Histoire : Une question de mise en scène

Écrite par Tchoucky le 05 juillet 2004 (12153 mots)

Il est neuf heures au collège Kadic. Heure pour le malheureux élève d’émerger enfin de l’état comateux post-réveil-matin, et de soupirer en constatant sur sa montre qu’il reste encore une heure de cours avant la récré. Heure pour le jardinier d’inspecter les allées en maugréant dans sa barbe sur le manque de respect des jeunes de maintenant pour les arbres. Heure où les couloirs sont vides, peuplés seulement par la rumeur des professeurs ânonnant leur cours d’une voix monotone et berçante.
Mais surtout, heure où le courrier du jour arrive enfin sur le bureau du secrétariat.
Millie et Tammya, se faufilent dans les escaliers, plus silencieuses qu’une paire de souris blanche sur le plancher de la salle de science.
_ Si on se fait prendre, souffle Tammya, on est VRAIMENT mal.
Millie lui sourit, son petit visage espiègle pâli par la nervosité.
_ Tu as la patience d’attendre jusqu’à midi, toi ? Moi, je ne peux pas. S’il ne reçoit rien aujourd’hui...
_ Je sais, je sais... Mais, bon, s’il n’y a rien, tu compte recommencer ce manège tous les jours ? Parce que là...
_ Chut, souffle Millie. Ca y est ! Madame Bonpoil sort pour prendre son café.
En effet, la secrétaire a quitté son bureau et s’éloigne dans le couloir.
_ C’est le moment ! Chuchote Millie. Fais le gué.
Elle se précipite par la porte entrouverte tandis que Tammya, priant de toutes ses forces pour que la machine à café ne soit pas en panne et pour que sa partenaire cesse d’avoir des idées aussi saugrenues et dangereuses, reste dans le couloir, l’oreille aux aguets.
Elle entend, à l’intérieur du bureau un froissement de papier et...
_ Bingo, s’écrie la voix de Millie. Odd a reçu une lettre...
_ Ah ? Fait Tammya, intéressée.
_... De ses parents.
_ Oh ! Gémit Tammya déçue.
Mais alors qu’elle s’apprête à proposer à Millie de partir, celle-ci pousse un petit cri :
_ Attends ! Il y a une autre lettre pour Odd ! Et elle est à l’en-tête de Pathate-Production.
_ Millie, Madame Bonpoil revient !
Vive comme l’éclair, Millie jaillit hors du bureau et toutes deux se sauvent en courant jusqu’au bout du couloir. Millie rayonne.
_ Cette fois, on tient un scoop ! Le scoop du siècle. Prépare-toi à tirer notre meilleur numéro. Il va falloir le double d’exemplaire ! Ce jour marque l’apothéose de notre journal !
_ T’emballe pas, Millie. Tout ce que tu as vu, c’est une lettre. Qui te dis que ce qu’il y a dedans...
_ On parle du Festival de la Jeunesse et des Loisirs, Tammya ! Tu sais combien de candidats ont passé l’audition ? Ils ne vont pas envoyer une lettre à tous ! Non, si Odd a reçu une lettre, c’est qu’il est sélectionné ! Imagine un peu le titre : « Le collège Kadic soutient son champion ! »
_ Trop pompeux, proteste Tamia. Mieux vaudrait une simple photo, et une légende : « Odd, notre favori ! » Eh, tu imagine s’il gagne le premier prix ?
_ Ca pour le coup, ce serait le scoop du millénaire. J’imagine : « Le collège Kadic à l’honneur ! »
Elles rient et s’éloignent.
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Midi. Assis à une table de cantine, Odd est inhabituellement silencieux. Il mange machinalement, sans remarquer qu’il est en train de sucrer son Yaourt avec du poivre. Pour la énième fois, il relit la lettre qu’il vient de recevoir, pour s’assurer qu’aucun mot n’as changé depuis le début du dessert. « Nous avons le plaisir de vous informé que votre prestation à été retenue. Vous êtes invité à venir la reproduire sur scène à l’occasion de notre festival de la Jeunesse et des Loisirs. »
_ Ce n’est pas rien, commente Ulrich. La télévision sera là pour couvrir l’événement. Odd, arrête de relire ton papier, tu vas l’user à force de le dévorer des yeux !
_ Je veux juste l’apprendre par cœur, rigole Odd, un peu crispé tout de même, pour m’en souvenir toute ma vie. Mon premier pas vers la gloire.
Il s’efforce d’adopter un ton désinvolte, mais en lui, c’est l’orage. Il ne s’est jamais senti si terrifié.
_ Tu imagine, rêve Yumi, très excitée. Si tu gagne le premier prix. Ou le deuxième. Ou le troisième. Oh, n’importe lequel ! Je n’arrive pas à croire que tu ais été sélectionné !
_ Comment, tu n’arrive pas ! Tu doutes de mon génie ? Tu me rendras raison pour cette offense ! Je te provoque en duel !
_ Je vois ce que Yumi veut dire, sourit Jérémie. Plus de cinq cent candidats et dix sélectionnés. Je suis soufflé, mon vieux. Littéralement soufflé.
Soufflé. C’est aussi ce que pense Odd. Bien sûr, il n’aurait jamais passé l’audition s’il n’avait pas cru avoir une chance. Mais à présent... Il a passé toute la semaine précédente à se montrer désinvolte, à avoir l’air de ne pas trop attendre. Mine de rien, il s’était résigné à ne recevoir aucune réponse. Mais là... Soufflé. C’est le mot.
Yumi a tiré de sa poche deux billets de théâtre :
_ L’autre bonne nouvelle, c’est que mes parents m’ont cédé leurs invitations à ce festival. Ils font autre chose ce soir-là. Et Jérémie a trouvé une place sur Internet. Ton fan-club sera au complet dans la salle pour te soutenir !
_ Pas tout à fait, Yumi, dit Jérémie d’un air sombre. Je n’ai PAS réservé de place sur Internet.
Yumi le regarde, sans comprendre...
_ Mais... Tu avais dit...
_ J’ai annulé la réservation.
Ses trois amis le regardent, stupéfaits.
_ Je ne peux pas laisser Aelita toute seule. Non, je ne peux pas. Elle s’était tant réjouie à l’idée d’être matérialisée, de pouvoir vivre une vie normale sur terre, et voilà que ce maudit virus l’empêche de quitter Lyoko ! Je ne vais pas aller à ce spectacle sans elle. Pas question.
_ C’est idiot, Jérémie, proteste Ulrich.
_ Peut-être, mais c’est comme ça.
Odd secoue la tête, et réexamine sa lettre.
_ Peut-être, si je les rappelle, si je leur explique que j’ai à tout pris besoin d’une place supplémentaire...
_ Laisse tomber, vieux. Je ne laisserais pas Aelita toute seule. C’est dans ces moments-là qu’elle regrette le plus de devoir rester sur Lyoko, quand il y a une fête, un événement.
Jérémie a parlé sur un ton un peu brusque. Il s’en rend compte en constatant que la température autour de la table a sérieusement diminué. Pour évacuer le malaise, il reprend sur un ton joyeux.
_ Alors, quel est ton secret ? Une chance sur cinquante d’être sélectionné, voilà qui défit toutes les lois de la probabilité.
_ Ca n’a rien à voir avec la probabilité. C’est uniquement une question de mise en scène. Même si ton numéro consiste uniquement à faire tenir une cuillère collée à ton nez, pourvu qu’il y ait une bonne mise en scène, ça passe !
Jérémie éclate de rire :
_ Mais enfin Odd, tu ne va pas faire tenir une cuillère sur ton nez, tu vas chanter et jouer de la guitare !
_ Peut-être, mais je te dis, tout ça n’est qu’une question de mise en scène. Tiens, on dirait que les nouvelles vont vite !
Millie et Tammya, micros et caméra au poing, se sont mises à monter la garde devant l’entrée de la cafétéria. Ulrich donne une grande claque dans le dos de Odd.
_ Corvée d’interview, mon vieux ! Il va falloir t’y habituer, c’est le début de la gloire.
_ Bon, soupire Odd d’un air faussement contrit. Quand faut y aller...
Tandis qu’il se lève et rejoint la sortie, Jérémie regarde sa montre.
_ Oh, il faut que j’y aille, moi. Je dois voir Aelita avant de retourner en cours.
Il ramasse son plateau et s’éloigne.
Yumi et Ulrich restent seuls à la table. Ils se regardent sans mot dire. Les billets de théâtre sont toujours posés devant eux.
_ A quoi tu penses, Ulrich ?
_ J’espère, à la même chose que toi.
Yumi ramasse les deux billets. Leur papier est fin et fragile, le contact avec les plateaux humides pourrait les abîmer. Elle les observe un instant puis replonge sur regard dans les insondables yeux noisette d’Ulrich. Impossible de deviner s’il a bien la même idée qu’elle.
_ Toi et moi, on a souvent l’occasion d’aller à des concerts ensemble.
_ Et la musique de Odd, on la connaît par cœur.
_ Jérémie et Aelita n’ont jamais été nulle part tous les deux. Ils n’ont jamais l’occasion de passer du temps l’un avec l’autre.
_ En plus, Aelita ne sait même pas ce que c’est qu’un concert. Elle ne s’est jamais amusée de toute sa vie.
_ Donc, tu penses à la même chose que moi.
_ Eh oui.
Ils se taisent et se sourient par-dessus leur plateau. De nouveau, Yumi tourne son regard vers la paire de billets qu’elle tient en mains. Elle a malgré elle un pincement au cœur.
_ C’aurait été une bien belle soirée, murmure-t-elle.
_ Et oui, soupire Ulrich en haussant les épaules.
Yumi se penche vers lui au-dessus de la table pour murmurer, assez bas pour qu’il soit seul à entendre, et en rosissant légèrement.
_ Je tiens à ce que tu saches... Que j’aurais été ravie d’y aller avec toi !
Le teint d’Ulrich prend la couleur d’un soleil couchant.
_ Je sais, Yumi. Moi aussi, j’aurais été ravi.
_ Tu es sûr que tu ne regretteras pas ? Demande Yumi.
_ Non. De toute façon, je n’ai pas l’intention d’aller ou que ce soit sans toi, alors, comme tu as déjà pris ta décision, moi aussi !
Cette détermination va droit au cœur de Yumi. Faisant mine de se lever, elle saisit la main de son ami par-dessous la table et la serre dans la sienne un instant. Puis elle ramasse son plateau.
_ On se retrouve après les cours, dit-elle d’un ton détaché. Mais, ajoute-t-elle avec un ton faussement sévère, si tu souffle un mot à Jérémie avant que je revienne, je te ferais une scène à coté de laquelle les attaques de Xana te sembleront agréables.
_ Promis, répond Ulrich.
Elle quitte le réfectoire laissant Ulrich seul à la table, immobile. Le contact de leurs mains n’a duré qu’un bref instant, mais il suffit à Ulrich pour se sentir électrifié.
« Décidément, c’est une belle journée. » Se dit-il.
Et, sur cette pensée, il se lève et quitte la table à son tour.
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_ Vas-y, dit Aelita. Explique-moi ce que c’est.
_ C’est une sorte de concours, décrit Jérémie, très médiatisé, ouverts aux jeunes de douze à dix-huit ans. Certains viennent présenter un numéro de jonglage, d’autre vont jouer une scène. Odd, lui, va chanter en s’accompagnant avec sa guitare. À la fin, le jury élira les trois numéros qu’il a préféré. Mais je ne crois pas que Odd y aille pour gagner. Non. Ce qu’il espère plutôt, c’est rencontrer des gens, disons, des gens qui peuvent lui présenter des gens, qui peuvent lui présenter des gens...
_ Des relations, quoi !
_ C’est cela, des relations.
_ Mais qu’est-ce qui se passe s’il gagne ?
_ Oh, ce n’est qu’un prix symbolique, il n’y a pas de récompense à la clef, mais ce serait quand même une belle réussite.
_ Je ne comprends pas. S’il ne gagne rien en échange de sa prestation, quel est l’intérêt ?
_ L’intérêt, c’est d’être vu par des millions de gens et d’être remarqué. C’est signe qu’on vaut quelque chose.
_ Mais Odd sait, non, qu’il vaut quelque chose ? Ou s’il ne le sait pas, il faut le lui dire !
_ Bien sûr, mais... Comment t’expliquer ?
Jérémie bafouille et s’embrouille. La notion de performance et de gloire est trop humaine pour qu’Aelita la comprenne.
_ Disons, c’est comme un test, pour s’assurer qu’on est bien capable de relever le défi qu’on s’est lancé.
_ C’est étrange. Murmure l’humanoïde sur un ton dubitatif.
Jérémie regarde sa montre. Plus qu’une minute avant le début du prochain cours.
_ Aelita, il faut que je te laisse. Je te rappelle ce soir.
_ A ce soir alors, répond l’humanoïde en disparaissant.
Jérémie quitte la chambre, laissant derrière lui son ordinateur en veille.
Là, quelque part, tapi au creux de son antre numérique, Xana observe, écoute et analyse la conversation qu’il vient de surprendre.
Il y était question de Odd. Fichier C. Parasite récalcitrant. Dangereux. A éliminer en priorité. Odd. Prochaine cible.
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_ Oh, Ulrich !
Ulrich, qui vient de quitter le réfectoire. Sissi vient de s’approcher.
_ Sissi ? Je peux quelque chose pour toi ? Soupire-t-il sur un ton résigné.
_ J’ai entendu la nouvelle, pour Odd. Dit la jeune fille d’un ton sucré et aguicheur. Dis donc, j’ai cru comprendre que vous n’aviez que deux billets pour la soirée, et vous êtes trois ! Comment allez vous faire ?
_ On s’est arrangé.
_ Parce que tu sais... Mon père m’a obtenu deux entrées pour cette soirée. Une pour moi, une pour la personne de mon choix. Qu’en penses-tu ? Tu pourrais venir avec moi, et Yumi inviterait Jérémie, comme ça vous seriez tous dans la salle.
Ulrich sourit intérieurement de l’incessante obstination de Sissi pour l’attirer dans ses filets. Il y a quelque temps encore, il l’aurait renvoyée avec une phrase bien sentie. Mais aujourd’hui, il n’en éprouve pas le besoin. Il a encore dans les oreilles les cris de joie de Odd à l’ouverture de sa lettre, et déjà ceux de Jérémie quand Yumi et lui diront ce qu’ils ont l’intention de faire. Il sent encore sur sa main droite le doux contact de la paume de Yumi et n’a pas d’autre pensée en tête. Non, décidément, c’est une trop bonne journée pour se prendre la tête avec Sissi.
_ Tu es gentille, Sissi, mais j’ai d’autres projets ce soir-là. Je n’irais pas au concert. Maintenant excuse-moi, je dois aller en cours.
Il dit et la plante là, au milieu du couloir. Sissi est intriguée par l’inhabituelle politesse d’Ulrich. Ça ne lui ressemble pas. D’ordinaire, il la rembarre et elle peut se persuader qu’il est méchant avec elle pour cacher l’attirance qu’elle lui inspire certainement. Mais cette politesse, impossible de l’interpréter comme autre chose que de l’indifférence.
« Il y a anguille sous roche. Sissi, ma belle, tu dois ouvrir l’œil. »
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Cinq heures. Les élèves sortent de cours. Sissi n’a pas cesser de guetter Ulrich tout l’après-midi. Elle l’observe qui s’éloigne vers la grille du parc, en compagnie de Yumi, Odd et Jérémie.
_ Comme il s’y croit ! Râle Nicolas en regardant Odd d’un œil noir. Parce qu’il est invité à faire le guignol devant une bande de momies poussiéreuse, il se prend pour une vedette !
_ Une bande de momie poussiéreuse, répète naïvement Hervé. Mais, Nicolas, tu as passé l’audition, toi aussi ! Avec ta batterie !
_ Bon, ça suffit tous les deux ! Les arrête Sissi d’une voix sèche. J’ai suffisamment entendu parlé d’Odd pour aujourd’hui. Allons plutôt en salle d’étude, au moins, là-bas, personne ne discutera de ça, et je pourrais faire mes exercices tranquille.
Les deux gorilles se taisent et la suivent, un peu étonnés par sa réaction brusque, mais ils ne posent pas de questions. Depuis qu’ils la connaissent, ils ont fini par se rendre compte qu’il ne faut jamais poser de question à Sissi quand elle est de mauvais poil.
Celle-ci s’est d’ailleurs désintéressée d’eux, et chercher maintenant frénétiquement dans son sac.
_ Flûte, j’ai laissé mon livre d’anglais dans ma chambre !
_ Tu veux que j’aille te le chercher ! Propose galamment Hervé.
_ Non ! Je te connais, je le retrouverais certainement en plusieurs morceau. Attendez-moi là-bas, j’arrive.
Elle tourne les talons et prend la direction du dortoir. Hervé et Nicolas se regardent, haussent les épaules, et se dirigent vers la salle d’étude.
Cependant, dans le parc...
_ Dis-moi, Jérémie, demande Yumi sur un ton désinvolte. Les territoires de Lyoko sont superposés, n’est-ce pas ?
_ Heu... Oui, répond Jérémie, un peu étonné par la question.
Les quatre amis marchent côte à côte, d’un pas tranquille, content d’avoir terminé leur journée et de pouvoir deviser de tout et de rien. Enfin, surtout de rien, et surtout pas de Lyoko. La demande de Yumi est plutôt inattendue. Cependant, Jérémie se sent en devoir de préciser sa réponse.
_ Le territoire du désert est superposé au territoire banquise. Le territoire de la forêt est superposé au territoire montagne, en effet. Mais que...
_ Donc, l’interrompt Ulrich, si une tour est activée depuis le territoire montagne, Aelita peut sentir les pulsations depuis le territoire forêt, et si une tour est activée sur la banquise, elle peut les sentir depuis le désert.
_ C’est cela ! Mais vous posez de drôle de questions, tous les deux. Aelita peut se déplacer d’un territoire à un autre, si elle veut vérifier qu’aucune tour n’est activée.
_ Elle, elle peut. Dit Yumi. Nous pas.
_ Comment ça, vous pas ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?
_ Si nous devons monter la garde durant la soirée, dit Ulrich, il faudra que tu envoie Yumi dans le territoire de la forêt et moi dans le territoire du désert. Comme ça, si Xana attaque, on est sûr de ne pas le manquer.
Jérémie le regarde sans comprendre, et interroge Odd du regard, mais celui-ci a l’air aussi interdit que lui.
_ Quoi, monter la garde ? Quelle soirée ? Pourquoi devriez-vous monter la garde ?
Yumi sourit et prononce lentement, pour mieux ménager son effet.
_ Il faudra bien qu’on monte la garde, Ulrich et moi, pendant que toi et Aelita vous irez regarder Odd faire sa prestation sur scène.
Jérémie s’est arrêté de marcher. Odd aussi, très curieux de connaître la suite des événements.
_ Que... Quoi ? Comment ? Vous pouvez me redire ça ? Bafouille Jérémie.
Ulrich et Yumi se retiennent de rire en voyant son expression abasourdie. Ulrich explique.
_ Avec Yumi, on pense que Aelita et toi, vous devriez aller à cette soirée, plutôt que nous.
_ Voyons, voyons... Balbutie Jérémie, éperdu, incapable de trouver le moindre mot.
Il enlève ses lunettes, les essuie, et les remet sur son nez, mais sa ne suffit pas à lui donner une contenance.
_ Voyons, voyons...
Ulrich et Yumi le regardent en souriant, plutôt fiers d’eux. Odd s’est tourné vers lui, avec un regard malin qui pourrait se traduire à peu près par « à toi la réplique, vieux, essaye de faire aussi fort ! »
_ Voyons, vous ne pouvez pas faire ça ! C’est impossible !
_ Mais si ! Dit Yumi en lui fourrant dans la poche la paire de billet qu’elle a sorti de son cartable. La preuve, nous le faisons.
« Saint patron des cas désespérés, aidez-moi. » Pense Jérémie.
_ Mais enfin ! Finit-il par s’écrier. Vous êtes en train de me dire que vous voulez passer la soirée du siècle sur Lyoko à monter la garde...
_ ...Pendant qu’Aelita découvrira les plus beaux spécimens le la jeunesse et des loisirs terrestres, achève Ulrich. Parfaitement, c’est ce que nous sommes en train de dire.
_ Et comme notre décision est prise, ajoute Yumi sur un ton impératif, ça ne se discute pas ! Tu vas me faire le plaisir d’annoncer la nouvelle à Aelita et plus vite que ça ! Non mais !
_ Je... Je crois que je vais en parler à Aelita, bégaye Jérémie, un peu assommé.
_ Attends-moi, dit Odd, je ne veux manquer ça pour rien au monde !
Jérémie s’éloigne à la recherche d’un coin tranquille où ouvrir son ordinateur portable. Ulrich se tourne vers Yumi et émet un sifflement admiratif.
_ Quelle autorité ! Rappelle-moi de ne jamais aller dans l’armée avec toi comme sergent-chef !
_ Tu le connais. Il aurait discutaillé pendant des heures.
Jérémie et Odd ont disparus derrière la cabane du jardinier, les laissant seuls dans une allée déserte, hors de vue de quiconque.
_ Tu aurais pu lui parler de tout ce qu’Aelita pourra découvrir et apprendre sur notre monde durant cette soirée. Murmure Ulrich, en jouant négligemment avec une branche pour se rapprocher d’elle sans en avoir l’air. Ç’aurait été un argument décisif.
_ Je n’y avais pas pensé. Avoue-t-elle d’un ton penaud, en baissant les yeux.
Ce n’est que lorsqu’elle les relève qu’elle réalise qu’il est maintenant tout près d’elle. Beaucoup trop près pour qu’il y ait le moindre doute sur ses intentions.
Sans lui laisser le temps de réagir, Ulrich se penche vers elle et pose délicatement ses lèvres sur les siennes. Il la sent qui tressaille, mais s’abandonne. Une seconde passe, qui semble durer une éternité. Soudain, des éclats de voix les avertissent du retour de leurs amis. Lorsque Odd et Jérémie tournent le coin de l’allée, Ulrich a déjà repris sa place initiale, à quelque pas d’elle, avec la rapidité d’un prestidigitateur dissimulant une colombe dans sa manche.
_ Donc, reprend Jérémie sans se douter de rien, vous êtes près à monter la garde tout le temps qu’Aelita passera hors de Lyoko.
_ C’est ça, répond Yumi sur le ton le plus désinvolte possible, en priant pour que ni lui ni Odd ne remarque ses joues en feu.
Mais Jérémie est trop heureux pour remarquer quoi que ce soit.
_ Les amis... Je... Je ne sais pas comment vous remercier...
_ Moi si, dit Yumi. Débrouille-toi pour qu’Aelita passe la meilleure soirée de toute sa vie, sinon, je te promets, tu entendras parler de moi !
_ Et peut-être, si tu pouvais faire mes devoirs de mathématiques pendant un mois, commence Ulrich. Non, je rigole ! Un simple merci suffira.
_ Merci ! Merci ! Répète Jérémie, incapable de dire quoique ce soit d’autre.
_ C’est beau, ce que vous venez de faire, les gars... dit Odd, sans ironie aucune.
En riant, les quatre amis s’éloignent vers la grille.
Immobile et seule au milieu de l’allée, Sissi serre contre elle son livre d’anglais comme si elle voulait le broyer. Tous ses muscles se sont contractés. Elle a le cœur au bord des lèvres. Avec une ferveur masochiste elle passe et repasse dans son esprit l’insupportable image. Ulrich en train d’embrasser Yumi. Non. Ce n’est pas ça qui est insupportable. Ce qui est insupportable, c’est le visage de Yumi ensuite, ses joues cramoisies, ses yeux qui brillent, Yumi prise au dépourvu, heureuse, amoureuse, comblée.
Sissi serre les dents. Les dents, les poings et tout le reste. Pas question qu’elle pleure. Tout ça n’est rien. Tout ça ne serait rien, s’il n’y avait pas ce visage dans sa tête.
Dans les romans, il arrive que le héros tombe amoureux d’une autre avant de rencontrer l’héroïne, la seule, la vraie, celle qu’il cherche depuis toujours sans le savoir. Que Ulrich tourne autour de Yumi, c’était énervant, mais ça ne voulais rien dire. Un jour, il aurait fini par l’aimer, elle, Sissi, il aurait fini par ce rendre compte...
Ce rendre compte de quoi ? C’est Sissi qui doit se rendre à l’insupportable évidence. Le visage de Yumi, ce n’est pas celui de la rivale superficielle qui va être délaissée. C’est le visage de l’héroïne, et c’est elle, Sissi, qui joue le second rôle, le rôle de l’obstacle, de...
« Non ! Non ! Pas question ! »
Pas question d’être le second rôle. Pas question qu’il soit amoureux d’elle, d’elle et pas de Sissi. Sissi et ses longs cheveux noirs, Sissi et sa mince silhouette dont elle est si fière.
« Pourquoi elle ? Pourquoi elle et pas moi ? Qu’est-ce qu’elle a que je n’ai pas ? »
Tu le sais parfaitement, répond une voix en elle. Elle chasse la pensée d’un haussement d’épaule. Pas question de s’engager sur ce terrain. Pas question d’être sensible. La sensibilité, Sissi a suffisamment donné pour savoir que ça ne mène à rien.
« Je vous briserai. Tous les deux. »
Elle fait demi-tour et, sans plus se soucier d’Hervé et Nicolas qui doivent l’attendre dans la salle d’étude, elle monte vers sa chambre. Le visage dur. Pas question de pleurer.
« Oui. Je vous briserai. »
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Samedi soir. Odd est parti depuis le début de l’après-midi déjà. Ulrich frappe à la porte de Jérémie.
_ Alors, Roméo, tu es près ?
_ Non.
Ulrich entre dans la chambre. Jérémie a quitté son éternel ensemble pull-over bleu, jean et baskets pour un costume très chic qui rappelle vaguement celui des danseurs de claquette.
_ J’ai l’air de quoi ?
_ Heu... Répond Ulrich, sincèrement embarrassé.
_ C’est si ridicule que ça ?
_ Mais non ! De toute façon, avec un cerveau comme le tien, quelle femme te résisterait ? Allez, vient, on va être en retard.
Ils quittent la chambre. Jérémie semble plus nerveux qu’avant un examen primordial.
_ Tu es sûr que tu ne regrette pas ? Demande-t-il à Ulrich.
_ Ca fait la cinquantième fois que tu me demande ça. Oui, je suis sûr que je ne regrette pas. De toute façon, même s’il y avait eu suffisamment de billet, il aurait quand même fallu que quelqu’un reste sur place pour monter la garde, non ?
_ S’il y a le moindre problème, le moindre, vous nous appelez, et Aelita et moi on rapplique en vitesse.
_ T’inquiète ! On ne manquera pas de vous appeler en cas d’urgence. Je sais trop ce qu’on risque si Aelita ne rentre pas au bercail à temps !
Ils s’éloignent, sans se douter que leur bribe de conversation a été entendue. Derrière la porte de sa chambre, Sissi les regarde disparaître dans les escaliers avec un sourire mauvais.
« Alors, si j’ai bien tout suivi, il y a une certaine Arletty, qui doit rentrer à l’heure au bercail si on ne veut pas avoir d’ennui. Mon petit Ulrich, avant la fin de la nuit, tu auras regretté amèrement d’avoir négligé Sissi. »
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Quand ils arrivent à l’usine, Yumi est déjà dans le labo.
_ Ah, voilà nos cavaliers ! Annonce-t-elle à Aelita dont le visage, sur l’écran, exprime une certaine anxiété.
Jérémie prend sa place au poste de commande.
_ Vous pouvez descendre, je vais commencer par matérialiser Aelita, puis je vous virtualiserai.
Yumi et Ulrich prennent place dans l’ascenseur.
_ Comment est Jérémie ? Demande Yumi quand la porte s’est refermée sur eux.
_ A peu près aussi en forme que s’il devait affronter une armée de méga-tank à lui tout seul. Tu imagine ?
_ J’imagine. Mais multiplie ça par dix, et tu auras un aperçu de ce qu’éprouve Aelita. C’est sa première vraie sortie.
_ Combien de fois elle t’a demandé si tu ne regrettais pas ?
_ A peu près cent.
_ Record battu, alors.
La porte de l’ascenseur s’ouvre sur la salle des scanners, en même temps que la porte du grand sarcophage blanc qui lui fait face.
Aelita, plus fine et blanche que jamais, sort du scanner, fait quelque pas et respire à grande gorgée pour profiter de son corps tout neuf.
_ Bienvenue sur terre, Cendrillon. Lui dit Ulrich. Dépêche-toi de monter, ton prince charmant s’impatiente.
Tandis que la jeune fille disparaît dans l’ascenseur, Ulrich et Yumi échangent un dernier regard.
_ Bon, eh bien, à tout à l’heure. Murmure Ulrich.
_ Oui, à tout à l’heure.
Ils se mettent en place.
Tandis que les portes du scanner se referment sur elle en un grincement sourd, Yumi ressent à nouveau ce pincement au cœur qui l’a prise au moment ou elle a décidé de renoncer aux billets. Non, ça ne va pas être drôle de passer la soirée à monter la garde, séparée d’Ulrich. Elle chasse vite cette pensée égoïste, passe les doigts sur ses lèvres, là où il l’a embrassée et ferme son esprit à tout ce qui n’est pas ce souvenir délicieux.
_ Transfert Yumi. Scanner. Virtualisation.
Un flash, puis plus aucune sensation corporelle. Autour d’elle se dessine le décor de la forêt.
_ Yumi, dit Jérémie dans le haut-parleur, je vous relie l’un à l’autre par radio. Comme ça, vous pourrez vous parler, même en étant dans deux territoires différents.
_ Merci, Jérémie.
_ Et n’oublie pas ! A la moindre alerte...
_ On t’appelle sur ton ordinateur portable, promis ! Et maintenant filez, vous allez être en retard !
Jérémie enlève son casque, et se tourne vers une Aelita plus pâle et plus tremblante que jamais. A la vue de sa peau fine, de ses yeux d’émeraude en amande, de ses lèvres douce et rouge, il sent son estomac se retourner. Elle est encore plus belle qu’à sa dernière virtualisation. Et dire qu’il va se rendre, lui, Jérémie, à l’événement le plus médiatisé du moment avec cette créature divine à son bras !
_ Pourquoi tu me regardes comme ça, Jérémie ? J’ai quelque chose qui ne va pas ?
_ Non ! Non ! Se récrie Jérémie. Non, tu es... Heu, bon... Allons-y, mademoiselle. Après vous.
Tandis qu’ils s’enfoncent dans l’ascenseur, Aelita saisi le bras de son ami.
_ Dis, Jérémie, ça veux dire quoi, Cendrillon ?
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Dans la coulisse, Odd a le sentiment d’avoir mangé quelque chose de très remuant au déjeuner. Ses entrailles dansent la gigue. Il tente de s’occuper en vérifiant que sa guitare est bien accordée, mais une jeune fille à ses cotés s’énerve.
_ Un peu de silence ! J’ai besoin de me concentrer.
Odd jette un coup d’œil à la fille. Elle est un peu plus âgée que Yumi, et tiens dans ses mains un jeu d’anneau. Une jongleuse. Bah, peu importe le numéro, ce qui importe, c’est la mise en scène. Et avec son air revêche, cette fille, elle n’est pas prête de le gagner, son prix.
_ Odd ! Odd ! Appelle soudain une voix familière.
Il se retourne et aperçoit... Aelita, qui vient vers lui. Une Aelita très excitée, tenant à la main un Jérémie béat, comblé, et écarlate.
_ On a réussi à entrer sans qu’on nous voie dans, comment tu appelles ça, Jérémie ? Ah oui, la coulisse ! Se met-elle à pépier, au grand désespoir de la jongleuse revêche. L’homme en costume à l’entrée ne voulait pas nous laisser passer, j’avais beau lui dire qu’on était tes amis, il ne voulait pas. Heureusement, Jérémie a trouvé une autre entrée !
Elle s’arrête pour reprendre son souffle, stupéfaite de la difficulté qu’il y a à parler et respirer en même temps. Odd en profite pour lui faire un sourire charmeur.
_ Alors, princesse. On a quitté son royaume pour assister à la naissance d’une étoile ! Profite bien de ce moment ! Plus tard, tu pourras raconter que tu étais à la première de Odd, la star du XXIe siècle !
_ Tiens, j’ai entendu dire que sa portait chance dans votre monde, souffle Aelita en déposant un baiser sur la joue de la future star, qui devient aussitôt aussi rouge que Jérémie.
_ Bon... B... Bien, bafouille-t-il. Oh dites, les premiers numéros vont commencer ! Vous devriez regagner vos places ! Surtout ne manque rien, princesse. Tu vas en avoir plein les yeux.
_ On y va ! On y va ! S’écrie Aelita.
Et, inconsciente de l’exaspération que provoque son gazouillis incessant parmi les jeunes artistes, elle entraîne son compagnon vers la sortie, le bombardant littéralement de questions surtout ce qu’elle voit. Jérémie la suit, quasiment robotisé, ne semblant rien voir en dehors d’elle.
« Complètement sonné, l’Einstein ! Rigole Odd, intérieurement. Bon, c’est pas tout ça, mais est-ce que je me rappelle bien de toutes les paroles de ma chanson, moi ? »
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Ulrich court, de plateau en plateau, sur le sol du désert virtuel. Nul son autour de lui, que le rythme tressautant des câbles qui jaillissent ça et là du sable rouge, et le bruit de ses pas. Du haut d’un rocher, il jette un regard circulaire au paysage qui l’entoure. Tout est immobile.
_ J’ai fait le tour du territoire, Yumi. Rien à signaler pour l’instant.
Tout près de lui, sans qu’il puisse déterminer d’où exactement, un grésillement. Et la voix de Yumi, métallisée, se fait entendre.
_ Rien à signaler de mon côté non plus. Tant mieux.
C’est étrange d’entendre sa voix si près, et de ne pas la voir. Il ferme les yeux pour essayer de se la représenter, marchant sous les ramures du territoire « Forêts ». Si lointaine. Et, en même temps, si proche.
Dans ce monde de pixel, de silence et de solitude, le lien radiophonique qui les unis semble plus serré, plus fort que leurs voix dans le monde réel.
« Elle ne peut pas me voir. Songe Ulrich. Seulement m’entendre. C’est peut-être le moment de lui dire tout ce que je n’ose pas lui dire en temps normal. »
Au lieu de cela, il plaisante, d’un air faussement contrit.
_ Tu t ’es bien débrouillée ! Tu choisis d’être de garde dans la forêt et tu me laisse cuire dans ce désert.
A nouveau le grésillement, et son rire, tellement, tellement proche...
_ Qu’est-ce que tu racontes ? On ne peut sentir ni le chaud ni le froid quand on est virtualisé !
Sa voix est légère, gaie. Elle ne l’a pas été souvent, ces dernier temps, avec les attaques de Xana qui se multiplient. Il lui souffle, tout doucement, comme pour affiner encore la sensation de proximité :
_ Moi, je n’y suis pour rien. Je suis au soleil, donc je sens la chaleur, c’est psychologique !
Son rire encore, métallisé par la radio, dans le silence du désert.
_ La prochaine fois, c’est moi qui prendrais le désert, promis.
Elle se tait. Peu importe. Il sait qu’elle est toujours là, à l’écoute. Encore une fois, il songe à tout ce qu’il pourrait lui dire, tant qu’elle ne peut pas voir son visage, mais il ne dit rien. Il n’a jamais été très doué pour parler. D’ailleurs, il n’en a pas besoin. Dans le silence, elle a déjà tout entendu.
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_ Que c’est beau, murmure Aelita, tandis qu’une toute petite jeune fille achève une aria émouvante sur le temps enfui. C’est étrange, j’ai comme une sensation agréable et désagréable.
_ C’est normal, chuchote tout bas Jérémie pour ne pas déranger ses voisins de siège. La chanson était triste, et pourtant agréable à entendre.
Il lui parle à l’oreille, respirant avidement le parfum de sa peau. Dieu ce qu’elle peut sentir bon !
Aelita est concentrée sur ce qui se passe sur scène, bien décidée à n’en perdre aucune miette. Jérémie, lui, regarde à peine, trop occupé à dévorer sa compagne des yeux. Il brûle d’envie de la toucher, de prendre sa main, de la garder dans la sienne tout le temps qu’elle sera réelle. Mais il n’ose pas.

Deux rangée de siège plus haut, Sissi observe les tourtereaux. La jeune fille aux cheveux roses qui se tient à coté de Jérémie lui a déplu immédiatement. Il se dégage d’elle une aura de pureté, de naïveté, tout ce qui insupporte Sissi. D’emblée, elle la déteste, avec la même ferveur qu’elle déteste Millie et Tammya, et toutes ces gamines naïves, gaies, passionnées, sincères. C’est si facile d’être gaie passionnée et sincère quand on a pas, chaque jour, à se mettre en scène, à essayer de passer pour une fille normale, qui a une famille normale...
Elle observe sa future victime.
« Alors comme ça, ce serait ennuyeux que tu rentre trop tard au bercail... »
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De sa tanière, Xana esquisse un mouvement. La vibration travers Lyoko de part en part, secouant imperceptiblement les ramures verte et sombre du territoire des forêts. Yumi, qui marche sur le sentier, s’immobilise. Elle a senti sous son pied un imperceptible mouvement du sol.
_ Ulrich ? Appelle-t-elle.
Mais ça n’a duré qu’une seconde.
Elle reste sans bouger et scrute entre les arbres virtuels, le sourcil froncé, l’oreille aux aguets.
_ Eh bien, Yumi ?
_ J’ai dû me tromper. Le sol est parfaitement immobile.
Elle colle tout de même son oreille à la terre. Un léger chuintement lui parvient, rien de plus.
_ Je ne sais pas, Ulrich. Il n’y a rien pour l’instant. Le sol ne tremble pas.
_ Sois prudente quand même. C’était peut-être le début de quelque chose.
A peine la voix d’Ulrich s’est-elle tue que le sol se met à trembler, pour de bon. Lyoko est secoué, secoué avec violence.
_ Ulrich, cette fois j’en suis sûre, il y a des pulsations. Elles doivent provenir du territoire Montagne. J’appelle Jérémie !
Elle se met à courir sur le sentier. C’est idiot. Elle ne peut pas se déplacer d’un territoire à un autre sans l’aide de Jérémie. Mais elle court malgré tout, concentrant tout son esprit sur l’ordinateur portable, l’ordinateur qu’elle doit joindre.
_Yumi ? Tu es toujours là, s’inquiète Ulrich.
_ Hmm, hmm.
Pas le temps de lui parler. Une seule pensée. L’ordinateur de Jérémie. L’ordinateur. L’ordinateur....

Sur la scène, un jeune homme d’une quinzaine d’année vient de faire apparaître un vol de colombe pour le grand plaisir des spectateurs.
_ Odd est le prochain sur la liste. Dit Jérémie en consultant le programme.
C’est à ce moment là qu’il entend une sonnerie venant de son cartable. Ses voisins de sièges se retournent, exaspérés.
_ Heu... Désolé ! Désolé ! Balbutie Jérémie en quittant sa place, Aelita sur ses talons.
Deux sièges plus haut, Sissi n’a rien perdu de leur départ précipité.
_ Viens, dit-elle à Nicolas, qui est assis à côté d’elle.
Dans le couloir du théâtre, Aelita et Jérémie ont trouvé refuge derrière la cabine du régisseur. Jérémie ouvre son ordinateur. Le portrait de Yumi, surplombé d’un petit haut-parleur y est représenté.
_ Oui, Yumi, murmure Jérémie en se coiffant du casque audio.
_ Jérémie, dit la voix métallisée de Yumi, il y a des pulsations de mon coté. Je crois qu’elles viennent du territoire montagne.
_ On arrive immédiatement, dit Jérémie. Je lance le scan, et on se retrouve à l’usine.
Aelita, cependant, n’a pu s’empêcher de jeter un coup d’œil à travers la vitre du régisseur.
_ Jérémie, tu as bien dit que Odd était le prochain à monter sur scène, n’est-ce pas ?
_ Oui, je sais. C’est dommage, mais...
_ Non, Jérémie. Je crois que j’ai compris quelle était l’attaque de Xana.
Jérémie regarde à son tour à travers la vitre. Derrière le dos du régisseur, deux câbles sont comme parcourus d’électricité statique. Les projecteurs sur la scène clignotent étrangement. Un petit bonhomme armé d’une guitare vient de prendre place face au public. Odd. L’animateur est en train de le présenter.
_ Aelita ? Qu’est-ce que Xana peut faire avec ces projecteurs ?
_ Avec une dose d’énergie suffisante, il peut les faire exploser. Bien sûr, ça ne peut tuer qu’une personne, celle qui est en dessous à ce moment-là. Jérémie, il y a des projecteurs partout autour de la scène ! Odd sera obligé de passer dessous dés qu’il descendra !
_ Il faut le prévenir ! Souffle Jérémie. Attends-moi là.
Laissant là son amie, il court vers la coulisse. Sur scène, Odd répond à quelques questions de l’animateur. La porte non surveillée par le vigile est toujours là. Il la pousse et est accueilli par une volée de plume..
_ Dehors ! Lui dit le jeune prestidigitateur qui a grand peine à retrouver ses colombes.
_ Je dois parler au type qui est sur scène !
_ Je ne veux pas le savoir ! Dehors ! Ferme la porte, elles vont s’échapper par-là !
Jérémie se retrouve sur le pas de la porte, tandis que sur scène raisonnent les premiers accords de guitare.
Et, bien qu’il sache que ce geste est totalement idiot, il compose le numéro de portable de Odd. C’est avec soulagement qu’il entend la sonnerie retentir sur la scène.
Odd, bien que décontenancé, assume aussitôt l’imprévu.
_ QUI EST LE MARIOLE QUI A OUBLIE D’ETEINDRE SON PORTABLE ? Hurle-t-il à la salle, qui se met aussitôt à rire. Oh, tiens ! On dirait que c’est moi !
_ Décroche, Odd, s’il te plait, murmure Jérémie entre ses dents.
Les rire dans la salle redouble quand Odd « Excusez-moi, je suis si demandé ! » Décroche son téléphone avec un sourire désinvolte.
_ Odd, souffle Jérémie, c’est moi. Xana vient de lancer une attaque, et c’est toi qu’il vise !
_ Ah c’est encore toi, Mémé ? Répond Odd devant une assemblée hilare. Tu es en train de me regarder à la télé ? Quoi, ma coiffure ?
_ Xana a pris le contrôle des projecteurs. Avec une dose suffisante d’électricité, Aelita pense qu’il peut les faire exploser.
_ Qu’est-ce que tu raconte ? Continue Odd avec des mimiques qui lui valent les applaudissements de toute la salle. Elle est très bien, ma coiffure !
_ Écoute, tu ne risque rien tant que tu es au milieu de la scène, loin de la rampe. Mais tu ne peux pas sortir de scène sans passer sous au moins un projecteur. Odd, IL NE FAUT PAS QUE TU DESCENDES DE SCENE !
_ Compris, Mémé ! Promis, je fais bien attention aux courants d’air ! Et toi, n’oublie pas de me préparer mon plat préféré !
_ Du Xana en brochette ? T’en fais pas, vieux. On va te sortir de là.
_ C’est ça ! A plus, Mémé.
Odd raccroche et fait un sourire désinvolte au public, mais son cerveau s’est mis à fonctionner à toute vitesse. Il ne faut pas qu’il descende de scène. Il faut gagner du temps, prolonger son numéro le plus possible. Il reprend sa guitare, en tire un superbe « couac », digne du meilleur canard de l’étang. Sa grimace effarée fait repartir les rires dans la salle.
_ Mesdames, messieurs, excusez-moi, mais ma guitare m’informe qu’elle vient de se mettre en grève.
Il se tourne vers la fautive et lui chuchote, suffisamment fort pour que toute la salle entende :
_ Pas maintenant, hein ! Tu ne vas pas me faire ce coup-là maintenant ! Comment ça, je ne suis pas assez bien pour toi ! Comment ça, tu es digne des plus grands, maintenant que tu as été sélectionnée pour le festival de la Jeunesse et des Loisirs ! Non mais attention, sinon, je te quitte pour un stradivarius ! Mais parfaitement madame !
La salle se tient les cotes de rire.

Aelita est restée derrière la cabine du régisseur quand une voix derrière elle se fait entendre.
_ On a perdu son cavalier, mademoiselle.
C’est Sissi. Aelita la reconnaît. Elle l’a rencontré la première fois qu’elle a été matérialisée, mais Sissi ne peu pas s’en souvenir. Il y a eu un retour dans le passé depuis.
_ Je... Heu... Je...
_ Arletty, c’est ça ? Prononce Sissi avec un sourire doucereux. Ma chère Arletty, j’ai bien peur que tu sois obligée de nous suivre.
_ Moi... Je... Je ne peux pas...
_ Oui, je sais. Je n’ai pas compris grand chose à ton histoire, je n’ai aucune idée d’où tu sors, mais j’ai bien compris que si tu n’es pas de retour chez toi très bientôt, Ulrich et Yumi vont avoir d’énormes ennuis. Et qu’ils aient d’énormes ennuis, ce n’est pas pour me déplaire.
_ Mais... balbutie Aelita, terrifiée.
_ Si tu crie, Nicolas te tord le bras, dis sèchement la jeune fille en désignant le gorille qui l’accompagne.
Celui-ci empoigne Aelita et l’entraîne de force vers la sortie du théâtre.
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Cinq Kankrelas en approche.
Ulrich fronce les sourcils et se dissimule derrière un rocher.
_ Yumi, j’ai de la visite.
Un silence, seul le grésillement de la radio répond :
_ Yumi ?
_ Je suis toujours là. Mais j’ai de la visite, moi aussi.
Avant qu’Ulrich ait eu le temps de répondre quoique ce soit, les Kankrelas se mettent à tirer sur le rocher derrière lequel il se dissimule, comme s’ils devinaient la présence du garçon derrière. Il bondit hors de sa cachette, parant les attaques avec son sabre et s’élance sur les assaillants.
_ Yumi, la tour ne peux pas être à la fois dans le désert et dans la forêt.
_ Je sais. Xana ne cherche pas à défendre la tour, il veut que nous soyons dévirtualisés avant que Aelita n’arrive. Ulrich, il ne faut pas qu’on perde un seul point de vie ! Chaque point de vie perdu représente du temps gagné pour Xana !
_ Compris, répond le garçon en détruisant son deuxième Kankrelas.
_ C’est quoi pour toi, le comité d’acceuil ?
_ Kankrelas. Et toi ?
_ Krabes. Répond Yumi.
Ulrich grimace en abatant le troisième adversaire. Les Krabes sont particulièrement difficiles à combattre seul. Les deux derniers Kankrelas qui ont réagi à la disparition de leurs congénères se sont mis à le mitrailler avec tant d’intensité qu’il a à peine le temps d’esquiver leurs tirs.
_ Yumi ? Tiens bon surtout.
_ Toi aussi, Ulrich.

Jérémie a rejoins la cabine de régisseur juste à temps pour voir Nicolas et Sissi entraîner Aelita hors du théâtre. Le temps qu’il les rattrape, ceux-ci sont montés dans un bus, qui démarre sans attendre.
_ Aelita ! Hurle le malheureux garçon, en courant après le bus. Aelita !
Le bus a disparu au loin déjà, mais Jérémie n’arrête pas de courir. Aelita est là-bas, seule sans défense. Aelita a été enlevée par Sissi.

Assise sur la banquette arrière du bus désert, Aelita est désemparée. Ses yeux piquent et de l’eau coule sur son visage, malgré elle. Elle pourrait appeler à l’aide, mais elle ne sait rien de ce monde, elle ne sait pas qui est son ami, qui est son ennemi. Et si on lui posait des questions pour savoir d’où elle vient, que répondrait-elle.
« Au secours, Jérémie ! »
Indifférente à son désespoir, Sissi lui parle.
_ Tu vois, Arletty, qu’on ne peut pas toujours compter sur ses amis. Il y a toujours un moment ou il faut se débrouiller toute seule. Des ennuis dont ils ne te protègerons pas. Je dirais même des ennuis qu’ils t’ont attiré. Si tu es dans cette situation, c’est à cause d’eux.
_ Pourquoi es-tu si méchante ? Qu’est-ce que je t’ai fait ?
Sissi lui lance un sourire mauvais.
_ C’est un don naturel, chez moi, d’être méchante.
Mais dans ses yeux, il y a autre chose que de la haine. Ce n’est pas comme la fureur destructrice de Xana. C’est autre chose. Quelque chose qui fait écho à ce que ressent Aelita. Le désespoir.
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Quand il a exploité tous les gags possibles au sujet de la grève de sa guitare, et trouvé une fin à son avantage. Odd passe le doigt sur les cordes. Le son qu’il en tire est net. Il pousse un soupir d’aise sonore, qui suffit à déclencher de nouveau rire.
_ Ah, la musique... Figurez-vous qu’au temps des hommes des cavernes, un homme des cavernes eu l’idée de frapper sur le crâne d’un autre homme des cavernes. Il en tira un son très agréable et décida de l’appeler « musique »
En coulisse, le régisseur ne rigole pas, lui.
_ Il aurait dû finir il y a une minute ! Mais qu’est-ce qu’il fabrique, ce marlouf !
_ Laisse-lui le temps de jouer sa chanson, dit son assistant. Le public est content. Il est drôle, ce gosse.

Ulrich fuit. C’est encore le moyen le plus efficace pour éviter de perdre des points de vie, fuir. L’avantage, sur Lyoko, c’est qu’on peut fuir éternellement, sans être essoufflé.
_ Yumi ? Des nouvelles de Jérémie ?
_ Ca va très mal, Ulrich ! Sissi vient d’enlever Aelita.
_ Quoi ? Comment tu dis ça ?
_ Comme je le prononce.
Silence.
_ Ulrich ? Je crois qu’elle sait.
_ Qui sait quoi ?
_ Sissi. Je crois qu’elle sait... A propos de nous deux. Elle a du nous voir quand...
_ Oui, tu as raison. Elle se venge.
Ulrich se retourne. Les Kankrelas semblent décidé à le poursuivre éternellement.
_ Pourquoi Aelita ? Dit soudain Yumi. Pourquoi se venge-t-elle sur Aelita ? Ce n’est pas juste.
_ Yumi, on n’a rien à se reprocher ! Dit Ulrich d’une voix ferme. On ne lui a rien fait, à Sissi. Jérémie va s’en occuper. Toi, prend garde à ne pas te faire avoir par les Krabes.
_ B... Bien. Répond Yumi.
Ulrich s’enfonce dans une faille, pour mettre le plus de distance entre lui et ses poursuivants.

Ignorant les signes désespérés que lui lance le régisseur depuis la coulisse, Odd s’est mis à jouer. Lentement. Le plus lentement possible. Il en rajoute dans les arrangements, chante du mieux qu’il peut. Il sait que le régisseur ne peut le chasser tant qu’il maintiendra l’attention du public. Et il ne faut pas qu’il descende de scène. Il ne faut pas qu’il descende de scène...

Le bus a déposé Sissi, Nicolas et Aelita devant les grilles du Collège. Les deux kidnappeurs poussent leur prisonnière devant eux. Ils l’entraînent dans le parc, jusqu’à la cabane du jardinier. Sissi crochète la serrure, et Nicolas jette Aelita à l’intérieur.
Celle-ci tombe sur un sol de béton dur, poussiéreux et froid. Elle tourne le regard vers Sissi, qui entre en fermant la porte derrière elle.
_ Si Yumi et Ulrich ont besoin que tu rentres chez toi à temps, il va falloir qu’ils te cherchent ici, Arletty.
Aelita plonge ses yeux d’émeraude dans les yeux noirs de la jeune fille qui lui fait face, tentant de comprendre le sens de ce qu’elle voit.
_ Ce n’est pas toi, murmure-t-elle.
_ Comment ?
_ Ce n’est pas toi ! Tu es comme ces gens que j’ai vu sur scène. Tu joue un personnage, mais ce n’est pas toi.
Sissi est un peu déstabilisée. Elle s’attendait à voir sa victime l’implorer, la supplier de laisser repartir, au lieu de quoi celle-ci lui parle d’une voix douce.
_ Pourquoi est-ce que tu joues ce personnage ?
_ Quel personnage ? Demande Sissi, énervée par une réaction qu’elle ne comprend pas.
_ Le personnage de la méchante ! Je sais ce que c’est que la haine. J’ai un ennemi qui me hait. Mais je ne lis pas de haine dans tes yeux. Seulement de la tristesse.
_ Ca alors, j’aurais du m’en douter. Qui pourrait sortir avec Einstein Junior à part Miss Freud ? Dit méchamment Sissi.
Mais Aelita continue.
_ J’ai souvent entendu parler de toi. Tu es la fille du proviseur. Un proviseur, ça doit beaucoup travailler. Il ne doit pas passer beaucoup de temps avec toi, ton père.
_ Bon, ça suffit, maintenant, tais-toi ! S’écrie Sissi, effrayée d’avoir été si justement percée à jour par une parfaite inconnue.
Aelita se tait, effrayée par la violence de la réaction qu’elle a provoquée.

Yumi accroupie au bord du sentier, ferme les yeux et se concentre. Près d’elle, un énorme rocher s’entoure d’un halo lumineux et se soulève du sol.
« Allez, du courage, ma vieille » s’encourage-t-elle en elle-même.
Au prix d’un grand effort, elle parvient à déplacer le rocher et à l’abattre sur le dernier crabe qui la poursuivait.
_ Ulrich, ça y est ! Je suis débarrassée de mes admirateurs !
Un grésillement, un silence.
_ Ulrich ?
_ Oui ! Je suis toujours là. Mais j’ai bien peur d’avoir été touché une ou deux fois. Je dois avoir perdu vingt points de vie !
_ Ce n’est pas grave, ça suffira ! J’espère que Jérémie va réussir à nous ramener Aelita très vite.
Depuis sa tanière d’Internet, Xana observe, écoute. La disparition de ses créatures ne le perturbe pas outre mesure. Ils ont beau s’agiter, il est trop tard. Le parasite Odd vit ses derniers instants. Il s’agite sur scène, tente désespérément d’ignorer les signes du régisseur. Bientôt, on l’obligera à descendre, de force. Et tout sera fini. Puis il suffira de détruire les autres, de la même manière. Un par un.

Essoufflé, Jérémie arrive devant le collège.
_ Aelita ! Appelle-t-il à mi-voix, tout en courant. Aelita !
Il a beau savoir qu’elle ne peut plus l’entendre, il ne peut s’empêcher de l’appeler, comme si prononcer son nom était le seul moyen de la retenir de son coté.
Il pénètre dans le parc du collège, éperdu, sans savoir ou chercher. C’est alors qu’il l’aperçoit entre les arbres, sur le chemin qui mène à la cabane du jardinier. Une chaussure. Une chaussure d’Aelita...
« C’est là qu’ils sont. Dans la cabane. Ils la retiennent là, et pendant ce temps, Odd...»
En un instant, Jérémie a oublié qu’il est seul contre deux, et plutôt de petite taille, et pas vraiment bon en sport. Il ne songe plus qu’à une chose, Aelita est là, retenue prisonnière par cette petite peste de Sissi. Un bâton traîne dans les fourrés, il s’en empare, courre vers la cabane et ouvre la porte à toute volée.
Aelita est là, Nicolas aussi, et Sissi.
_ Viens, Aelita. On s’en va.
Aelita veut se précipiter vers lui mais Nicolas la retient. Jérémie fait un pas vers eux, en brandissant son bâton, les yeux brillant de folie furieuse.
_ Tu la laisse partir immédiatement, Nicolas, sinon je... Je...
Il n’a aucune idée de ce qu’il a l’intention de faire, mais son attitude parle pour lui. Nicolas fait quelque centimètre de plus, mais il n’a jamais vu Jérémie dans cet état, et ça l’inquiète.
_ Heu... Sissi ?
_ Tu ne bouge pas, Nicolas, ordonne Sissi dont les yeux brillent de la même fureur que ceux de Jérémie. Je t’interdis de la lâcher.
_ Et moi, grince Jérémie, les poings serré sur son gourdin, je t’ordonne de le faire.
Il arrive parfois des moments dans la vie où même les gens les plus stupides se rendent compte qu’ils ont intérêt à se retirer des histoires qui ne les concernent pas. C’est le cas maintenant pour Nicolas. Laissant là sa prisonnière, il quitte précipitamment la cabane et s’enfuit sans demander son reste. Aelita veut s’enfuir aussi, mais Sissi se jette sur elle comme une furie, et, la retenant d’un bras, elle saisit de l’autre main le manche d’une bêche qu’elle brandit en direction de Jérémie.
_ Tu la veux ? Eh bien, viens ! Viens la chercher !
Aelita essaie de se débattre, mais elle lui tord le bras. La mâchoire serrée, Jérémie s’avance vers elle.
_ D’ordinaire, murmure-t-il d’une voix aigre qui n’est pas la sienne, on ne frappe pas sur une fille. Mais si tu ne relâches pas Aelita immédiatement, je vais faire une exception !
Sissi éclate d’un rire sardonique.
_ Vas-y ! Ne te gène pas !
Alors, sans plus polémiquer, Jérémie l’attaque. Il ne pense plus, ne ressent plus rien, même pas les coups de Sissi, il frappe, et frappe, et frappe avec son bâton. Sissi pare les coups comme elle peut, mais elle est gênée par sa prisonnière, et son manche de bêche finit par valdinguer à l’autre bout de la pièce, la laissant désarmée.
_ Va-t-en. Murmure Jérémie, face à elle.
Les yeux lançant des éclairs, Sissi s’enfuit hors de la cabane. Jérémie laisse tomber son bâton qui touche le sol avec un bruit mat. Il se sent assommé.
_ Jérémie, murmure Aelita avec une toute petite voix, mais qu’est-ce que tu as fais ?
_ Aelita, murmure Jérémie, aussi désemparée qu’elle, mais qu’est-ce que j’ai fais ?
Aelita grelotte, sans comprendre pourquoi. Ce n’est pas une réaction au froid, c’est autre chose.
_ Je... Je ne te reconnaissais plus ! Balbutie-t-elle, au bord des larmes. Tu avais l’air... Mauvais !
_ Je n’étais pas moi-même. Répond Jérémie, perdu. J’avais si peur pour toi, si peur...
Il tremble, lui aussi, de tout son corps. Il n’arrive pas à croire qu’il vient de mettre en fuite Nicolas, et de se battre en duel avec Sissi.
En le voyant soudain si fragile, Aelita cède à l’impulsion que lui dicte son corps tout neuf et se jette à son cou. Elle le serre dans ses bras très fort, espérant ainsi l’empêcher de trembler, et comme ça ne semble pas suffire, elle lui dit tous les mots qui lui passent par la tête.
_ Tu es venu me sauver... Tu m’as protégée... Tu es toujours là pour me protéger...
Jérémie reprend ses esprits et réalise qu’il est dans ses bras. Il se détache d’elle non sans une certaine brusquerie et rougit comme une tomate. Cette rougeur rassure Aelita. C’est une réaction familière, elle a déjà vu Jérémie rougir. Ça veut dire qu’il est redevenu normal.
_ Ca va ? Lui demande-t-il.
_ Ca va, répond-elle, sans savoir si c’est faux ou vrai.
_ Ton soulier, murmure-t-il en lui tendant la chaussure qu’il a ramassée sur le chemin. Tu l’as perdu sur le chemin.
_ Non, répond Aelita en souriant. Je l’ai laissé tomber exprès, pour que tu retrouve ma piste. Je me suis souvenue de l’histoire que tu m’as raconté au début de la soirée, Cendrillon.
Jérémie devient encore plus rouge, mais Aelita est encore trop bouleversée pour lui demander pourquoi.
_ Et maintenant, vite à l’usine, souffle-t-elle. Odd est sur scène depuis vingt minutes déjà. On va vouloir l’obliger à descendre.
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Odd a entrepris de recommencer sa chanson pour la troisième fois, dans une version verlan, quand le régisseur monte sur le plateau et vient lui souffler.
_ Petit, il faut laisser le passage aux autres maintenant.
Pour toute réponse, Odd se met à danser en rond autour de lui, l’enroulant dans le câble électrique de sa guitare comme un indien qui saucissonne Lucky Luke au poteau de torture. Il accompagne la fin de chaque vers du complet, de « Wouloulouloulou » suggestif, qui lui valent les honneurs de la foule. Le régisseur essaie de protester mais il ne peut plus bouger sans tomber. Des accessoiristes tentent de monter sur le plateau mais ils sont tenus à distance par Odd, qui, parfait dans son rôle de Peau-rouge guitariste, leur barre le passage par une dans de la pluie endiablée. Les malheureux accessoiristes n’osent s’en prendre à Odd sur scène, devant le public. Ils guettent dans les coulisses une instruction de leur supérieur mais personne ne sait quoi faire. Tant que le public hurle de joie, on ne peut aller contre l’avis du public.

En courant, Aelita et Jérémie arrivent à l’usine et descendent par le monte-charge vers le laboratoire secret.
_ Je descends directement aux scanners, dit Aelita tandis que Jérémie s’arrête à la salle des ordinateurs.
A l’étage en dessous, elle entend la voix de Jérémie dans le haut-parleur.
_ Yumi ? Ulrich ? Vous êtes toujours là ?
_ Évidemment ! Répond la voix d’Ulrich. Où veux-tu qu’on soit ?
_ Où en est Odd ? Demande la voix inquiète de Yumi.
Jérémie allume la télévision du laboratoire et zappe sur la chaîne qui suit l’événement en direct. Le spectacle qu’il découvre est hallucinant. Au centre de la piste, un homme est saucissonné dans des câbles électriques, et Odd, guitare au poing, danse autour de lui en chantant, seigneur, quelle est cette langue bizarre ? Autour de la piste, plusieurs accessoiristes tentent de gérer l’événement.
_ Pour l’instant, ils n’osent pas s’en prendre à lui. Dit Jérémie. Mais ils ne vont pas tarder à l’emmener de force. Ah ! Le scan a enfin repéré la tour. Je vous transfère tous les deux dans le territoire Montagne immédiatement, et j’envoie Aelita vous rejoindre. Aelita, tu es en place ?
_ Oui, répond Aelita, qui a pris place dans un scanner.
Tandis que les porte se referme sur elle, Aelita a le sentiment d’être un oiseau à qui on va couper les ailes. Non, décidément, elle déteste être virtualisée.
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La tour, au bout d’une passerelle de roche, est gardée par une armée de block.
_ On a pas le temps d’établir une stratégie. Décide Ulrich. On fonce, et on passe entre les tirs.
_ Reçu, dit Yumi.
Ils encadrent Aelita et se mettent à courir, tous les trois ensemble, sans s’arrêter, parant comme ils peuvent les tirs des blocks.

_ Bon, cette fois ça suffit ! Hurle le directeur en coulisse. Attrapez-moi ce zigoto et jetez-le-moi dehors !
Comprenant que le soutient du public ne le sauveras plus, Odd pose sa guitare et se mettent à courir sur la scène. Comme une mêlée de rugby, les accessoiristes tentent de se saisir de lui, mais il plonge entre leurs jambes, roule, esquive, s’échappe, tout en restant à distance des bords de scènes. Personne ne parvient à l’attraper.
_ Tiens bon, Odd. Tiens bon. Répète Jérémie devant le téléviseur. Sur Lyoko, Aelita, Yumi et Ulrich sont presque arrivé.
Et soudain Odd fait le saut de trop, le pas de trop. Un accessoiriste l’a empoigné par les épaules et le maintient fermement. Il se débat, mais en vain.
On l’entraîne. Il se laisse tomber à terre et résiste de tout son poids mort. Les spectateurs dans la salle ont cessé de rire et d’applaudir, ils regardent sans comprendre.
_ Jérémie, ça y est ! Aelita est dans la tour. Dit Ulrich.
Au-dessus de la coulisse, les projecteurs crépitent, chargés comme un fusil près à partir, près à exploser. Les accessoiristes se sont rassemblés pour soulever Odd de terre et l’emmener.
CODE ? Demande la tour à Aelita.
Odd n’est plus qu’à un mètre du projecteur- guillotine.
LYOKO, tape Aelita.
Et tendis que sur terre, Odd passe sous le projecteur meurtrier sans dommage, autour d’elle, les fragments d’Internet se mêlent, s’enfoncent, s’enfouisse dans les profondeurs de Lyoko, d’où monte une sphère de lumière blanche.
_ Retour vers le passé. Annonce Jérémie d’une voix tremblante. Et cette fois, on va reculer d’un peu plus qu’une journée, pour être sûr de rétablir une situation normale.
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Cinq heures. Les élèves sortent de cours. Sissi n’a pas cessé de guetter Ulrich tout l’après-midi. Elle l’observe qui s’éloigne vers la grille du parc, en compagnie de Yumi, Odd et Jérémie.
_ Comme il s’y croit ! Râle Nicolas en regardant Odd d’un œil noir. Parce qu’il est invité à faire le guignol devant une bande de momies poussiéreuse, il se prend pour une vedette !
_ Une bande de momie poussiéreuse, répète naïvement Hervé. Mais, Nicolas, tu as passé l’audition, toi aussi ! Avec ta batterie !
_ Bon, ça suffit tous les deux ! Les arrête Sissi d’une voix sèche. J’ai suffisamment entendu parlé d’Odd pour aujourd’hui. Allons plutôt en salle d’étude, au moins, là-bas, personne ne discutera de ça, et je pourrais faire mes exercices tranquille.
Les deux gorilles se taisent et la suivent, un peu étonnés par sa réaction brusque, mais ils ne posent pas de question. Depuis qu’ils la connaissent, ils ont fini par se rendre compte qu’il ne faut jamais poser de question à Sissi quand elle est de mauvais poil.
Celle-ci s’est d’ailleurs désintéressée d’eux, et chercher maintenant frénétiquement dans son sac.
_ Flûte, j’ai laissé mon livre d’anglais dans ma chambre !
_ Tu veux que j’aille te le chercher ! Propose galamment Hervé.
_ Non ! Je te connais, je le retrouverais certainement en plusieurs morceau. Attendez-moi là-bas, j’arrive.
Elle tourne les talons et prend la direction du dortoir. Hervé et Nicolas se regardent, haussent les épaules, et se dirigent vers la salle d’étude.
Cependant, dans le parc...
Les quatre amis marchent côte à côte, d’un pas tranquille, content d’avoir terminé leur journée et de pouvoir deviser de tout et de rien. Enfin, surtout de rien, et surtout pas de Lyoko.
_ Vous n’êtes pas obligés de céder votre place une seconde fois, dit Jérémie à Ulrich et Yumi. Après tout, Aelita et moi, nous avons déjà vu une bonne partie du spectacle.
_ Non, dit Yumi d’un ton grave. Nous tenons à ce que vous ayez une soirée complète, pas tronquée par les attaques de Xana et Sissi réunis.
_ Vous êtes sûrs ?
_ Oui. Tu peux aller le dire à Aelita.
_ Évidemment, dit Odd, il faut que vous retourniez au spectacle. La dernière fois, vous avez manqué l’essentiel, moi ! Je promets que cette fois, mon numéro ne dépassera pas les dix minutes réglementaires. Viens, on va dire à Aelita qu’elle pourra le voir.
Tandis que Odd et Jérémie s’éloignent, Ulrich se tourne vers Yumi.
_ Franchement, dit-il d’un ton aigre. Tu étais obligée de tout lui céder ? Cette soirée, on y avait droit autant que lui, non ?
_ Arrête avec ça ! Répond sèchement Yumi. On en a discuté déjà.
_ Tu en as discuté ! Si j’avais pu en placer une, tu aurais su que je n’étais pas d’accord !
_ Tu n’es qu’un sale égoïste !
_ Et toi, tu es une petite idiote ! Je ne peux plus te supporter !
_ Ah oui ? Répète-moi ça ?
_ Je ne peux plus te supporter ! Crie Ulrich d’une voix forte.
Yumi le regarde un temps, puis le gifle violemment sur la joue gauche, et s’en va.
Resté seul, Ulrich donne un coup de pied rageur dans une touffe d’herbe et fait demi-tour, en direction des dortoirs. Il croise Sissi, son livre d’anglais serré dans ses bras.
_ Ca ne vas pas, Ulrich ? Tu t’es disputé avec Yumi ?
_ Sissi, dit Ulrich d’un air rogue, quand j’aurais besoin de tes remarques, je te sonnerai, merci.
En regagnant la salle d’étude où l’attendent Hervé et Nicolas, Sissi sent un sourire venir sur ses lèvres.
« Il y a de l’eau dans le gaz entre Yumi et Ulrich. Parfait ! Voilà qui me laisse le champ libre. »
Ulrich n’a pas encore atteint le dortoir quand son téléphone portable se met à sonner.
Il décroche. Un déclic et la voix de Yumi.
_ Alors ?
_ Je crois qu’elle a marché. Elle ne nous embêtera pas. Du moins pas plus que d’habitude.
_ Tant mieux. Ça va, ta joue ?
Ulrich sourit, mais répond d’un air faussement plaintif.
_ Si ça va ? Tu rigoles, j’ai la moitié du visage déboîtée ! Avoue que tu y as pris un plaisir sadique.
Son rire. Gai, franc. Au fond, la bonne action qu’ils font en cédant leur place de concert à leurs amis la revigore d’avantage que d’y aller elle-même.
_ Il fallait bien que je fasse quelque chose ! Pour ce qui est des insultes, tu manquais sérieusement d’imagination !
Ulrich soupire.
_ Je sais. Mais c’est dur, d’improviser une dispute, comme ça, à froid. Je ne sais pas comment on a fait pour la convaincre.
A l’autre bout du fil, Yumi sourit. En dépit de l’attaque qu’ils viennent d’essuyer, elle se sent bien. Heureuse. C’est une bonne journée.
_ Oh, ne t’en fais pas pour ça, va. Tu as entendu Odd ? Peu importe le numéro. Pour convaincre le jury, c’est juste une question de mise en scène.