Me demandez pas pourquoi, mais ça y est, c'est la fin de la série, ils vont débrancher le super-calculateur, etc, etc... Sauf qu'Aelita doit rester sur Lyoko.
Il prit une grande inspiration. Elle finit coincée dans sa gorge, l'étranglant sournoisement.
Soupirant silencieusement, sans laisser transparaître aucune émotion, il leva la main et la posa sur la manette.
Il ne lui manquait plus qu'à l'abaisser. Pour couper XANA. Pour couper Lyoko. Pour couper...
L'inspiration suivante fut saccadée, se terminant par une suite de reniflements. Ses yeux chauffèrent à force de rester fixer sur le levier sans en bouger. Ils devinrent humides, puis une grosse larme dévala sa joue.
Reniant son serment d'impassibilité, il cligna des yeux. Tout était brouillé lorsqu'il les rouvrit. La main toujours suspendue au levier, il appuya sa tête sur son bras, incapable de le faire bouger.
- J-j-je... Je n'peux p-pas... sanglota-t-il.
La voix qui lui répondit n'était pas humaine. Elle était grésillante sur le fond, provenant des micros de ordinateur.
- Il le faut, Jérémie.
Pourquoi, pourquoi aucune main chaude de compassion ne se posait en douceur sur son épaule ? Pourquoi avait-il l'impression, entouré de Ulrich, de Yumi et de Odd, d'être désespérément seul ?
- Tu sais ce qui se passera, sinon.
Que se passerait-il ? Le monde serait-il détruit, l'humanité réduite à quelques milliards de milliards de grains de poussière, la planète ravagée... ? Et ? C'était tout ? Quelle importance cela pouvait-il bien avoir ? Qu'était-ce que le monde à côté d'elle ? Qu'était-ce que la vie... Sans elle ?
- Ecoute.
Cette voix lui fit dresser l'oreille. Et la tête. Il n'avait que rarement entendu ce timbre sérieux et résolu dans les paroles d'Aelita.
Et chaque fois qu'il retentissait, ce n'était que pour annoncer une catastrophe.
- Crois-tu que... Que je serais plus heureuse si la Terre était détruite par ma faute ?
- C-c-ce n'est... pas TA faute...
- Tu n'as pas échoué, Jérémie. Vous avez toujours tout risqué pour moi, pour que je reste vivante. A moi de vous remercier.
Elle avait raison. Mais pourquoi, oui, pourquoi encore, fallait-il qu'elle eut raison ? Qu'avait-il fait de travers ? Tous ces efforts, toutes ces journées, tous ces moments... Gâchés...
Il prit alors conscience des dernières paroles de Aelita. Il essaya d'oublier cette cruelle injustice... De voir les choses sous un autre angle... D'y réfléchir...
Les yeux d'Ulrich le brûlaient. Comment avait-il pu en arriver là ? La frustration de ne rien pouvoir faire lui fit serrer les poings et les dents. Lentement, cette colère se mua en sentiment d'impuissance...
Il avait toujours été là pour la protéger... Il s'était fait le serment de toujours être là pour la protéger...
Comme ce jour... Oui, il se souvenait... Aelita allait enfin être parmi eux... Elle était dans la tour, en train de se préparer avec l'aide de Jérémie, mais un Méga-Tank, dans la folie du désespoir, avait tenté de démolir la tour... Vif comme l'éclair, il avait dégainé son sabre, il s'était précipité pour faire écran... Il avait maintenu en respect le rayon fatal du monstre, il devait y parvenir... Ses forces avaient commencé à l'abandonner, mais il avait puisé sa résistance en une unique pensée... L'idée de faillir à son devoir qu'il s'était fixé... Et jusqu'au dernier moment, il l'avait repoussé...
Mais il ne pouvait plus rien faire... c'était fini...
Yumi se sentait mal. Un sifflement perçait ses tympans, sa tête tournait, des larmes coulaient comme jamais des larmes n'avaient coulées sur ses joues... Encore une fois...
Elle s'était déjà sacrifié... Jérémie exultait, la matérialisation était au point... Mais Yumi était tombée dans la Mer Numérique... Sans une hésitation... Sans l'ombre d'une, sans y penser une seconde, Aelita avait laissé Yumi revenir à sa place...
Et toutes ses fois où, sur Terre, Yumi l'avait considéré comme une soeur... Qu'elle croyait la protéger, lui apprendre... Elle se trompait. Aelita était bien une soeur, mais une grande soeur, LEUR grande soeur... Elle avait apporté quelque chose à chacun d'eux... Elle leur avait toujours pardonné sans réfléchir...
Odd pleurait à grands bruits. Finie son enveloppe de bonne humeur, de gaieté et d'insouciance. Ce qu'il avait secrètement redouté depuis leur rencontre était finalement arrivé... il avait toujours su y faire face, il avait toujours su en rire, de cette idée folle... Mais maintenant...
Qu'est-ce qui avait changé ? Quelle était la différence entre aujourd'hui, et il n'y a pas si longtemps, alors qu'il plongeait sans hésiter depuis la corniche du Désert... La rattrapant de justesse et s'agrippant in extremis à la roche ?
A ce souvenir, Odd retrouva un semblant de sourire...
Jérémie, lui, se rappelait d'une nuit. D'une fleur. D'une odeur...
"Whah ! C'est génial de vivre !" lui avait-elle dit...
Il se demandait si...
De sa main libre, il fouilla adns sa poche.
Mais oui... Elle était encore là...
Pliée en quatre, blanchie aux plis, mais elle était encore là... Elle et lui se tenaient par le menton, en proie à un fou rire qui avait chassé tout de leurs soucis... Comme il aurait aimé avoir passé plus de temps avec elle, dans ce photomaton... Au collège... Tout le temps...
Les yeux moins embués, il détacha son regard de la photographie pour regarder la vraie Aelita, qui l'observait d'un air grave depuis la fenêtre qui ne l'interromprait plus jamais dans ses nuits blanches...
Soudain, ses traits se détendirent.
- Allez, ciao tout l'monde !
Sur son visage insouciant luisaient ces deux émeraudes innocentes, brillant du même éclat que lors de leur rencontre...
Reportant alors un regard étrangement détendu sur la manette, il l'abaissa.