à quoi Délian-Ka répliqua qu’elle préférait plutôt mourir que de donner le jour à l’Alien qui grandissait en son sein et qui, malgré sa tentative, était resté fermement accroché !
Serge Matthieu, le directeur de la base , l’homme qui avait déjà sermonné Niya suite à sa tentative de suicide, alla voir la jeune femme à l’infirmerie :
«- Délian-Ka ! Mon petit ! Mais enfin ! Je croyais que pour toi les enfants étaient sacrés ?
- C’est pas un enfant, ce que j’attends ! Ça sera un de ces maudits Golan de merde, un futur Chasseur de Femmes, un briseur de foyers et de familles ! Je me refuse à donner le jour à un tel monstre ! protesta-t-elle, véhémente.
- Ma Déliankounette, sache que Niya préfère la mort que de vivre sans toi ! Ce petit est bien moche, je te l’accorde, mais je ne crois pas que ce soit un mauvais bougre ! Tu sais, je crois qu’il est autant victime de ses coutumes que toi ! En tout cas, je n’avais jamais vu un Néanderthalien pleurer jusqu’à aujourd’hui, moi ! Et ce pauvre petit, je te signale, a voulu se suicider pendant que toi, tu commettais tes exploits abortifs de ton côté ! Mais enfin, les petits, avez-vous perdu toute raison ? Je croyais, du moins c’est ce que vous avez revendiqué à grands cris depuis que vous êtes ici, que vous étiez intelligents et sensés, tout Néanderthaliens que vous êtes, tes amis et toi ? Enfin, quel gâchis ça a failli être ! Ce petit qu’on a sauvé après cinq heures sur le billard et toi ! Toi que je connais depuis bientôt cinq ans et que je considère quelque part comme ma fille ? Et ce pauvre gamin à demi-mort ? Il ne savait pas que tu étais enceinte de lui ! Écoute, tu devrais au moins le lui dire, tu ne crois pas ? Quitte à ce qu’il s’en aille avec le bébé une fois qu’il sera né ! proposa le savant.
- Mais tu me jures qu’il s’en ira, hé ? gronda-t-elle, dardant sur le savant des yeux étincelants de colère.
- Oui, oui, il s’en ira, n’aie pas peur ! Quand le petit sera né, il partira avec, je te le promets ! Mais toi, tu es sûre de ne pas t’attacher à ce petit bébé ? fit le savant.
- Sûrement pas ! Jamais ! Moi, aimer l’enfant que m’a fait le type qui m’a violée ? Sûrement pas ! Parce qu’il M’A VIOLÉE, je te signale ! Bien sûr, il ne m’a pas fait de mal, pas violentée au sens propre du terme, mais il m’a quand même prise contre ma volonté, pour la bonne et simple raison qu’il m’avait camée avec une infusion malhonnête, et que je n’étais pas libre de mes mouvements ! Je me dégoûte, si tu veux le savoir ! Parce que ces maudits Golan rendent les filles folles de volupté et de désir et qu’elles ne sont plus responsables de leurs actes ! Je voudrais mourir ! Oui, MOURIR ! Parce qu’Enah-Ohar, au lieu de me consoler, tu sais ce qu’il a fait ? Il m’a laissée tomber comme un vieux pagne usagé, et en plus, il m’a battue ! Oui, il m’a battue quand il a appris que j’attendais un petit de cette espèce d’Harsch Eïa de Niya ! Et tous les Moharn qui sont ici nous regardent avec dégoût et horreur, à Wang-Ka et moi, comme si c’était de notre faute si nous avons été capturées ! Wang-Ka ne l’avait pas fait exprès, et moi, on m’avait demandé de la suivre pour tenter de la sauver... J’ai obéi et regarde ce qui m’arrive ! Cet abruti d’Enah-Ohar, que Mah lui pourrisse les gonades, est parti à Aorapolis, en Atlantide, sur cette île de fous, avec les enfants ! Mah sait ce qu’ils vont devenir ! Et moi, tout le monde me méprise et me hait ! Pas autant que je me hais moi-même ! Je me dégoûte, je me fais horreur ! Ma vie est foutue ! Foutue ! Maudit soit le jour où tes copains et toi nous avez sauvés alors que nous allions mourir ! Quand je vois ce qui nous est arrivé, nous n’étions pas dignes de vivre !».
Et la pauvre Délian-Ka fondit en larmes dans le giron du moderne bien malheureux de voir ses protégés d’outre temps dans cet état !
Une union mentale bouleversante...
Niya se remémorait toute sa vie comme si tout cela venait de se produire... On en arriva enfin avec son ultime dispute avec Délian-Ka, et à leur séparation... Cela faisait bientôt une année qu’il n’avait pas revu sa femme, et là, Moïa seule savait pour quelle raison, la pâle et ravissante Moéha se retrouvait, elle aussi, à écumer les étoiles, et dans les tripes d’un monstre spatial, qui plus est !
La jeune Sensitive interrompit sa liaison télépathique avec le jeune homme, apitoyée, tout de même, par sa détresse.
Niya pleurait toutes les larmes de son corps, et la Sensitive, être éminemment doué d’empathie s’il en fût, pleurait tout autant. La douleur qu’elle percevait chez le jeune Gola était vraiment terrible.
Mais aussi, pourquoi les Golan, Rakhéïn, Marrakhéïn et autres Vaaïn avaient-ils des mœurs pareilles ? C’était franchement très moche, d’avoir de tels rites ! Finalement, ça rendait tout le monde malheureux, autant les hommes que les femmes !
Et pourtant, ils continuaient, et ils persistaient, en prime, alors qu’ils étaient la honte du Paléolithique Moyen !
La plupart des autres tribus n’avaient pas des usages si tordus et même si certaines s’adonnaient au cannibalisme, c’était tout de même moins moche, finalement !
Finalement, elle avait bien fait de fuir son clan et son monde natal, tiens ! Au moins elle n’était pas tombée si bas, et elle pouvait se consacrer tout entière à son art, qui était de soulager les misères humaines grâce à des dons remarquables.
Elle sécha ses larmes et s’éloigna doucement de Niya, pensive.
Elle se retira dans ses appartements, s’assit en tailleur sur le sol, et pria, médita, comme jamais cela ne lui était arrivé de toute sa jeune vie.
Elle priait pour Niya, pour tous les pauvres gens perdus dans le Cosmos, et, surtout, pour la pauvre Délian-Ka et les femmes en général.
Alors que son esprit s’était élevé enfin vers de hautes sphères et la sérénité absolue, elle reçut de plein fouet l’impulsion mentale de la Chose Tapie Dans Les Étoiles !
C’était atroce ! La haine et la peur à l’état pur ! Une terreur sans nom la fit redescendre dans la dimension des humbles mortels, et elle s’enfuit hors de chez elle, à la limite de la rupture d’anévrisme, taraudée par une migraine particulièrement douloureuse et horrible !
Niya avait lui aussi ressenti l’attaque mentale, mais de plus, que sa nouvelle amie y était exposée au risque d’en mourir !
Il vola à sa rescousse de son côté, et ils finirent par se heurter de plein fouet, s’assommant à-demi après s’être donné un violent coup de torus sus-orbitaire qui résonna avec un méchant bruit creux, exactement comme les crânes des cerfs ou des bouquetins en rut, quand les mâles se combattent pour le privilège de féconder la harde !
Ils churent chacun sur leur séant, protestant, évidemment, puis s’entraidèrent pour se relever, avant d’unir à nouveau leurs esprits contre le monstre spatial, faisant fi de ce qui pouvait se passer autour d’eux.
Horreur ! IL était là ! Presque à portée de main, tout près de la base spatiale !
Une fringale ultra colossale.
Dans le Q.G. de la base spatiale, tous les scanners et ordinateurs signalaient l’objet inconnu qui s’approchait. Les armes automatiques de la base, de puissants lasers et désintégrateurs, se mirent à tirer vers le secteur spatial d’où la Chose approchait, toutes les tentatives rationnelles, hyperondes et autres radios s’étant avérées inopérantes.
À la troisième sommation, lancée via tous les canaux d’émission, toutes les ondes possibles et imaginables et même en morse grâce aux feux de signalisation de la base, l’Enfer se déchaîna.
Les traits de feu des lasers atteignirent de plein fouet l’objet étranger qui s’approchait toujours...
Horreur ! La Chose, nourrie par l’énergie lumineuse, se mit à grossir, grossir, GROSSIR, GROSSIR encore !
La monstrueuse amibe, plus fluorescente et pulvérulente que jamais, engloutit la base en son sein mou et corrosif ! ! !
Les panneaux blindés qui protégeaient les extrémités du cylindre cosmique se fermèrent tous d’un coup sec qui résonna à travers lui comme un coup de tonnerre ! Les alarmes hululaient et les gens se réfugièrent dans les abris conçus justement pour pallier ce genre d’attaque et de danger.
Sauf Niya et la jeune Sensitive, oubliés dans leur jardin hydroponique, plongés tous deux dans une transe très profonde, qui les avait mis tous deux dans une catalepsie proche de la mort.
Les âmes des deux Néanderthaliens, tels deux diamants bruts de lumière, s’unirent, sur un plan inaccessible au commun des mortels, pour former un diamant plus gros et plus brillant encore, qui plongea dans le magma de ténèbres qu’était la Chose dans cette dimension spirituelle.
La Lumière chasse les Ténèbres, c’est bien connu.
Et cela était vrai, à quelque époque, dans quelque Univers qu’on se trouvât.
IL, brûlé aux tréfonds de son esprit, engloutit, sans le savoir, ceux qui allaient le tuer.
Ses ténèbres manquèrent éteindre la brillante luciole mentale qui s’insinuait dans ses méats les plus secrets. Mais à chaque fois, la luciole le brûlait férocement...
Et les esprits mêlés des deux chamans préhistoriques découvrirent l’inconcevable ! L’espèce d’amibe qui tentait de les dévorer était un conglomérat d’acides aminés et de protéines, issu des nuages spatiaux des nébuleuses galactiques et interstellaires... En chemin, il avait croisé une émission radio qui était la transmission d’un programme informatique multi-agents, chassé d’un supercalculateur terrestre au vingt-et-unième siècle, Xana ! Ce programme avait investi le conglomérat de protéines et d’acides aminés, et lui avait donné une intelligence. Le programme, au lieu d’être installé dans des processeurs de silicium ou autre, était désormais le système opérationnel d’un ordinateur protéinique, biomécanique, dont la nourriture et l’alimentation étaient l’énergie stellaire et quantique de l’espace et l’énergie électrique et mentale de toutes les créatures vivantes qui avaient le malheur de croiser son chemin ! Et là, entre deux galaxies, il n’avait plus assez d’énergie pour se propulser vers la Terre et se venger enfin de l’humanité qui l’avait créé et la détruire une bonne fois pour toutes !
Finalement, la luciole formée par les esprits des Néanderthaliens atteignit un conglomérat gris et grumeleux dans lequel brillaient d’un feu bien faible, d’autres lucioles...
Les deux âmes unies passèrent des heures à redonner leur énergie à ces âmes endormies et en perdition... Mais une force inexprimable palpitait à travers eux qui leur donna l’énergie nécessaire à cette tâche redoutable...
Sur le plan matériel, l’entité cosmique à l’allure de vomi radioactif se rétracta avec un très vilain cri, et explosa avec de magnifiques effets de lumière. Les astronomes de la Galaxie entière, dans ce secteur temporel, se demandèrent quelle pouvait bien être l’étoile inconnue qui venait d’exploser avec d’aussi belles et étranges couleurs.
Une fois l’énergie effroyable et les radiations les plus mortelles dissipées, leurs télescopes découvrirent le cœur de la supernova.
Un long cylindre qui n’aurait jamais dû se trouver là, et une espèce de grosse boule d’une matière vitrifiée, translucide, sombre, toute boursouflée et grumeleuse encore plus grosse que le cylindre spatial, du moins en apparence.
Tous les mondes galactiques appelèrent cette chose le MACHIN, sans savoir au juste de quoi il s’agissait.
Les ordinateurs de la base spatiale se mirent tous à buguer et à afficher le sigle étrange qui était le symbole de Xana !
LE MACHIN DANS LA MACHINE.
Un homme d’équipage du Nimbus III, le pithécanthrope mal abouti Marchal, ressorti de sa dimension parallèle, découvrit Niya et la jeune Sensitive inanimés, étrangement enlacés.
Il avait voyagé quelques jours dans une dimension particulièrement horrible, et ce qui était revenu de là ressemblait à un zombi, aux yeux fous, dans lesquels brillaient le même symbole que sur les écrans des ordinateurs de la base spatiale !
Il ricana cruellement, pensant tenir là sa vengeance.
A l’aide d’un robot éboueur, il embarqua les deux Néanderthaliens plongés dans un inexplicable coma, et les précipita, tête la première, dans l’incinérateur de la base, qui n’était autre que le tokamak qui donnait l’énergie à ce lieu étonnant !
Les deux Néanderthaliens, inconscients, plongeaient vers le cœur de braise incandescente qui garantissait la survie de tous les gens de ce coin perdu d’Univers...
Mais, au moment où les deux corps toujours enlacés allaient brûler dans le feu infernal, une force inexplicable les fit remonter à toute vitesse hors du tokamak, tandis que Marchal, toujours ricanant de son minable triomphe tombait à son tour dans le tokamak, sans réaliser ce qui lui arrivait !
Le vide-ordures était proche du hangar de la base... Les deux Néanderthaliens, en transes, lévitant, se posèrent doucement sur le sol du centre d’opérations qui dirigeait les spatiodocks...
Les techniciens, effarés, s’enfuirent, laissant les deux primitifs seuls.
Commandés par une force inexprimable et inexplicable, les ordinateurs de la base envoyèrent un convoyeur automatique récupérer le MACHIN dehors.
Les spatiodocks s’ouvrirent donc automatiquement pour laisser passer l’appareil qui revint bientôt en poussant devant lui la mystérieuse sphère grumeleuse qui, ainsi que le constatèrent tous les témoins de la scène, électroniques ou autres, ne dépassait pas la taille d’un modeste aviso de ligne.
Le convoyeur lâcha son fardeau qui toucha le sol métallique avec un son sourd.
Niya et la jeune Sensitive revinrent alors à la conscience.
«- Moïa ! J’ai pas rêvé ? fit Niya, se frottant les yeux avec énergie.
- C’est l’œuf de Taïa-Araakh, cette chose, ou quoi ? fit à son tour la jeune Néanderthalienne, tout aussi stupéfaite que son ami.
- C’est le cœur du monstre de l’espace ! Il y a Délian-Ka et plein d’autres personnes dedans ! Il faut l’ouvrir ! Sinon, ils vont périr, lentement digérés par cette saloperie ! fit Niya.
- Et avec quoi veux-tu faire ? demanda la jeune Sensitive.
- Il y a un laser puissant, là ! dit Niya, désignant un gros tube qui se trouvait à proximité.
- Voilà bien les hommes ! Tout en délicatesse ! Si tu fais fondre cette chose, les gens qui sont enfermés à l’intérieur crameront eux aussi ! objecta-t-elle.
- Et alors ? Comment veux-tu faire ? fit Niya, pincé.
- Avec ça ! dit-elle, prenant une boîte à outils, et prenant un marteau et un burin qui se trouvaient à l’intérieur.
- Tsst ! Si tu arrives à ouvrir ce truc avec ça, tu t’appelles Wonder Woman, ma vieille ! rit-il.
- Tes références prouvent l’étendue de la culture que tu as acquise auprès de ces imbéciles de modernes... Ils ont dû penser, comme moi d’ailleurs, que tu étais trop stupide pour apprendre autre chose que regarder les images des bandes dessinées de quatrième zone du millénaire précédent ! fit-elle, méprisante.
- Ma parole ! Mais je vais finir par croire que les rites des miens étaient justifiés ! Tu es une vraie harpie, bon sang ! Le laser est trop fort... Le burin, ça va se casser ! Il y a sûrement un autre moyen ! Aide-moi à le trouver, au lieu de me dire des idioties désagréables et discourtoises ! protesta Niya.
- C'est ça ! Pour me faire arracher les yeux par ta Moéha enragée ! fit-elle.
- Ma Moéha n’est pas enragée, et elle a suffisamment de jugeote pour savoir reconnaître quelqu’un qui lui porte secours ! Et puis zut ! Puisque tu dois être désagréable, sois désagréable, mais SANS MOI ! Je me débrouillerai bien assez bien tout seul ! Allez, file ! J’ai assez vu ton museau noirâtre de musaraigne par ici ! ! !».
La Sensitive s’éloigna donc en haussant ses épaules rondes et délicatement veloutées -les mauvaises langues diraient velues- et laissa Niya face à l’énigme.
Il était épuisé. Mais il fallait agir vite, il le savait. Comment ouvrir cette coque siliceuse inviolable ?
S’accrochant aux aspérités, il grimpa sur le sommet de l’étrange objet, et remarqua, juste entre ses pieds nus, une très mince rainure.
Bon. Ça devait sûrement s’ouvrir... Oui, mais comment ?
Et Délian-Ka qui était enfermée là-dedans ! C’était vraiment trop injuste ! Si près et pourtant si loin !
Il crut en devenir fou. Il hurla comme un loup des steppes, s’arrachant les cheveux de désespoir... Cela dura un long moment, puis, épuisé par ce désespoir, il s’effondra, le nez juste sur la fameuse rainure.
Sans s’en rendre compte, il éclata en sanglots, et ses larmes tombèrent juste sur cette fine séparation...
Les larmes eurent un étrange effet sur la matière inconnue... Car la rainure se mit à fumer, avec un chuintement rien moins que rassurant !
Niya bondit sur le sol, horrifié, comme la sphère se mettait à fumer, de façon bien inquiétante !
Alors qu’il s’apprêtait à s’enfuir, dépassé par l’inconcevable, sous les hurlements des alarmes déchaînées, la sphère se ramollit, recrachant ses prisonniers un par un, comme un champignon ses spores !
Deux cents personnes, de tous lieux et de tous temps, mais majoritairement d’origine terrienne, furent recrachées par cette immondice spatiale.
La sphère finit de se dissoudre, laissant sur le sol du spatiodock un tas désordonné de gens de tous poils et de tous lieux, emmêlés en un désordre inextricable et tous profondément endormis.
Kanou, le retour de la revanche de la suite.
Niya, effaré, faisait le tour du tas de gens avec circonspection.
Nulle part, il ne voyait dépasser un pied, une main ou des cheveux blancs, qui étaient pourtant ceux de son aimée.
Par Moïa, la Néanderthalienne de lune était pourtant là-dedans, il le savait ! Et, par les tentacules de Taïa-Araakh, qu’est-ce que ça puait ! ! !
Se ressaisissant, il appela les secours qui n’attendaient que ça pour intervenir enfin.
Le dégagement de tout ce monde inanimé durait depuis environ une demi-heure, et toujours pas de Délian-Ka à l’horizon !
Niya, désespéré, déblayait le tas à sa façon, mais avec une telle véhémence que les secours durent y mettre le holà !
Les membres de la sécurité durent menacer de le mettre en prison pour qu’il cessât son harcèlement !
Finalement, la dernière personne du tas d’humains non identifiés fut en vue.
Une femme strictement voilée comme l’étaient les Arabes des pays du Golfe ou les indigènes de certains mondes lointains...
Les mains et les pieds qui dépassaient de ces voiles indigo étaient d’une pâleur de marbre, ou plutôt, opalescents.
Délian-Ka était en effet une Néanderthalienne rare. Elle présentait des couleurs qui ne se retrouveraient pas chez les hommes modernes, et, quand Niya vit les pieds et les mains de l’étrange femme voilée, il sut que c’était elle !
Il écarta vigoureusement les infirmiers, rejeta les voiles de la jeune femme avec rage, et dénuda un être effectivement tout aussi archaïque que lui, mais aussi pâle et diaphane que lui était sombre.
Un long flot de boucles nacrées s’échappa de sous son voile, et Niya, bouleversé, pleurait à présent dans un tendre giron pâle, mais ravissant, finalement !
Elle reprit conscience, se rendit compte de qui la serrait contre lui, et lui lança un vigoureux coup de genou qui envoya bouler le pauvre Néanderthalien éberlué à dix pas de là !
Elle se releva d’un bond, à peine vêtue d’une diaphane tunique indigo, sortie Moïa savait d’où et de quand, et, brandissant un index accusateur, elle susurra, d’une voix tremblante de rage :
«- Toi ! Maudit ! C’est de ta faute ! C’est de ta faute si Enah-Ohar a fui en Atlantide en emmenant mes enfants et si j’ai dû affronter mille et un périls en partant à leur recherche !
J’ai failli me faire capturer par des marchands d’esclave, figure-toi ! Et en plus, dans le quartier pourri où Enah-Ohar s’était réfugié avec les gamins, j’ai failli me faire tuer nombre de fois !
Quand j’ai enfin pu les récupérer, je suis partie à bond d’un glisseur que j’ai volé à un Atlante... J’étais arrivée en vue de la côte et d’un camp d’Orkhasen quand cette chose monstrueuse à surgi du néant ! J’ai jeté les gamins par-dessus bord, et allai plonger à mon tour, quand cette saleté m’a saisie ! Peux-tu me dire OÙ et QUAND nous sommes ? ? ?
- Ben, tu es au trentième siècle de l’ère chrétienne... A l’autre bout de la Galaxie ! dit Niya.
- J’ose espérer que tu plaisantes ? fit-elle, glaciale.
- Non, tilia ! Tu as dormi cent mille ans ! dit-il.
- Quoi ? J’ai dormi tout ce temps et traversé tous ces périls pour trouver ta sale gueule au réveil ? Mais je suis vraiment maudite, ma parole ! ! !
- Kanou... tenta-t-il, bien vainement, le malheureux.
- JE NE M’APPELLE PAS KANOU ! ! ! JE SUIS DELIAN-KA WIN GAHA KOR MOHAR ! ! ! Essaie au moins de t’enfoncer ça dans le crâne, espèce de sale type ! fulminait-elle.
- Bien. Tu es saine et sauve. Et tes enfants sont chez les Orkhasen, à cent mille ans dans le passé, et à cent mille années lumières d’ici. Les gens qui sont ici et moi-même pouvons te ramener chez toi. MAIS A UNE CONDITION ! ARRÊTE DE M’INSULTER ET DE M’HUMILIER DE LA SORTE ! Finalement, tu pouvais y rester, dans ta boule, là ! Elle te digérait lentement, et, finalement, j’étais bien au calme, moi ! déclara Niya.
- Mais... fit-elle, soufflée.
- Ça fait un an que je te cherche partout, et que je fais n’importe quoi pour ne pas devenir fou à cause de ton absence ! Moi aussi, j’ai affronté des périls ! Moi aussi, j’ai souffert ! J’ai tout fait pour te retrouver, et maintenant, tu me craches dessus ? Tiens, prends ce radiant, et tire-toi donc dessus, ça résoudra notre problème à tous les deux ! Toi, tu n’auras plus à redouter l’horrible chasseur de femmes, et moi, je n’aurai plus à pleurer en vain après toi ! Je serai soulagé ! Libéré ! Allez, tire-toi dessus, et bon débarras, non mais ! ! !».
Et Niya s’en alla, étouffant un rauque sanglot.
Délian-Ka, trop stupéfiée pour pouvoir répondre, demeura plantée là.
Le capitaine du Nimbus III accorda une permission bien méritée à Niya, et lui offrit aussi une décoration, tout comme à la Sensitive de la base qui l’avait bien aidé à sauver tous ces gens.
Et quelles gens ! Des Grecs de l’Antiquité, des Atlantes, des Romains, des Perses, des Vikings, des gens du Moyen Age et même quelques quidams du XX° siècle !
Sans compter quelques extraterrestres grisâtres, à la tête hypertrophiée, évadés de quelques feuilletons célèbres et articles à sensation du millénaire précédent.
Ceux-là étaient complètement désorientés par ce qui leur arrivait, les humains, eux, issus d’époques anciennes, mettant leur aventure sur le compte d’un caprice divin.
La seule qui ne disait rien au milieu de tout ce charivari était Délian-Ka, qui s’était à nouveau cachée sous ses voiles bleus.
Elle suivait la troupe hétéroclite des rescapés comme dans un rêve, et refusait l’idée d’avoir pu être sauvée et récupérée par l’être qu’elle abhorrait le plus au monde.
Elle alla voir le capitaine du Nimbus III, ce Silnien d’origine Atlante qui était le commandant de Niya, et lui dit :
«- Je sais faire les mêmes choses que cet abruti noiraud et hideux. Prenez-moi à sa place. Je travaillerai pour vous jusqu’à ce que vous me rameniez à mon époque et parmi les miens, expliqua-t-elle.
- Je sais que Niya n’a pas bien agi avec toi. Mais il t’aime sincèrement, tu sais ! Je le connais assez pour savoir qu’il n’est pas un mauvais bougre. Il n’a pas passé un jour à mon service sans penser à toi. Bien souvent, quand je passais devant la coquerie où il travaillait, je l’entendais pleurer et soupirer en t’appelant ! Pour une Barbare, tu es très jolie, et il t’a vraiment dans la peau...
Ton époux, enfin, celui qui a emmené tes enfants en Atlantide, je le connais. C’est un individu louche, qui sème la zizanie dans les bas quartiers d’Atlantis. Il est allé en prison plusieurs fois, déjà ! Il est accusé de plusieurs meurtres et d’un nombre impressionnant de vols...
Prouve que tu vaux quelque chose en cessant de tenir rigueur à l’homme qui t’a sauvé la vie, plutôt que de courir après une canaille qui ne vaut pas la corde pour la pendre ! dit le capitaine.
- Mais de quoi je me mêle ? Niya serait Jésus-Christ en personne avec le sex-appeal d’Antonio Banderas, je n’en voudrais pas ! ! ! Ce n’est pas lui, que j’aime ! C'est Enah-Ohar ! ! ! Si jamais tu me parles encore de cet abruti de Niya, je jure par Mah que je me servirai de ton crâne comme de coupe à boire ! ! ! gronda-t-elle, pas commode, droite comme un I.
- Soit ! Les Terriens sont bien l’espèce la plus démente qui soit dans l’Univers et l’Espace Temps ! J’y comprendrai jamais rien, moi, à des gens aussi tordus !».
Et le Silnien donna congé à la blonde Néanderthalienne, concluant avec raison que les usages des uns et les attitudes des autres n’étaient peut-être pas étrangers à la disparition de cette étonnante espèce.
Le réveil des morts-vivants.
Les deux cents rescapés du cœur organique du superordinateur biomécanique squatté et créé par Xana n’étaient plus des humains normaux, mais bien de vrais zombis, possédés par l’intelligence artificielle maléfique...À minuit exactement, le système informatique de la base afficha le symbole de Xana, symbole qui, tel un stimuli hypnotique, éveilla chez les rescapés la possession par la maléfique intelligence artificielle !
Les deux cents malheureux, issus de toutes les époques et de tous les lieux investirent silencieusement les coursives et les jardins de la base endormie. Ils eurent le temps d’électrocuter à mort les rares surveillants de nuit, mais Niya et la Sensitive, Délian-Ka aussi, eux, s’éveillèrent, sachant qu’un danger imminent était là...
Les trois jeunes préhistoriques, via les couloirs de maintenance qu’ignorait Xana, se rejoignirent, étonnés, dans le QG secondaire de la base :
«- Mais... Regardez ! J’ai déjà vu ce signe ! dit Niya, surpris, avisant les écrans des ordinateurs et aussi les vidéos, dans lesquels on voyait les possédés s’avancer, les yeux étrangement nantis de ce signe aussi !
- Mais enfin, par Moïa, cette intelligence artificielle nommée Xana est vraiment l’œuvre de Taïa-Araakh, ma parole ! Et pourquoi elle, elle n’est pas possédée, comme les autres ? demanda la Sensitive, désignant Délian-Ka qui fixait les écrans avec horreur.
- Mah ! Et dire que ce maudit Xana a réussi à tous les posséder, sauf moi, parce que moi, je m’obstinais à fermer mon esprit de toutes mes forces ! Les malheureux ! Il faut faire quelque chose ! Il faut les sauver ! D’abord, éteindre le système informatique qui gère tout, ici : c’est par là que Xana agit ! dit la blonde Moéha.
- Et comment tu sais ça, toi, d’abord, cannibale ? lui lança la Sensitive, méprisante.
- J’ai été suffisamment sous l’influence de cette chose pour savoir de quoi elle est capable ! Je connais même toute son histoire ! C’est un jeune surdoué du vingt-et-unième siècle, Jérémie Belpois, qui l’a chassée de la Terre, pensant la détruire ! Elle était jusque là dans un supercalculateur et destinée à contrer un projet militaire effrayant ! Mais là, la seule chose que nous pourrons faire pour la vaincre, ça sera d’éteindre les ordinateurs, pire, de les débrancher, et d’assommer tous les possédés, de les immerger dans de l’eau ou de leur faire toucher des câbles pour que cette possession électromagnétique qu’elle exerce sur eux cesse ! expliqua Délian-Ka, d’une traite.
- Mais... Mais comment cette chose n’a-t-elle pas pu prendre possession de nous ? demanda la Sensitive, étonnée.
- Même si ça les énerve d’admettre ça, il faut croire que notre cerveau est plus solide et mieux fait que celui des modernes ! dit Délian-Ka, amusée.
- Oui, mais si ce Xana tente de nous électrocuter ? demanda Niya.
- Pour toi, ça ne sera pas une grande perte ! déclara, sarcastique, la pâle Néanderthalienne, décochant à son époux indésirable un regard plus tranchant que le silex le mieux taillé !
- Délian-Ka, par pitié, je ne t’embêterai plus jamais avec ça, je te le jure, mais là, nos querelles intestines n’ont pas place ! Tous les gens et même tout l’univers sont en danger, tant que cette intelligence artificielle sévit ! Il faut sauver les gens qui sont ici ! Et sauver le reste de l’univers aussi ! dit fermement le brun Néanderthalien.
- Bon, d’accord. Allez, on détraque tout !».
Et les téméraires préhistoriques, qui avaient acquis de solides bases en technique et en informatique se mirent donc à couper l’électricité, à débrancher tous les ordinateurs, à désactiver les unités centrales, et jusqu’au moindre petit appareil électrique ! Tous les systèmes qui géraient automatiquement la base spatiale furent donc totalement arrêtés, mais l’équilibre écologique qu’ils avaient aidé à maintenir ne fut pas rompu, des systèmes fonctionnant à l’énergie solaire et autonomes, en rien reliés à la maintenance informatique et au réseau du bord, prirent le relais, garantissant malgré tout la survie de tout le monde à bord.
Sitôt les systèmes désactivés, les possédés, qui avaient finalement investi les couloirs de maintenance et tentaient de forcer la porte du QG de secours, s’écroulèrent, comme un seul homme, au sol.
Les trois Néanderthaliens passèrent un bon moment à ramener chacun d’eux à leurs chambres respectives et à assurer aux morts que les possédés avaient assassinés, des funérailles décentes dans le tokamak de la base.
Hors alimentation, sans un calculateur pour fonctionner, et sans aucun courant électrique pour posséder un être vivant, Xana s’enfuit par l’antenne de l’émetteur de la base, qu’un dernier courant résiduel animait encore... Le programme maléfique, vaincu une fois de plus, s’enfuit, sous la forme d’un train d’ondes radio prêt à investir les supercalculateurs d’un monde suffisamment évolué pour connaître cette technologie...
Le lendemain, on rebrancha les ordinateurs et réactiva les systèmes... Plus aucune trace de Xana ne subsistait, et les deux cents rescapés de cette étrange aventure ne gardaient aucun souvenir de cette histoire insolite. Le directeur de la base appela à la rescousse les Gardiens des Siècles afin qu’ils prissent en charge les rescapés et les rapatrient dans leurs mondes et leurs époques respectifs.
Une fois de plus, l’univers l’avait échappé belle ! Mais jusqu’à quand ?
FIN