Dernière édition le 18 mai 2008
Le vent soufflait sur la plaine, couchant l'herbe haute et verte avec force. Les bois qui l'entouraient étaient agités, les troncs des plus vieux chênes craquaient, les branches se brisaient et s'écrasaient au sol dans un bruit sinistre. L'obscurité commençait à s'installer et les nuages gris qui se profilaient à l'horizon allaient bientôt tout recouvrir. L'air qui était froid se rafraîchit encore et le vent prit plus d'amplitude. Un éclair déchira soudain le ciel accompagné d'un grondement sourd et sinistre. L'orage arrivait pourtant rien de tout cela ne semblait troubler les deux personnes qui se tenaient au milieu de la plaine. Debout, immobiles, face à face, ils se regardaient les yeux dans les yeux, totalement indifférents aux élément qui se déchaînaient autour d'eux. Ils se contentaient de se fixer intensément, ne cillant à aucun moment, leurs poings serrés sur les manches de deux katanas. Deux yeux sombres qui en fixaient deux autres sans que cela n'évoque plus rien. Pourtant ils avaient été si proches... Elle le connaissait parfaitement, aussi bien qu'il la connaissait... Mais ils étaient là, prêt à s'affronter dans un duel sans merci...un combat à mort. L'un d'eux devait mourir. L'un devait tuer l'autre pour continuer à vivre. Ils se devaient de s'entretuer pour déterminer le camp vainqueur... L'un d'eux allait mourir. Le tonnerre gronda, un éclair illumina le ciel et une fine pluie commença à tomber sans que cela ne change quoi que ce soit dans leur attitude. Aucune émotion ne transparaissait sur le visage durs et fermés. Comme s'ils étaient vides de l'intérieur. Comme si cet amour qui les avait réunis par le passé avait totalement disparu. Ils n'étaient plus que des machines...des engins qui colportent la mort au nom de leurs camps respectifs... et aujourd'hui ces deux camps qui avaient tout fait pour les éloigner par le passé, les réunissaient à nouveau. Un face à face qui déterminerait de l'avenir. Aussi étaient-ils là, sous une pluie qui prenait davantage de force, à se fixer, n'attendant ne serait-ce qu'un geste de l'autre pour attaquer et frapper. Seulement aucun d'eux ne bougeait... Rien ne les retenait pourtant ils étaient totalement immobiles... Même le froid intense ne parvint pas à les faire frissonner. Rien, pas même un battement de cil ni même un souffle trop rapide. De véritables statues... Mais chacun d'eux savaient que lorsque l'autre s'animerait, il lui faudrait réagir. Pourtant, malgré tout ce qu'ils croyaient l'un comme l'autre, le poids du passé leur pesait...Malgré leur formation, malgré les années, ce passé les avait rattrapé... Des lèvres s'animèrent soudain et un visage s'anima.
-Tu vas mourir, déclara l'homme d'un ton calme.
Et pour toute réponse, elle s'élança...
Le tonnerre grondait au dehors et l'empêchait de se concentrer pourtant il devait trouver quelque chose. Il entendit des craquements, un bruit mat de chute et songea vaguement que l'un des arbres de la forêt qui l'entourait devait s'être effondré non loin de lui. Il savait pertinemment que la petite cabane de bois dans laquelle il se trouvait ne le protégerait pas si l'un de ces arbres venait à tomber sur lui mais il se contentait de ne pas y penser. Il se détourna de la table de bois sur laquelle étaient étalés des papiers de toutes tailles et de tout genre et il lui tourna le dos pour faire face à la cheminée dans laquelle un feu brûlait sans pitié les écorces des bûches. L'homme fronça les sourcils en passant une main dans ses cheveux blonds en bataille et il se maudit intérieurement comme il le faisait depuis le début de cette guerre. Comment avait-il pu être aussi stupide ?
La porte s'ouvrit soudain violemment et il se retourna vivement en extirpant le poignard du fourreau qui pendait à sa ceinture. Il le pointa en direction de l'entrée, prêt à en faire l'usage pour se défendre mais il l'abaissa rapidement en voyant la personne qui lui faisait face.
-Je t'avais dit de ne jamais venir ici ! fit l'homme durement.
Une jeune fille svelte et à l'allure athlétique pénétra dans la cabane en refermant la porte derrière elle. Elle était dégoulinante d'eau de pluie, ses vêtements miteux collaient à sa peau et ses longs cheveux bruns dissimulaient son visage. Elle leva son regard saphir sur lui et sourit durement.
-Je n'ai pas eu le choix, déclara-t-elle.
-On t'a suivi ?
-Bien sûr que non.
-Que viens-tu faire ici ?
-Le combat a commencé Jérémie.
Ce dernier se crispa, tout son corps se tendit et il sortit sans plus attendre, sans prêter attention à la pluie qui lui martelait le visage avec un seul objectif. Le trouver...
Les éléments se déchainaient et dans la plaine, des étincelles apparaissaient, de plus en plus fréquentes, dues aux chocs des deux lames l'une contre l'autre. Il lui attrapa soudain le poignet alors que sa lame rencontrait la sienne et il lui sourit.
-Tu n'as aucune chance, lui dit-il.
Elle lui rendit son sourire, tourna sur elle même en se baissant, tenta un croche pied qu'il évita et elle s'éloigna en le fixant avec un air de défi.
-Tu te crois plus fort, n'est ce pas ? demanda-t-elle en amenant sa lame étincelante devant son visage.
-Je vais te battre, assura-t-il.
-Je demande à voir...
Ses cheveux noirs volèrent tandis qu'elle s'élançait avec grâce et rapidité. Elle le survola d'un salto parfaitement exécuté et s'apprêta à le frapper dès sa réception mais il la para et son sourire s'agrandit.
-Je vais te tuer, fit-il avec un sourire carnassier.
-On ne peut tuer quelqu'un qui est déjà mort, répondit-elle en approchant son visage tout près du sien. Et tu m'as déjà tuée, il y a bien longtemps, Ulrich ...
Il perdit son sourire et l'attaqua alors avec plus de force, plus de hargne et il réalisa soudain... La colère s'emparait de lui. Elle le connaissait trop...
La pluie n'épargnait personne, les éclairs se multipliaient pourtant, même lorsque l'un d'eux s'abattit au bas d'une colline proche de cette même forêt, personne n'y prêta attention. Des centaines de personnes l'ignorèrent... trop occupées à se battre.
-Protégez le flanc droit, ordonna un jeune homme du haut de la colline.
Il observait le combat avec assiduité et jugeait des faiblesse de son propre camp. Il l'avait fait tellement de fois. Observer pour mieux ordonner et mieux ordonner pour gagner. Et gagner quoi ? juste le droit de recommencer ... Cette guerre n'avait pas de fin. Ces combats étaient sans issue... Cette haine n'avait pas de limite... Pourtant, ils continuaient tous à se battre, ils se défendaient pour des valeurs en lesquelles ils croyaient tous, pour une liberté qui ne pouvait leur échapper, pour des droits auxquels ils avaient droits... Alors ils luttaient, encore et encore... Pourtant ce jour semblait infini... interminable... Levant les yeux au ciel, il contempla la colère des cieux en priant que pour que les Dieux aient pitié d'eux... Ils avaient fait tant de mal... Cette guerre allait tout détruire... Et en reportant son regard sur la bataille qui faisait rage entre son camp et celui de son adversaire, il songea à celle pour qui tout avait commencé, un ange aux cheveux roses dont l'avenir était maintenant bien incertain...
quelques années auparavant.
-A nous, s'écria Aelita en riant, levant son verre d'alcool dans les airs.
-A nous, répétèrent ses quatre amis de bon cœur.
Ils trinquèrent, les yeux brillants, des sourires lumineux éclairant leurs visages, une expression de joie pure sur chacun de leurs traits. Ce soir était un soir spécial, un soir béni entre tous et ils le fêtaient ensemble. Réunis chez Yumi pour toute la nuit, ses parents étant absents, il fêtaient leur victoire...
-Aaaah, soupira Odd en s'adossant à sa chaise, enfin la paix.
-Un monde sans Xana, je n'osais plus en rêver, gémit Aelita, des larmes de bonheur coulant sur ses joues roses.
Ils rirent tandis que Yumi la prenait dans ses bras avec tendresse. Après des années de lutte, ils avaient enfin réussi. Ils l'avaient vaincu, ensemble ! Aelita était libre. Et pour cela, elle pleurait pour la cinquième fois de la journée.
-Allez princesse, claironna Odd, ce n'est pas le moment de pleurer. Tu es des nôtres...
Et il commença à chanter d'une voix horriblement fausse. D'un réflexe commun, ils posèrent tous leurs mains sur leurs oreilles, pour se protéger de ce son infâme, mais Ulrich n'en supporta pas plus et il sauta sur Odd, le faisant tomber à terre en même temps que lui.
-Eh, cria celui-ci, ça fait mal.
-Au moins tu ne chante plus, souffla Ulrich en se relevant avec un sourire.
Il tendit la main à son ami pour l'aider à se relever mais ce dernier avait prit un air boudeur et il détourna la tête en ignorant le bras tendu. Jérémie et Ulrich échangèrent un regard complice avant de saisir chacun un bras d'Odd et de le remettre debout de force tandis que ce dernier se plaignait en se débattant.
-Odd, cria alors Aelita d'une voix qui fit s'immobiliser tout le monde. Ce n'est pas le moment de te plaindre. Je suis des vôtres...
Le garçon la fixa surpris pendant quelques secondes avant d'éclater de rire, bientôt imité par tout le monde.
Ils avaient gagné... Rien d'autre ne semblait les atteindre que cette joie euphorique, ce bonheur sans limite... ce sentiment de bien-être et de légèreté ... Les problèmes étaient finis. Ils ne portaient plus le poids du monde sur leurs épaules... Ils étaient de nouveau se simples adolescents, normaux avec juste quelques tracas quotidiens. Des gens banals... Et ils adoraient ça !
-Nous avons gagné, hurla soudain Odd en sautant dans les airs, le poing levé au-dessus de sa tête. On est des champions...On est des champions...
Et bizarrement, tout le groupe entama le chant derrière lui, couvrant quelque peu sa voix fausse mais peu leur importait en fait. Ils avaient atteint leur but... Ils avait enfin réussi... Ils avaient gagné... Et ce week-end se passa dans la joie, le bonheur et les chants... Ils fêtèrent l'événement comme il se devait...
A seize ans, ils avaient enfin réussi...
-Salut Yumi, claironna le groupe lorsque la japonaise les rejoignit le mardi matin.
-Tes parents sont biens rentrés au fait ? demanda Aelita.
-Impeccable, rassura celle-ci, et ma mère nous a félicité. La maison était parfaitement en ordre.
Jérémie sortit soudain son ordinateur portable et des sourires se peignirent sur leur visage. Ce geste qui avait signifié tant d'angoisse pour eux n'était plus rien aujourd'hui... Un geste sans importance ni signification...Ils ne redoutaient plus rien si ce n'est la prochaine interro de maths ou de français. Une vie normale s'offrait à eux et ils en avaient tous conscience... Ils se réjouissaient tous intérieurement. Lorsque la sonnerie retentit, ils se séparèrent avec un sourire, sachant qu'ils se retrouveraient à la prochaine récrée et qu'ils pourraient juste parler et rire...rien d'autre...et rien d'autre ne les intéressaient... Parler, rire, profiter de la vie...de leurs vies... Oui, ils allaient vivre...Ils renaissaient enfin...
quelques années après.
-Odd, appela une voix derrière l'homme qui se tenait en haut de la colline.
-Mya, s'écria-t-il en se retournant vivement. Qu'est ce que tu fais là ? retourne te mettre à l'abri immédiatement !
-Odd, gémit celle-ci en se jetant dans ses bras. ça vient de commencer... Je devais te dire... Odd...
L'homme blond se figea, crispé. Le combat venait de commencer...
-Va te mettre à l'abri, lâcha-t-il dans un souffle avant de se retourner vers l'un de ses compagnons. Jake, prends ma place, j'ai quelque chose à faire...
Et il partit à toute vitesse avec un seul but...
Comme ce passé semblait si lointain, si beau. Ce court instant où il y avait tous cru....
Il transpirait, il avait chaud malgré la pluie glacée qui le trempait jusqu'aux os pourtant il ne frissonna pas. Il reprit sa position de combat en fixant son adversaire et il faillit reculer d'un pas en rencontrant son regard noirs aux éclats meurtriers... Elle n'était plus la même, elle n'était plus celle qu'il connaissait. Il ne pouvait plus rien ressentir pour elle, il avait depuis longtemps abandonné tout sentiment. Pourtant en la voyant là, si fière, le katana levé, les yeux tourné vers lui, il ne put s'empêcher de songer à ce que le temps avait fait d'eux. Ils auraient pu avoir tellement plus. Mais les événements n'avaient jamais été en leur faveur...alors elle était là, face à lui, probablement aussi glacée que lui et elle allait le tuer... Il savait qu'il lui avait ravi son cœur auparavant... Il ne pouvait se racheter et il n'allait même pas essayer...Il allait simplement la tuer... Parce que c'était ainsi... Les événements en avaient décidés ainsi... Ils allaient s'entretuer comme s'ils ne s'étaient jamais aimé... pourtant dans son cœur à lui, il y avait un point douloureux...
-Je ne voulais pas ça, murmura-t-il soudain d'une voix trop douce.
-Tes mots n'ont plus aucune valeur à mes yeux.
-Comme ma vie, n'est ce pas Yumi ?
-En particulier ta vie...
Elle sauta dans les airs et il la rejoignit dans ce combat à mort. Il ne pouvait que faire ainsi. Tuer pour vivre, tuer pour gagner... tuer parce qu'il l'avait aimé...
Ce passé qui les avait rendu si heureux semblait n'avoir jamais existé... Ils avaient tellement espéré pourtant...
Les souvenirs revenaient en masse. Après tant de temps passé à les avoir refoulé, ils étaient revenu. Il courait dans les bois mais son esprit était ailleurs. Loin de cette pluie diluvienne, loin de ces arbres morts, loin de ces événements horrible... Il était encore au début... au début de leur histoire...comment avait-il pu y croire ? Lui ? le génie qui avait tant fait ? celui qui se méfiait toujours de tout...pourquoi cette fois là ne s'était-il pas méfié ? pourquoi avait-il fallu que ce soit précisément cette fois là ? ... Pourquoi ne les avait-il pas écouté ce jour là ? pourquoi avait-il que son orgueil mal placé ait eu raison de lui ? par sa faute ... Tout n'était que de sa faute...
Jérémie essuya les larmes qui se mélangeaient à l'eau de pluie sur son visage et il atteint enfin l'orée de la forêt pour faire face à une sorte de manoir dans lequel il se précipita. Les lourdes portes de bois étaient grandes ouvertes et dans l'entrée, cinq hommes étaient étendus... Le tapis pourpre, même avec sa couleur si sombre et sa beauté si sauvage, ne pouvait dissimuler le liquide rouge qui entourait les cinq corps... Ils avaient été égorgé....
-Non, paniqua Jérémie avant de s'élancer dans les escaliers de marbre en hurlant : Milo !
-Je te croyais plus fort, lâcha la japonaise alors qu'elle atterrissait au sol avec souplesse.
-et moi plus endurante ! tu fatigues Yumi et tu le sais...
La jeune fille en perdit son sourire et elle s'élança à nouveau. Son bras gauche lui faisait mal à l'endroit où Ulrich l'avait blessé. Elle avait une profonde entaille partant de l'épaule et allant jusqu'au coude pourtant elle oublia la douleur et se concentra sur son ennemi. Car c'était désormais son ennemi... Son seul et unique ennemi. Elle devait se venger de lui, elle devait le tuer. Rien d'autre ne comptait... Son katana rencontra celui du garçon et elle planta son regard dans le sien tandis que leurs lames luttaient l'une contre l'autre. Elle retrouva alors son sourire et le regarda froncer les sourcils.
-Tu n'es pas en pleine forme non plus à ce que je vois...
Elle mit un peu plus de force dans son arme et parvint à le faire reculer. Puis dans un geste très rapide, elle recula, abaissa son arme et lui entailla la cuisse. Il grimaça tandis qu'elle s'éloignait de lui avec un sourire carnassier.
-Tu vas payer ! cria-t-il.
-Non Ulrich ! J'ai déjà payé ma part, c'est ton tour maintenant, rugit-elle.
Il la fixa tandis que son visage se refermé, se faisait plus sombre. Que serait-il arrivé entre eux si le passé n'avait pas était tel qu'il avait été ? tout aurait-il pu être différent ? Si les journaux n'avait jamais annoncé cette guerre il y a des années, ce seraient-ils aimés vraiment ?
Il courait dans les bois, le plus rapidement qu'il le pouvait. Il savait où ils étaient, il se devait de le faire pour gagner... Il se devait de tuer l'un de ses amis... aider l'un à tuer l'autre pour gagner... Cette bataille ridicule devait prendre fin. Il arriva soudain dans la clairière où le combat faisait rage et ses yeux se posèrent sur les deux combattants. Yumi, svelte et souple, volaient dans les airs comme un chat sauvage, maniant le katana comme un maître d'arme. Ses longs cheveux volant autour d'elle lui donnait un air mystérieux... Face à elle il y avait Ulrich, athlétique, masculin, fort et surtout, hésitant... Odd sursauta...ressentait-il encore ? Alors Odd se dirigea vers l'un d'eux, accroupi dans l'herbe haute, bougeant comme un félin, souplement et sans un bruit. Il saisit doucement le manche de sa dague et la retira lentement, avec minutie de son fourreau... Un ami...ce mot ne voulait plus rien dire. Car il allait tuer l'un de ses ami pour son camp... cela n'avait aucun sens pourtant il allait faire... Levant son arme sans que rien ne puisse le trahir, il fixa sa proie...
Yumi sourit narquoisement en fixant Ulrich puis partit dans un salto arrière parfaitement exécuté. Elle atterrit accroupie dans l'herbe haute, son regard meurtrier fixé sur sa nouvelle victime, son nouvel ennemi. Elle le regarda se retourner vers elle en abaissant son arme, sachant qu'il n'était pas de taille pour un face à face. Il la dévisagea tandis qu'elle se relevait avec grâce et posait un regard moqueur sur Ulrich.
-Tu es si peu fort que tu as besoin d'aide, lâcha-t-elle d'un ton mauvais.
Odd raffermit sa prise sur son manche. Même s'il n'était pas de taille, il aiderait Ulrich. Il était là pour lui, il lui avait promis...
-Comment vas-tu Odd ? demanda-t-elle soudain d'un ton qu'il ne lui avait jamais connu.
-Yumi, murmura-t-il. Pourquoi fais-tu tout cela...
-Ne pose pas des questions auxquelles tu connais déjà la réponse...
-Yumi reviens... Tu n'es pas mauvaise, je te connais...
-Faux! cria-t-elle d 'un ton dur. Tu me connaissais. Ce n'est plus le cas aujourd'hui...
-Reviens, supplia Odd qui désespérait de devoir la tuer.
-Vous avez fait de moi ce que je suis...
Elle courut jusqu'à lui et s'apprêta à abattre son arme sur lui mais le coup fut paré par Ulrich, juste au-dessus du visage de son ami. Elle joua un instant avec sa lame, le dévisageant avec défi et elle perdit soudain l'avantage sous le jeu habile du samouraï. Elle s'immobilisa, retenant sa lame de la sienne, à quelques centimètre de son visage.
-Tu ne l'auras pas..., murmura Ulrich dans un souffle
En entendant ces mots si froids, si sûrs, si durs, Odd rassembla tout son courage et entreprit de la poignarder en plein cœur de là où il était...entre eux deux. Accroupi devant Ulrich, face à Yumi.. Pourtant... Il haïssait cette guerre, il haïssait ce passé, Il haïssait ces hommes, il haïssait cette pluie, il haïssait ce présent et plus que tout, il se haïssait. Il se détestait de devoir faire ça alors qu'elle était si précieuse pour lui, pour eux... Mais il se devait, il n'avait pas le choix... Elle le regarda en souriant tandis que se lame s'approchait de son cœur et il fixa ses prunelles qui brillaient étrangement. Il avait vu la dague dissimulée dans son dos, elle pourrait la dégainer et retenir son coup mortel pourtant elle se contentait de retenir la lame d'Ulrich au-dessus de son visage et de le regarder avec cet air étrange. Comme si elle le pensait incapable de faire ce qu'il allait faire. Et si elle avait raison ? Elle bougea soudain, si rapidement qu'il n'eut pas le temps de s'en rendre compte, et il sentit une lame sous sa gorge. Il s'immobilisa tandis qu'elle murmurait d'une voix presque trop douce.
-Tu vas me tuer Odd ? Tu vas vraiment le faire ?
-Toi morte, la guerre sera presque gagnée, répondit celui-ci.
-oh non, sourit Yumi. Je ne suis qu'un pion. moi morte, rien ne changera...
-Tu es un pion bien gênant, rugit Ulrich en repoussant sa lame.
Elle s'éloigna d'une rondade et les fixa avec un air narcissique.
-Je suis déçue..., lança soudain une voix de l'autre bout de la plaine.
Ils tournèrent tous la tête, surpris mais aucun d'eux ne put voir son visage ... Yumi continua cependant de sourire et elle glissa méthodiquement son katana dans le fourreau fixé dans son dos.
-Que fais-tu ? demanda Ulrich.
-Tu as triché, répondit l'autre voix à la place de la japonaise. C'était entre toi et elle. Tu n'avais pas le droit d'insérer un autre pion Ulrich. Tu as triché...
-Le combat n'est pas fini ! s'écria le brun.
Yumi sourit en rangeant sa dague et s'approcha d'un pas sensuel de lui, avec un air machiavélique et envoutant à la fois. Son visage à quelques centimètre du sien, la main sur son épaule, elle lui murmura d'une voix trop douce :
- Ce n'est que partie remise Ulrich... La prochaine fois, je t'aurais...
Il réagit alors instinctivement mais à peine eut-il le temps de faire un geste qu'elle était déjà loin.
-m'attaquer alors que je suis sans arme, lâcha-t-elle d'une voix déçue. finalement tu n'as pas changé...
Elle joignit ses mains devant elle, s'inclina devant eux avec un sourire moqueur en murmurant un "à la prochaine fois" d'un ton narquois et la seconde suivante, elle n'était plus là...
-Mais c'est pas vrai, hurla Ulrich en frappant la table du poing quelques heures plus tard.
Odd se tourna vers lui avec un air dépité et il soupira en ôtant sa cape trempé.
-Nous avons du nous replier, déclara le blond dans un souffle. Ceux d'en face étaient bien trop nombreux...
-Ce n'est pas possible, ragea Ulrich. Mais où est-ce qu'il les trouve tous ?
Odd haussa les épaules d'un air las et il plaça des bûches dans l'âtre de la cheminée. Le feu emplit la pièce de sa chaleur pourtant, Odd frissonna.
-Que va-t-on faire ?
-Continuer à se battre, répondit aussitôt Ulrich dans un murmure.
-Non je parlais...de Yumi...
-Tu l'as entendu comme moi, souffla le brun après un court silence. Elle n'est plus avec nous depuis longtemps...Je vais la tuer...
-Pourtant tu as retenu ta main...
Ulrich se détourna de son ami pour se poster à la fenêtre, les bras croisés sur la poitrine, un air sombre sur son visage. La pluie cognait contre la vitre avec force et violence. L'orage avait éclaté et le vent et l'eau faisaient des ravages... Ou plutôt ils nettoyaient les environs... Les flots déchaînés emportaient sur leur passage les corps sanguinolents, achevaient ceux qui agonisaient et lavaient la terre des traces de sang des morts. Cette pluie diluvienne allait tout nettoyer... juste pour leur permettre de recommencer...
-Ulrich, appela doucement Odd.
-Elle veut nous tuer, tous les deux... Je ne la laisserais pas faire !
Odd soupira et se résigna. Après tout, s'il avait été possible d'améliorer cette situation, ils l'auraient fait il y a des années...
Jérémie atteignit enfin l'étage et il se précipita dans l'ancienne salle de bal de ce vieux manoir. Il y trouva un véritable massacre... Il y avait des corps partout, pas un souffle, pas un gémissement ne brisait le silence lourd de cette immense pièce. Jérémie s'écroula à genou devant la scène et se prit le visage entre les mains. C'était sa faute...encore une fois... Il ne l'avait pas protégé correctement... C'était entièrement à cause de lui... Milo avait disparu, probablement enlevé pour être torturé et révéler des informations que lui seul connaissait... quand ils allaient découvrir ce qu'il était... Il le tuerait... et Jalie ? Qu’était-elle devenue ? Avait-elle péri également ? Si elle aussi avait été emmenée alors il était le prochain sur la liste... Il se releva brusquement, le visage plein d'une détermination nouvelle. Il ne pouvait pas laisser faire ça... Il allait les récupérer lui même... Rien n'était impossible, songea-t-il, il suffisait d'avoir un bon plan... Mais au fond de lui, il savait que c'était une expédition suicidaire... Pourtant, il tourna les talons et se dirigea vers la cave où se trouvait tout son matériel... Il allait tout tenter pour les sauver...
Tous les flacons, les verres et les éprouvettes présents sur la table volèrent en éclat en percutant le mur proche tandis que résonnait un cri de rage, de colère, de fureur... la table fut soulevée du sol et fit un double salto avant que son pied ne se brise contre le mur dans un craquement sinistre. La jeune fille se prit alors la tête entre les mains et hurla, le visage levé vers le plafond. Elle hurlait sa rage, cette fureur qui meurtrissait son cœur, cette colère qui le rongeait... Elle se retourna violemment et l’autre personne présente dans la pièce eut un sursaut apeuré.
-Pourquoi ? demanda la jeune fille dans un souffle furieux.
-Yumi, commença l’autre dans un murmure peu rassuré.
-J’allais l’avoir ! Lâcha la japonaise.
-Yumi, répéta l’autre, tu n’aurais pu....
-J’allais l’avoir !!!! Hurla Yumi en l’interrompant.
Elle s’approcha dangereusement de l’autre qui recula, un peu effrayé par les yeux meurtriers de la jeune fille. Sa main droite, remarqua-t-il, était posée sur le manche de la dague qui se trouvait accrochée à sa ceinture.
-ça suffit ! Cria une autre voix qui fit se retourner la japonaise et soupirer de soulagement l’autre.
Un homme d’une taille et d’une silhouette imposante pénétra dans la pièce et Yumi se redressa en soupirant.
-Il m’a empêché de...
-J’ai dit que ça suffisait, Yumi ! Tonna l’autre en la coupant. Liksha fait ce qu’il y a de mieux pour toi... Tu étais en danger...
-J’aurais pu...
-Cesse de te croire invincible, la coupa l’homme. Comment pourras-tu la protéger si tu te fait tuer ?
Yumi eut un mouvement de recul en entendant cela et elle baissa les yeux.
-Je suis désolé Komi.
-Ce n’est rien, je te pardonne. Mais soit plus réfléchie la prochaine fois...
Yumi s’inclina légèrement pour le remercier et sortie de la pièce sans rien ajouter. Elle longea un long couloir blanc et pénétra dans une chambre isolée. Immobile sur le seuil, elle fixait ce à quoi se résumait désormais sa vie. Cette pièce aux murs trop blancs et trop propres, cette chambre si vide, si nue abritait sa raison de vivre... Elle s’approcha à pas lent du seul objet présent dans la pièce. Si elle avait pu, elle aurait comparé l’objet au cercueil de blanche neige... un magnifique cercueil de verre... mais elle ne pouvait pas... car elle ne connaissait plus ce conte, elle ignorait tout de blanche neige, seule cette époque la hantait...cette époque et l’image de Aelita qui reposait, le visage serein, de l’autre côté de la paroi de verre près de laquelle elle se tenait. Et la belle endormie lui avait laissé sa vie... c’était son devoir de la protéger... le visage de la japonaise se durcit soudain et elle songea que pour cela elle tuerait n’importe qui, peu importe le passé... Elle posa la main sur la paroi en dévisageant tendrement son amie...
-Je te protège Aelita, ne t’en fais pas ...
Elle ignorait que dans l’autre pièce, Komi et Liksha parlait d’elle et de projets futurs contre lesquels elle ne pourrait rien ...
-selon nos espions, ce lâche se cacherait ici.
-Si c’est le cas, il serait facile de le débusquer, remarqua Odd. L’endroit ne semble pas vraiment impénétrable.
-seulement il est très bien gardé, objecta Jake.
Odd acquiesça, soupira et jeta un regard vers la fenêtre. Ulrich n’avait pas bougé depuis plus de trois heures... Les bras croisé sur sa poitrine, le dos droit, le corps raide et le visage dur, il fixait le paysage à la fenêtre sans vraiment le voir... Odd savait qu’il ne le regardait absolument pas... Il savait très bien ce à quoi il pensait et le dilemme qui s’offrait à lui... Il ne s’était jamais remis... Lui non plus d’ailleurs... Comment ne pas se sentir coupable, comment ne pas culpabiliser après ça... Comment vivre avec cette idée, cette pensée constante que si votre amie, votre amour vous en veut au point de vous tuer, c’était uniquement votre faute... Comment vivre avec la pensée qu’elle ne vivait que pour vous tuer...comment vivre avec ça ? Y avait-il vraiment une réponse...
-Ulrich, appela doucement Odd en s’approchant. Il posa la mains sur ses épaules et l’éloigna fermement de la fenêtre. Va te reposer...
Le brun se laissa guider sans protester vers la pièce adjacente et il s’installa sur le lit sans accorder un regard à son ami qui sortit peu après en le laissant dans le noir... Ce noir qui lui paraissait tout à coup si effrayant... si cette nuit là il y avait eu un peu de lumière, il n’aurait pas commis cette folie... Malgré sa tension, les paupières d’Ulrich s’abaissèrent et il s’assoupit légèrement. Depuis un très long moment, les barrières de son esprit tombèrent et ses images refoulés, ses souvenirs censurés et interdits remontèrent à la surface....
Un katana qui sort lentement de son fourreau... Une maison calme et sereine...ses habitants endormis... Le seul et unique rayon de lune qui éclaire son pied avant que les nuages ne cachent l’astre lunaire... Il grimpe les escaliers... Marche après marche...l’une d’elle grince et il s’immobilise, l’oreille tendu mais rien ne semble troubler la paix de cette maison... Il repart...sans un bruit... Il fait glisser une porte et arrive dans une chambre... il ne peut que deviner les formes...il fait trop noir... deux souffles... réguliers, calmes, apaisés... qui finissent par se taire... A cause de lui...de ses actes... Une voix soudain... une voix qu’il connait...qu’il redoute... des yeux...suppliants...pleins de larmes...
-Ulrich... Ulrich, répète la voix encore et encore... ses intonations douloureuses... Il frissonne...c’est sa faute si cette voix a si mal....
-Ulrich ! hurle alors la voix... C’est sa faute si la voix est en colère...tellement en colère.... Un visage apparait et un katana...elle va l’abattre sur lui...elle va le tuer... elle va l’assassiner comme il les a assassiné eux... Il croise soudain son regard et se redresse en sursaut dans le lit, en sueur...
Ulrich se leva et rejoignit Odd, le visage renfermé comme jamais. Le blond le vit arriver et soupira avant de retourner aux cartes qui s’étalaient devant ses yeux.
-Nous avons un plan, souffla-t-il soudain.
Et Ulrich acquiesça en l’écoutant attentivement.