Histoire : Vaellus - Épisode #8 : Cartes sur table

Écrite par Pete le 19 septembre 2007 (6041 mots)

Cette fic est le 7ème volet d'une série. Il est donc fortement conseillé d'avoir lu les épisodes précédents. Episode 1 ; Episode 2 ; Episode 3 ; Episode 4 ; Episode 5 ; Episode 6 ; Episode 7.


Vaellus - Épisode #8 : Cartes sur table


Centre administratif des Tourelles, dit « La Piscine », 20ème arrondissement de Paris, 5ème sous-sol, le 19 août 1982.

La salle était vaste, éclairée par des néons blafards. Aux quatre coins de la salle, des bureaux ployant sous les papiers, des moniteurs et des claviers usés, des établis encombrés de pièces électroniques, des étagères où s’accumulaient les dossiers, des pupitres aux commutateurs saillants et aux voyants colorés.
D’un coup bien placé, le lieutenant Aglietti sabra la bouteille de champagne, au sens propre. Applaudissements amusés. Remplissage des verres.
- Excellent boulot, messieurs, vraiment. Si tous nos services nous donnaient de tels résultats... Le projet Carthage est une réussite totale, déclara Charles Hernu.
- La chance nous a souri, monsieur le ministre, et...
- Allons, colonel Schaeffer, pas de fausse modestie ! Pensez donc, avec votre machine, vous avez récolté autant d’infos que Farewell nous en a livré, souvent les mêmes -ce qui nous a d’ailleurs permis de nous assurer de sa loyauté, et cela sans quitter le 5ème sous-sol de la Piscine. Carthage est le système d’intelligence le plus perfectionné du monde, et de loin. A côté, le nouveau réseau d’écoute des américains des américains fait pitié.
- Nous avons gravi plus d’échelons qu’eux ! pouffa Schaeffer.
- Exactement, ria le ministre. Dites-moi, Schaeffer, vous m’aviez dit une fois que Carthage pourrait être employé de manière offensive. J’aimerais en savoir plus.
- Tout à fait, monsieur le ministre, des systèmes offensifs sont d’ors et déjà à l’étude. Puisque Carthage peut pénétrer à distance dans les ordinateurs dotés d’un modem, il peut permettre de les saboter, en effaçant des données, par exemple. On peut également y déposer ce que nous appelons dans notre jargon des « virus », c’est-à-dire de petits programmes malveillants qui détraquent les ordinateurs et se dupliquent sur les supports de stockage (bandes magnétiques, disquettes) ou sur les disques durs des ordinateurs connectés à l’ordinateur infecté. Une autre technique, encore au stade théorique, consiste à créer des entités électromagnétiques capables de se propager à travers les lignes téléphoniques et capables de détruire les composants électroniques de sa cible. Nous pourrions ainsi rendre inopérant des relais de communications, ou des stations radar, ou des silos d’ICBM.
- Fantastique ! Où en sont les recherches ?
- Vous devriez demander cela au spécialiste de ces questions, le docteur Franz Hopper.

***

Waldo Schaeffer. Aelita avait entendu ce nom quelque part. Cet homme avait connu son père.
Trois cercles bleus apparurent sur le sol.
- Veuillez vous placer sur les cercles, dit Schaeffer.
- Pourquoi ? demanda Jérémie, méfiant.
- Pour que vous puissiez nous rejoindre, répondit Shaeffer.
- N’ayez crainte, je l’ai fait des dizaines de fois, ajouta Misha Nehru, en se plaçant sur l’un des trois cercles.
Aelita et Jérémie firent de même, avec une légère appréhension.
- Dévirtualisation ! lança Waldo Schaeffer.
Aelita et Jérémie se retrouvèrent dans les scanners, dont les portes s’ouvrirent de concert sur une salle plus vaste que le niveau -2 de l’usine. Des panneaux étaient fichés aux deux coins visibles de ce hall, chargés de cadrans et scintillant de voyants. Juste devant eux, une grande porte coulissante, construite dans un alliage solide, devant laquelle quatre fantassins les tenaient en joue. La lumière était blanche, blafarde ; elle éclairait des murs de béton gris.
- Sympa, le comité d’accueil ! maugréa Aelita.
Jérémie, lui, était beaucoup plus tendu.
- There ’re clear, annonça une voix.
Misha fit un signe aux gardes, qui abaissèrent leurs armes.
- Suivez-moi.
La porte s’ouvrit puissamment, laissant apparaître un couloir d’une trentaine de mètres, au bout duquel on apercevait un ascenseur. Misha les y mena. Ils s’élevèrent de deux étages et, ayant traversé un nouveau couloir, entrèrent dans une salle, probablement une salle de briefing. Tout le long du trajet, deux soldats les avaient escortés. Misha les fit disposer.
Cinq hommes étaient installés, sous une lumière chaude. Au bout de la table en bois tropical siégeait un homme d’une soixantaine d’années, au regard perçant, aux traits secs et aux cheveux coiffés en arrière, et habillé d’une blouse blanche. Trois autres personnes étaient présentes.
- Asseyez-vous, je vous en prie, fit Misha. Et tout d’abord, veuillez signer les formulaires de non-divulgation qui sont posés devant vous. Tout ce qui sera dit dans cette salle est top secret, vu ?
Jérémie et Aelita rechignèrent un peu, mais, la curiosité et la pression psychologique les poussa à signer. Les formulaires, rédigés en français, affirmaient que parler à quiconque de ce qui aura été dit était passible de poursuites judiciaires pour haute trahison, atteinte à la sûreté de l’Union Indienne...
- Blablabla, maugréa Jérémie, qui apposa sa signature sur le document, pendant qu’Aelita faisait de même.
- Voilà une bonne chose de faite, déclara Misha.
- Où sommes-nous ? Qui êtes-vous ? s’impatienta Jérémie.
- Nous nous sommes déjà parlé lorsque vous étiez sur Vaellus, fit l’homme en blouse blanche. La localisation de la base militaire dans laquelle nous nous trouvons est secrète.
- Nous sommes en Inde, n’est-ce pas ?
- Oui. Vous n’en saurez pas plus.
- Qu’est-ce que vous nous voulez ?
- Discuter, tout simplement. Rassure-vous, nous n’avons pas l’intention de vous garder en détention, ni de vous torturer. L’Inde est une démocratie.
- Ça n’a jamais empêché les écarts de conduite et autres mesures exceptionnelles, pour la sauvegarde de la nation, le monde libre, blablabla, fit remarquer Misha.
- Exact. Mais la nation n’est pas en danger. Du moins, pas dans l’immédiat. J’ai d’autre part la conviction que vous n’êtes pas un danger pour nous, au contraire. Ce qui n’est pas pour plaire au général Paniandy, ici présent, et donc le rôle est d’être paranoïaque.
Le général Paniandy, un colosse d’une cinquantaine d’années au regard sévère, réagit avec retard aux paroles de Waldo Schaeffer. Jérémie en déduit que, ne parlant pas le français, il se faisait traduire.
- Je vous présente également le docteur Suresh, mathématicien, et monsieur Patil, notre ingénieur en chef.
Puis, s’adressant à Aelita :
- Je suis content de vous rencontrer, mademoiselle Hopper.
Jérémie et Aelita furent frappés de stupeur.
- Vous me connaissez ? s’étonna-t-elle.
- J’ai connu votre père. Nous avons travaillé ensemble il y a quelques années.
- Je me disais bien que j’avais entendu votre nom quelque part...
- Vous avez sans doute énormément de questions à me poser. Je vais tacher de vous résumer ce que vous devez savoir.
Il se racla la gorge et commença :
- Au cours des années 70, j’ai dirigé un programme militaire secret du nom de « projet Carthage ». L’objectif de ce programme était de doter l’armée française de moyens de combat numérique : interception des communications ennemies, de leurs données, défense de nos propres moyens informatiques et de communications, et éventuellement systèmes offensifs informatiques. Ces objectifs ont été progressivement atteints : en 1978 nous avons piraté notre premier ordinateur soviétique ; en 1981, nous avons utilisé Carthage pour confirmer et compléter les informations livrées à la DST par le colonel du KGB Vladimir Ippolitovich Vetrov, dit « Farewell » ; en 1985, nous avons détruit plusieurs centres de communication soviétiques en Afghanistan ; en 1986, nous avons volé des informations cruciales sur leurs bases de lancement d’ICBM ; etc. L’année suivante, on nous a donné des ordres moralement plus douteux : pirater les ordinateurs de plusieurs compagnies de haute technologie américaine. D’autres actes d’espionnage ont été perpétrés. C’est à cette époque que Franz Hopper a quitté le projet. Pas moi. L’hubris, la démesure, m’avait gagné, tout comme nos chefs. Il a quitté la recherche et est devenu professeur de chimie. Naturellement, nos services ont gardé un œil sur lui, à son insu, mais il se doutait qu’il était épié. Votre père avait signé une clause de confidentialité et était tenu au secret militaire, mais comme il avait été l’artisan majeur du projet, on ne l’a pas lâché. Il aimait passer ses vacances en famille dans les Alpes autrichiennes, mais même là, nos agents étaient présents. Il est probable que c’est à cette époque qu’il a entamé son projet secret. Son idée initiale, d’après ce que je sais, était de créer un contre projet Carthage. Votre père avait compris le danger que représentait Carthage à l’âge informatique. Il avait prédit le développement de l’internet. Il savait que Carthage aurait permis d’en prendre le contrôle de facto. Or, pour lui, l’Internet devait rester un espace de liberté. Il a donc entreprit de mettre au point un Gardien de l’Internet. Un programme multi-agents adaptatif.
- XANA ! s’écria Jérémie.
- Oui, XANA. Enfin, il a d’abord conçu un programme multi-agents sans IA, mais diablement efficace, qui nous a donné du fil à retordre. Il avait cependant un point faible : son agent primaire. Lorsqu’on avait trouvé l’agent primaire, on pouvait stopper l’ensemble.
- La Marabounta ! s’exclama Jérémie.
- Vous en savez des choses, lui fit remarquer Misha.
Jérémie resta silencieux.
- Donc, repris Waldo Schaeffer, Hopper agissait en secret contre nous. Il bloquait celles de nos opérations qu’il considérait comme illégales. Il va sans dire que nos chefs le prirent en grippe et rassemblèrent des moyens pour le mettre hors d’état de nuire.
- Vous étiez contre lui ? le questionna sèchement Aelita.
- Oui, j’étais resté loyal au gouvernement. Je pensais que, puisque la guerre virtuelle était possible, autant que la France soit en position de force. Je considérais que Franz était un idéaliste aux idées irréalistes.
- C’est vous qui avez enlevé ma mère ? s’écria Aelita d’une voix horrifiée.
- Non, ce n’est pas moi. Je n’ai jamais autorisé l’usage de la violence physique. D’abord parce que je gardais une certaine sympathie pour Franz ; ensuite parce que c’eut été contre-productif : traqué, il aurait redoublé d’efforts. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit. Non, ce sont des agents de la DST qui ont kidnappé votre mère. Je ne sais pas ce qui lui est arrivée par la suite, désolé. Il est possible qu’elle ait été tuée. Ils voulaient faire pression sur Franz, sans doute.
Aelita se crispa de colère.
- Je combattais Franz uniquement sur le terrain virtuel, insista-t-il. J’avais envoyé des agents enquêter sur Franz Hopper, en observation uniquement. C’était en Autriche, donc du ressort de la DGSE. Lorsque Hopper est revenu sur le territoire français, j’ai transmis le dossier à la DST, laquelle a décidé en toute illégalité d’organiser un enlèvement.
Waldo pris un verre d’eau, bu plusieurs gorgées posément, puis reprit :
- Je ne sais pas exactement en quoi consistait XANA, mais je connaissais sa façon de procéder et les techniques qu’il avait développées avec un autre pionnier de la programmation quantique, Umberto Aglietta. XANA fut conçu comme une IA asimovienne.
- Du nom d’Isaac Asimov ? demanda Jérémie.
- Exactement. C’est-à-dire obéissant aux fameuses trois lois de la robotique : « Première Loi : un robot ne peut pas porter atteinte à un être humain, ni permettre par son inaction que du mal soit fait à un être humain. Deuxième Loi : un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi. Troisième Loi : un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'est pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi ». Cependant, Aglietta jugeait ces lois trop contraignantes, et les avait remaniées en conséquence. Et Hopper, pour que son Gardien soit efficace, a dû obligatoirement choisir de l’imprégner des nouvelles lois, dont la formulation, pour le Gardien, a dû ressembler à ceci : « Première Loi : XANA ne peut porter atteinte à un être humain, ni permettre par son inaction que du mal soit fait à un être humain. Deuxième Loi : XANA doit coopérer avec les êtres humains, sauf si une telle coopération est en contradiction avec la Première Loi. Troisième Loi : XANA doit protéger son existence, tant que cette protection n'est pas en contradiction avec la Première Loi ». Vous constatez que la Première Loi est immuable ; elle est à la base de l’imprégnation asimovienne et ne saurait être modifiée. En revanche, dans la nouvelle formule, la deuxième loi est atténuée, conférant ainsi à l’intelligence artificielle une plus grande autonomie et, dans le cas de XANA, le préservant contre d’éventuels ordres venant des pirates du net qu’il était censé combattre.
- Et ces lois n’ont pas fonctionné ? s’étonna Aelita.
- Ces lois sont infaillibles, le processus d’imprégnation les place au cœur du programme primaire de l’IA et elles sont de ce fait inviolables.
- XANA ne respecte pourtant pas les lois ! protesta Jérémie.
- En effet, parce que XANA s’est éveillé avant la fin du processus d’imprégnation. Celui-ci commence par la troisième loi, puis la deuxième, puis la première, en dernier, la plus importante. Mais hélas, XANA a été activé alors qu’il n’était imprégné que de la 3ème loi, le rendant mégalomaniaque et paranoïaque.
- Comment cela s’est-il produit ? demanda Aelita, dont la concentration était maximale.
- À cause de Carthage. Je suis un humain, donc je n’ai pas respecté la première loi. Par mon inaction, j’ai laissé nos chefs commettre un acte dangereux.
- Vous n’étiez plus aux commandes du projet Carthage ? supputa Jérémie.
- Oui et non. Après le départ de Hopper, plusieurs autres scientifiques ont quitté le programme, dont Aglietta. Le programme fut placé sous le contrôle direct de l’État Major, de chef de projet je suis devenu chef-adjoint, et un amiral fut placé à la tête de Carthage. Les savants qui nous avaient quittés, et qui furent mis sous surveillance par les services, comme Hopper, ont été remplacé par des scientifiques militaires, comme je l’étais moi-même ainsi que quelques autres, parce qu’ils étaient beaucoup plus obéissants que des civils. Le programme a d’ailleurs pris du retard, nous avons eu du mal à progresser sans ceux qui étaient partis. Pendant ce temps là, Hopper et ses amis -car il a été aidé par certains anciens de Carthage, progressaient. Nos chefs ont alors décidé de neutraliser les dissidents. Ils ont kidnappé plusieurs d’entre eux, puis ont utilisé une arme nouvelle contre leurs installations, dont nous ignorions la localisation exacte.
- Quelle arme ? fit Jérémie.
- Une arme virtuelle. Une sorte de virus électromagnétique capable de se déplacer sur n’importe quel réseau électrique, et pas seulement les lignes téléphoniques. Une arme intelligente dont une propriété imprévue fut de pouvoir animer l’inanimé. Nous appelons ces armes les spectres.
- Les spectres, c’était donc vous ! dit un Jérémie stupéfait.
- Oui, malgré mes avertissements sur les dangers de cette nouvelle arme expérimentale, l’amiral qui dirigeait Carthage, dont je tairai le nom, l’a déployée sur le réseau en mode « search and destroy ». Cette configuration consista à repérer l’ordinateur d’origine des attaques et à le frapper. Je suppose que, bien que Hopper travaillât sur XANA dans une zone isolée de son supercalculateur, le spectre l’a touché puisqu’il pouvait se déplacer sur n’importe quel support électrique. Il a dû corrompre et éveiller prématurément XANA avant la fin de l’imprégnation. Enragé par le spectre et imprégné de la seule troisième loi, il a adopté un comportement destructeur et erratique. J’en sais peu sur cette partie de l’histoire, mais je sais que Hopper a réussi à échapper à XANA, mais il était devenu amnésique.
- Tout comme moi ! précisa Aelita.
- Vous aussi ? Vous étiez avec votre père pendant l’attaque ? Dans le monde virtuel qu’il bâtissait, n’est-ce pas ? Lyoko. Bref, il fut considéré comme mort, car son laboratoire, situé dans la forêt, a été détruit par un terrible incendie. Nous avons trouvé dans ses ruines des restes de matériel informatique quantique, nous en avons donc déduit que sa base avait été détruite. De fait, aucune activité du groupe de dissidents n’a été enregistrée dans les mois qui suivirent. De mon côté, m’étant opposé à mes supérieurs hiérarchiques, j’ai eu des ennuis et j’ai fini par faire défection, sans trop de problème puisque j’ai été agent de terrain, je sais être un fantôme. J’ai été recruté par les services indiens, et de fil en aiguille, j’ai été amené à monter un projet équivalent au projet Carthage, que nous avons appelé, ne riez pas, le projet Atlantis. Les indiens auraient préféré Iram, mais bon, nous sommes restés dans la mythologie européenne. Parallèlement, j’ai retrouvé la trace de Franz Hopper et je l’ai recruté comme directeur scientifique du projet.
- Vous avez retrouvé mon père ! s’écria Aelita. Où est-il ?
- Il a disparu, malheureusement, et je ne sais pas où il se trouve actuellement. Mais ne nous avançons pas trop. Je disais donc que j’ai recommencé à travailler avec Franz. Il a eu quelques flashs de mémoire, il a su qu’il me connaissait, qu’il avait une fille, et tout comme je le fais avec vous, j’ai joué avec lui franc jeu et je lui ai tout dit. Avec ce que je savais et avec ce qu’il a pu me dire, j’ai reconstitué l’histoire que je viens de vous raconter.
- Une minute, l’interrompit Jérémie, plusieurs choses ne collent pas dans votre histoire. Vous dites que Franz Hopper a quitté le projet Carthage car il y voyait une arme aux mains des militaires. Et tout ça pour se retrouver à nouveau à la tête d’un projet militaire secret ?
- Absolument. Il a accepté le poste parce qu’il pensait y trouver les moyens de retrouver sa fille, et bien sûr de vaincre XANA. Moi aussi, mon but était de détruire XANA s’il était toujours en activité, et d’abord de retrouver sa trace.
Puis, tournant son regard vers le général Paniandy, il poursuivit :
- Les autorités indiennes nous ont donné des garanties quant à l’utilisation de nos recherches. Elles valent ce qu’elles valent. Mais, tous deux, nous estimons qu’en tout état de cause, un pouvoir virtuel abusif contrôlé par des humains est préférable au danger que représente XANA. Et puis, il y a autre chose que vous devez savoir : selon mes sources, après plusieurs années de sommeil, le projet Carthage semble avoir repris. Il avait été stoppé suite aux déboires politico-militaires que j’ai raconté et à la défaillance de composants informatiques cruciaux. Je ne sais pas comment nos successeurs s’y sont pris pour les réparer, je ne suis même pas sûr que l’ordinateur quantique de la Piscine soit à nouveau en état de marche, mais si c’est le cas le danger que représente Carthage est de retour. Raison de plus pour créer un deuxième projet, pour rééquilibrer les forces en présence dans le monde virtuel.
- Je ne comprends pas. Franz Hopper a réussi à créer un supercalculateur seul ou avec quelques collègues, alors quel besoin de vous associer aux militaires ?
- D’une part, parce que Hopper a dépensé son héritage pour construire le supercalculateur, d’autre part, parce qu’il avait un cristal noir à sa disposition. Ne me demandez pas comment il l’a obtenu, mais il en avait un.
- Qu’est-ce qu’un cristal noir ?
- Nous les avons baptisées « émeraudes du chaos » en référence à un jeu vidéo célèbre de l’époque. Il s’agit de trois cristaux taillés d’origine inconnue dont la première mention est faite dans la collection privée d’un archéologue italien, dans les années 1920. Les pierres ont été par la suite dispersées pendant la seconde guerre mondiale. L’armée française en a récupéré une à la frontière entre l’Algérie et la Libye en 1943. Elle a été étudiée par des savants. Une propriété étonnante de ces cristaux, mise en évidence au début des années 1970, est de réduire l’instabilité dans un système quantique et de le préserver, dans une certaine mesure, contre la décohérence. En effet, plus un système quantique est complexe, plus il est instable et plus il perd ses propriétés quantiques : c’est ce qu’on appelle la décohérence. Donc, ces cristaux rendent possible la fabrication d’ordinateurs quantiques pleinement fonctionnels et beaucoup plus puissants que les ordinateurs quantiques conventionnels les plus récents. L’un des cristaux est détenu par la France ; une autre fut en possession de Franz Hopper, fut considérée comme détruite dans l’incendie du labo, mais est en réalité intacte, en votre possession au cœur du supercalculateur de Hopper, qui d’évidence n’était pas dans le laboratoire qui a brûlé. Enfin, la dernière est en possession des indiens. Voilà pourquoi nous n’avions pas d’autres choix que de nous associer à eux : sans leur cristal, impossible de construire un ordinateur quantique de plus de 16 qbits, et restreint à des calculs particuliers qui plus est...
- Il n’est pas possible de fabriquer des cristaux noirs ? Et d’abord, en quoi sont-ils fait ? s’interrogea Jérémie.
- Nous n’en avons aucune idée. Comme la France n’en possédait qu’un, il était exclu de procéder à des analyses invasives sur le cristal. De ce fait, nous ne savons pas en quoi ils sont faits. Des structures nanoscopiques complexes ont été observées sur le cristal, nous n’en savons pas plus. Toutes les théories ont été avancées pour expliquer leur provenance. Origine divine, origine diabolique, artefact d’origine extra-terrestre, artefact d’origine atlante, celtique, égyptienne, hindoue, personne ne le sait.
- Qu’est devenu mon père ? demanda Aelita.
- Il y a quelques mois, nous avons capté un signal en provenance de l’espace virtuel. Nos ordinateurs l’ont interprété comme un signe de grande activité numérique.
- Il s’agit probablement, précisa Jérémie, du jour où XANA s’est emparé des clés de Lyoko.
- C’est à partir de ce jour que Hopper a disparu, reprit Waldo Schaeffer. Les logs indiquent que Franz Hopper s’est virtualisé. Ensuite, nous avons perdu sa trace.
- Il est intervenu pour me sauver, expliqua Aelita avec gravité. Mais ce faisant, il a été virtualisé pour de bon.
- C’est donc bien ce que je pensais. Quelques heures après Hopper, nous avons localisé l’origine de cette activité : Lyoko. Un tel monde ne pouvait émaner que d’un supercalculateur quantique : celui de Hopper, qui n’avait donc pas été détruit comme nous le pensions initialement, et comme le subodorait Franz lui-même. Par la suite, nous avons cherché à atteindre ce monde.
- Ce fut compliqué, dit le docteur Suresh avec un fort accent, pour accéder à Lyoko depuis Vaellus, il faut, lorsque les oscillations quantiques des deux mondes sont en phase, créer, dans l’écume quantique, une sorte de trou de vers qui sert de pont, ou de tunnel, entre les deux mondes virtuels.
- Grâce à ce tunnel, nous avons entrepris l’exploration de Lyoko, acheva Misha. Et découvert XANA. Et vous-mêmes.
Se tournant vers Misha, Jérémie s’étonna :
- Une question me brûle les lèvres : pourquoi nous avez-vous attaqué, lors de notre première rencontre ?
- Jeune homme, s’esclaffa Misha, c’est vous qui avez tiré les premiers, ou plutôt votre ami au costume félin. Nous vous avons donc pris pour des créatures de XANA, d’autant que nous n’avions aucune raison de penser que des humains se virtualisaient sur Lyoko. Par la suite, vous nous avez combattus aux côtés d’un spectre polymorphe à l’apparence de votre ami samouraï ce qui nous a confortés dans notre idée. Ensuite nous avons réussi à pirater votre fréquence de communication.
Jérémie fit une moue outrée.
- Nous n’avons su que récemment que c’était un spectre, précisa le docteur Suresh, en analysant finement nos enregistrements. Ayant compris que vous n’étiez pas de même nature que lui, nous avons commencé à nous poser des questions.
- Nous avons fini par comprendre que vous combattiez XANA, déclara Schaeffer.
- Je vois... Nous n’avons pas été aussi perspicaces, admit Jérémie.
- Étant donné votre jeune âge, nous vous pardonnons, s’amusa Misha.
- Mais j’y songe ! s’écria Jérémie. Que se passe-t-il quand vous êtes dévirtualisé sur Lyoko ?
- Nous restons coincés, lâcha Misha.
- La structure du vortex n’est pas assez stable pour rapatrié le flux dévirtualisé d’un eidôn, expliqua Suresh.
- Mais alors, le déva que nous avons abattu... ?
- Déva ? C’est ainsi que vous nous avez baptisé ? s’amusa Misha. Jolie trouvaille, va pour déva !
Jérémie pris un air interloqué.
- Un déva abattu, dites-vous ? Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
- Mais si, lors de notre deuxième confrontation.
- Attendez que je me souvienne... Ha, oui. Non, aucune perte. L’un d’entre nous est entré dans la tour, il a peut-être échappé à vos scanners. Il est monté jusqu’au toit puis a fondu sur vos amies.
- C’était donc ça ! gronda Jérémie.
- Je suis désolé de vous informer que vous n’avez abattu aucun de mes hommes. Ce sont des soldats d’élite, vous n’aviez aucune chance, fanfaronna-t-il.
- Je vois, grommela Jérémie.
Les indiens rirent.
- Je suis tout de même étonné que vous nous fassiez confiance, s’étonna Jérémie. C’est vrai, quoi : je trouve étrange que des militaires acceptent de révéler à des adolescents étrangers l’existence d’un programme de recherche ultra-secret. Vous vous contentez des papiers que l’on a signés.
- Je vous concède que nous prenons des risques, Jérémie, mais nous n’avons en vérité guère le choix. Le danger que représente XANA est grand et vous êtes des alliés précieux contre lui. Aelita semble dotée du pouvoir de désactiver les tours piratées par XANA. Et vous disposez d’un dispositif de régression temporel dont j’ai fait l’expérience avec mes hommes lorsque j’étais sur Lyoko. Cet appareil nous intéresse au plus haut point.
- D’après le modèle théorique que j’ai construit, cet appareil accroît la puissance de votre machine à chaque utilisation, déclara le docteur Suresh.
- En effet, attesta Jérémie.
- Je me demande comment Hopper a fabriqué ce machin, confia Waldo Schaeffer. Je ne serais pas étonné qu’il s’agisse d’une propriété inattendue du cristal noir.
- C’est bien possible, convint Suresh.
- L’autre raison pour laquelle nous jouons franc jeu avec vous, reprit Misha, est que nous n’avons pas le choix, car vous avez d’ors et déjà découvert Vaellus. Notre seule alternative aurait été de vous retenir prisonnier. Mais votre disparition aurait déclenché une enquête en France, et les autorités de votre pays auraient fini par découvrir le supercalculateur, Lyoko et en fin de compte Vaellus, ce que nous voulons éviter.
- Ce que vous dites est logique, concéda Jérémie.
- A propos de la France, nos amis doivent être à notre recherche, s’inquiéta Aelita. Depuis combien de temps sommes-nous ici ?
- Vous devriez leur passer un coup de fils, leur recommanda Misha.
- Voici un téléphone, dit Waldo Schaeffer en tendant un combiné à Aelita. L’indicatif pour la France est 33. Soyez brève, s’il vous plait ; il s’agit seulement de les rassurer.
- D’accord, dit Aelita en composant prestement le numéro de Yumi.*
Le téléphone ne sonna qu’une fois, Yumi décrocha.
- Allô ?
- Yumi, c’est Aelita.
- Aelita ? Bon sang, où es-tu ? on se faisait un sang d’encre. On s’apprêtait à lancer un retour vers le passé pour vous ramener, en espérant que vous ne soyez pas morts ! Jérémie est avec toi ?
- Oui, il est avec moi. Tout va bien.
- Mais où êtes-vous donc ?
- On t’expliquera en rentrant.
Waldo lui fit un signe d’approbation, puis lui fit signe de raccrocher.
- Bon, je dois te laisser. Tout va bien, nous rentrons bientôt, on vous expliquera tout à notre retour dans peu de temps.
- Heu, bien, mais heu... Bon, d’accord.
- A tout à l’heure.
Et elle raccrocha.
- Tu as fait vite, fit Jérémie.
- Vous avez été parfaite, mademoiselle Hopper, commenta Waldo Schaeffer. Nous allons pouvoir reprendre notre conversation tranquillement. Où en étions-nous ? Ha oui, coopérer est notre seule option valable. Notre démarche n’a donc rien d’illogique ou de bizarre.
- Nous non plus n’avons d’autre choix que de coopérer, fit remarquer Jérémie.
- Et bien, coopérons ! s’amusa Misha. De toutes façons, les ennemis de notre ennemi sont nos amis, pas vrai ?
- Aelita, expliqua Waldo, nous aimerions étudier votre « Code Lyoko » afin de le reproduire pour nos équipes. Mais ne vous en faites pas, ce n’est pas pour aujourd’hui. Aujourd’hui, nous avons décidé de jouer cartes sur table afin de vous prouver que nous sommes dignes de confiance.
- Nous devons d’abord mener des études préliminaires sur votre emprunte scanographique avant d’étudier directement le Code Lyoko, de toutes façons, expliqua Suresh.
- Pour l’instant, je suppose que vous voulez en savoir plus sur Vaellus ?
- Absolument, revendiqua Aelita.
- Vaellus est un nom trouvé par votre père. Votre mère était finlandaise, il a choisi un nom finlandais, c’est mignon, non ? C’est lui également qui a conçu Vaellus. Au début il n’avait conscience qu’il recréait ce qu’il avait déjà fait avec Lyoko, plus il s’en est progressivement rendu compte, sa mémoire revenant par à-coups. Vaellus est plus perfectionné que Lyoko parce que Franz a amélioré ses algorithmes et surtout parce qu’il disposait d’un ordinateur quantique plus performant. Car si le cristal noir est le même que celui de votre supercalculateur, les composants électroniques du notre sont plus récents. Vaellus comprend un cœur nommé Atlantis, et quatre territoires : rouge, bleu, vert, jaune. Vous êtes arrivé par le territoire rouge, qui simule la planète Mars, ou plus exactement une version vivable de la planète Mars. Vaellus est gardé par un programme multi-agents : POSeidon.
- Comme le dieu des mers ? fit Aelita.
- Oui. Ce nom est construit sur POS, pour Primary Operating System, et eidôn, un mot grec que l’ont pourrait traduire par « avatar ». Mais dites-moi, dit-il brusquement en regardant sa montre, vous devez rentrer chez vous, sinon vos parents vont s’inquiéter, non ?
- Nous sommes internes, dit Jérémie.
- Je m’en doutais un peu dans le cas d’Aelita Hopper. Cela dit, ça ne change rien au problème, il doit y avoir un couvre-feu, un pointage, n’est-ce pas ?
- Oui, à 21h, précisa Aelita.
- Dans ce cas, vous devriez rentrer sur Lyoko rapidement. Ici, il est 1h55, donc en France il est 20h25. Le colonel Nehru va vous raccompagner. Aelita, Jérémie, ce fut un plaisir de vous rencontrer, conclut-il en leur serrant la main.
Le général Paniandy, le docteur Suresh et monsieur Patil se levèrent et les saluèrent à leur tour.
- Je suis impressionné que vous ayez su faire fonctionner le supercalculateur, confia Suresh.
Puis Aelita et Jérémie, accompagnés du colonel Misha Nehru, prirent le chemin du retour : porte, couloir, ascenseur, couloir, scanners, tour du territoire rouge, machine volante. Alors qu’ils s’avançaient vers le vortex, Jérémie et Aelita demeuraient silencieux. Ils auraient pu poser encore mille questions, mais ils avaient besoin d’abord de digérer ce qu’ils venaient d’apprendre. Ils observaient le paysage désolé du territoire rouge.
- Les autres territoires de Vaellus sont plus accueillants que celui-ci, dont la rudesse est mise à profit pour l’entraînement des eidôns, commenta Misha.
- Les eidôns ? répéta Aelita.
- C’est ainsi que nous appelons les personnes virtualisés.
- Ha, d’accord. Nous les appelons lyokonautes.
- Le terme eidôn est plus général, constata Misha. On pourrait parler de Vaellusonautes lorsque nous sommes sur Vaellus, mais ce n’est pas très joli. Ha, nous allons bientôt devenir des lyokonautes.
L’aéronef franchit le vortex. Puis, émergeant de la mer numérique, il fila droit vers la terre ferme et déposa les deux lyokonautes. Misha leur fit un salut et rebroussa chemin.

***

Lorsqu’ils sortirent des scanners, leurs trois amis étaient là pour les accueillir et les étreindre. Ils avaient eu visiblement très peur.
- Le plus urgent est de rentrer avant que Jim ne s’aperçoive de notre disparition, dit Aelita. Ensuite, nous aurons des tas de choses à vous raconter.