Point de vue: Ulrich...
« Ça devait bien arriver un jour ».
Cette phrase se répétait en boucle dans ma tête depuis un bon moment, sans que je n’arrive pour autant à l’accepter.
De même que celle-là : « Elle s’en va » .
Et oui, elle s’en va ! Et je ne peux rien y faire, malheureusement.
« Mais pourquoi ? Pourquoi maintenant, après tant d’épreuves, tant de problèmes, celui-là nous tombe dessus ? La vie est injuste ! »
Oui, la vie est injuste, mais elle m’a sourit, quand je l’ai rencontrée...
Et maintenant, maintenant qu’on aurait pu arriver à quelque chose tout les deux, à repartir de zéro comme on l’avait toujours souhaité, à tout oublier, enfin presque tout, il y a des choses, des mots qu’elle m’a dit et que je ne veux jamais oublier. Jamais.
Bref, maintenant que la vie recommence à nous sourire, elle s’en va.
Stupide déménagement, impossible pour elle d’y échapper. Et elle s’en va.
Elle, c’est tout pour moi, c’est ma vie, mon rayon de soleil, les battements de mon cœur, l’air que je respire, c’est celle qui me fait vivre, celle qui me fait rougir comme un gamin, celle qui me fait frissonner d’un seul regard, celle qui comprend que j’ai un problème quand les autres ne voient rien. C’est celle qui me console de ma vie, de tous mes problèmes. Et pour ça, elle n’a rien de spécial à faire, juste le fait qu’elle soit là. Elle a juste besoin d’être là, près de moi, c’est suffisant.
Mais elle s’en va, loin, loin de Paris, loin de Kadic, loin de ses amis, loin de moi ...
J’ai un poids sur le cœur, en plus du mur qui s’y dresse par habitude, imposant et qui fait que personne n’arrive à l’atteindre. Sauf elle.
Elle, elle a atteint mon cœur à un niveau que je ne soupçonnais même pas avant de la rencontrer. Au plus profond, à l’intérieur, là où je cache mes sentiments, et là, comme une flèche de Cupidon empoisonnée, elle a frappé dedans, en plein dans le mille, la zone de l’amour.
Je n’avais jamais cru au coup de foudre avant de croiser ses yeux noirs qui m’ont fait perdre la tête depuis. Un coup de foudre, c’est le mot, j’ai pris un coup en plein cœur. Et ça fait du bien au début, c’est agréable, c’est tout doux, c’est la première fois que ça arrive, c’est normal. Le seul truc, c’est qu’agréable, ça n’a pas duré longtemps pour nous deux.
FLASH BACK
On s’est rencontré au cours de pentchat-silat.
C’est un sport de combat peu connu, mais notre prof de sport avait choisit celui-là, allez savoir pourquoi. Il avait crée un club de pentchat’, en fin de journée, ouvert à tout le monde. Ça tombait bien par ce que ce jour-là, j’avais besoin de me défouler. J’en avais ras le bol de mon pot de colle attitré: miss Élisabeth Delmas, fi-fille à son papa, le principal de Kadic. Rien que ça. Pff, prétentieuse.
Je n’ai jamais aimé ce genre de filles: habillées toujours à la pointe de la mode, maquillées de trop, et intelligentes comme mes deux pieds réunis. Croyant avoir un charme irrésistible. Le pire, c’était son surnom: Sissi! Comme Sissi l’impératrice. Elle aurait pas pu trouver pire, et je plains sérieusement l’héroïne qui porte le même nom, ne parlons même pas de la princesse, qui, heureusement pour elle, est décédée bien avant de rencontrer notre Sissi.
D’après les filles, je suis plutôt mignon: brun, les cheveux en bataille et les yeux bruns. On ne peut plus banal. Et petit pour couronner le tout. C’est embêtant, mais ça a ses avantages, pour le pentchat’, par exemple. Pratique pour certaines prises compliquées. Grâce, ou peut être à cause de ça, je suis musclé. Pas mal même, comparé à mon voisin de chambre, quel maigrichon celui-là. Excusez-moi, svelte, pas maigrichon! Sinon, je suis assez renfermé, j’ai tendance à garder tout mes problèmes pour moi seul. Ça attire les filles ça, les mecs renfermés, ça crée du mystère. Mes habits verts aussi, ça aide, ça fait mystérieux, et puis j’aime bien cette couleur. C’est ça qu’elles aiment chez moi, mon côté mystérieux. Mes cheveux en bataille, ça ajoute du mystère et, selon elle, mes yeux sont magnifiques, pas basiques comme je le pensais, ils sont marron, certes, mais d’un très beau marron chocolat, et ont comme des reflets dorés, elle aime bien. Si ça lui plait, tant mieux, c’est bien la seule à qui je veux plaire. Je donnerai tout pour elle...
Arrivant au gymnase, il n’y avait que notre bon vieux Jim, surveillant et prof d’E.P.S. du collège Je n’avais pas spécialement envie de faire un tête à tête avec lui, mais il m’avait vu entrer, c’était donc trop tard pour se défiler. Je me suis assis, et j’ai attendu patiemment que cette torture se termine. Les discours de Jim, il n’y a pas pire comme punition...
Il était entrain de parler de restaurant chinois, et je ne me rappelle même plus comment on en est arrivé là, quand elle est arrivée. Grande, mince, sa tenue laissant apercevoir son ventre blanc, contrastant avec ses beaux cheveux noirs d’encre coupés au carré. Un beau visage, tout en finesse, de grands yeux noirs aussi, pétillant de malice et ... Bridés !
Le prof faisait moins le fiers, d’un coup. Il a bredouillé des excuses auxquelles elle a répondu de sa belle voix:
« Oh, mais y’a pas de mal, monsieur. Moi, j’suis japonaise»
Japonaise. Cela expliquait ses yeux, sa peau pâle et son charme asiatique.
Mais qu’est ce qu’elle était belle, bon sang!
Elle s’est installée près de moi et j’ai pu l’observer de plus près. Whaou! Belle c’était le moins qu’on puisse dire! Mais qu’est ce qu’une fille pareille venait faire dans un cours de sport. C’est vrai qu’elle avait l’air musclée, mais de là à venir ici...
Quand elle a remarqué que je la regardais, elle m’a reluqué aussi et a soutenu mon regard pendant un long moment.
C’était la première fois qu’une fille me regardait de cette manière.
Je ne sais plus vraiment mais je crois que c’est à ce moment que j’ai compris qu’elle n’était pas comme les autres. Ses yeux noirs m’hypnotisaient complètement, encadrés par deux rangées de longs cils bien recourbés.
Elle a coupé la communication brutalement et j’ai battu des cils dans le vide. Je m’étais perdu dans les étoiles que j’avais découvert et qui brillaient dans ses iris d’ébène. J’émergeais de ma torpeur et remarquais qu’elle se mordait les lèvres, plantant ses incisives dans la chair de sa lèvre inférieure. Ce geste me fit frissonner de la tête aux pieds. Elle semblait absorbée par la conversation du prof mais ce n’était qu’une subtile illusion, je le comprit quand elle me jeta un regard en biais durant une fraction de seconde.
Elle détourna les yeux quand elle vit que je l’observais encore et recommença à écouter ce bon vieux Jim qui venait de lancer une de ces bonnes phrases ridicules dont il avait le secret. Elle éclata de rire et je m’efforçais de faire pareil, avec à la fin, un sourire grand comme ça.
Sourire qui ne dura pas longtemps.
Elle était belle, ok, elle avait un rire magnifique, c’est vrai, et j’étais totalement sous son charme, d’accord, ça, j’admets. Mais le pire, c’était qu’en plus de ça, elle était super douée en sport. Je vous jure, même une pro n’aurai pas fait mieux qu’elle.
Je l’ai tout de suite compris quand nous avons dû nous affronter en combat. Elle para mes premières attaques avec une facilité qui me déconcerta et effectua même un salto arrière. Une pro, je vous dis.
J’étais pourtant doué en sport, surtout en pentchat, mais elle me battit comme un débutant, et, m’envoyant au sol, elle me maintint dans cette position en appuyant sur mes épaules. Son visage si près du mien. Je perdis immédiatement le contrôle de tout et sentis mes joues devenir plus chaudes.
Je mis un temps à comprendre. Je rougissais. Moi! Je rougissais face à une fille! Sans plus aucun contrôle sur moi je me laissais rougir et l’observais. Et là je me rendis compte d’un truc: elle n’exerçait plus aucune pression sur mes épaules et... Elle rougissait aussi!
Elle reprit cependant ses esprits plus vite que moi. Et quand le prof déclara la fin du match, elle se releva et je partis rapidement, quittant ce gymnase qui m’avait fait rencontrer un ange.
S’il y a bien une chose qui m’énerve chez moi, c’est mon mauvais caractère. Un vrai caractère de cochon.
Je partais donc sans la saluer, ce qu’elle n’apprécia évidemment pas. C’est pourquoi je n’espérais pas trop qu’elle réponde à mon message. Ah oui, c’est vrai, je lui avais envoyé un mot, lui demandant de revenir au gymnase pour que je puisse avoir droit à une revanche.
À vrai dire, c’était surtout dans l’espoir de la revoir.
J’avais pensé à elle toute la journée, à son visage, à ses cheveux, à ses yeux, à son rire. Tout y passait. J’étais complètement obséder par cette fille. Amoureux ? Moi ? A l’époque, je m’en pensais incapable.
J’allais donc au gymnase à l’heure prévue, ne faisant pas trop de faux espoirs à l’idée qu’elle y soit.
Je poussais la porte dans le vide. Aucun bruit. J’avançais la tête mais ne la vit pas. Au moment j’allais repartir, la porte se referma et je la découvris cachée derrière, accoudée contre le mur.
« Alors, une défaite ça t’a pas suffit ? »
Je souris discrètement et la regardais droit dans les yeux. Elle souriait aussi. Et elle était encore plus belle que dans mon souvenir. Je m’efforçais de ne rien laisser paraître, ni le soulagement, ni la joie de la voir ici. J’avais ma réputation à tenir. Aucune fille ne me plaisait. J’étais célibataire et je comptais bien le rester! Je lui répondais donc normalement, comme si je parlais à quelqu’un comme les autres.
« Ben non, j’aime pas rester sur un échec ! »
Mon ton était parfait. Ça avait plutôt bien marché ! Elle s’était tournée vers moi, me souriant furtivement, puis s’était dirigée vers le centre du gymnase, exactement là où on s’était battu la veille.
« Ça tombe bien, moi j’adore les défis ! »
Je la suivais et lui répondais en même temps:
« Tu vas être servie ... »
Et on recommença à se battre. Coups de pieds, de poings, esquives à droite, puis à gauche. Et plus on se battait, plus je tombais amoureux d’elle. Ça me rendait fou de l’admettre, mais c’était irrévocablement vrai...
Au bout d’une demi-heure environs, on s’arrêta d’un commun accord pour faire une pause. C’était le moment de lancer la conversation sur elle ! Je voulais tout savoir !
« Tu pratiques depuis longtemps ? »
Autant commencer par quelque chose qui nous passionne tout les deux, non ?
« Assez, ouais... Pourquoi ? Tu trouves ça bizarre pour une fille ?»
Ok, d’accord, ce n’était peut-être pas la meilleure idée que j’ai eu ! Elle était vachement susceptible. Je la jouais donc franc jeu mais il était vrai que ça me dépassais un peu. Une fille… Au pentchat’… Qui me bats…
« Euh... du tout ! »
J’enchainais direct sur ma présentation.
« Au fait, j’me présente, moi c’est Ulrich, et toi c’est... euh... Yuri ? C’est ça ? »
Petite aide pour ceux qui débutent en drague, ne jamais écorcher le prénom d’une fille, surtout si elle est plus forte que vous. J’en fis tout de suite l’expérience. Elle me faucha le pied, et je m’écroulais durement sur le sol.
« C’est Yumi ! »
Aie ! Mais wouah ! Elle souriait, se moquant ouvertement de moi, mais même en sachant pertinemment ça, ma douleur s’effaça d’un coup. Je me redressai sur mes coudes et la dévorais du regard tout en lui offrant un sourire d’excuse, qui fit pourtant son petit effet. Elle redevint sérieuse d’un coup. Hum ? Dommage ... Changement de tactique !
« Autant pour moi ! Je le méritais amplement ! »
Toujours reconnaître ses fautes.
Elle eut un petit sourire en coin et me tendit la main pour m’aider à me relever. Charmante attention. Je l’attrapai et me levai. Sa paume était douce et chaude. Elle me fit frissonner. Je relevai les yeux et lui lançai un sourire étincelant, histoire de vérifier quelque chose. Elle cligna des yeux, comme éblouie. Mon sourire s’agrandissait. Apparemment oui, mon charme marchait sur elle ... Yeees !
« Merci, Yumi ... »
Il me sembla, l’espace d’un instant, qu’elle rougit. Je faillis rajouter qu’elle avait un très joli prénom, mais me ravisais. Ça aurait fait ringard et ça aurait été de trop je pense. Du coup, je ne le lui aie jamais dit.
FIN DU FLASH BACK
Son prénom hante mes nuits maintenant. Surtout depuis une semaine, date à laquelle elle nous a annoncé son départ. Elle part demain et je ne peux pas dormir. C’est impossible! Pas en sachant que dans quelques heures elle repart pour son pays d’origine, à des milliers de kilomètres de la France ... Le Japon ...
Et elle s’en va ... Mais elle ne s’en ira pas comme ça ! Pas tant que je m’appellerai Ulrich Stern !
Elle ne partira pas ! Ou sinon je partirai avec elle.
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Sitôt que cette idée nait dans mon esprit, elle ne me quitte plus. Et ... Si seulement ... Je tourne et retourne le problème dans ma tête. Puis-je la suivre ?
Une seule réponse à cette question ... C’est de la folie !
Je suis quand même en mesure de me rendre compte de ça ! Même désespéré à ce point, il faut que je reste rationnel inconsciemment! Je gémis et plonge la tête dans mon oreiller. Ce n’est pas possible !
Je relève les yeux et mon regard se pose sur le radio-réveil avec ses nombres fluorescents. 1H37. Je soupire et fixe à nouveau le plafond. D’autres questions se mettent en place.
Et puis, de toute façon ... Comment aller au Japon avec elle ? Je ne suis pas majeur ! Et mes parents, vu leurs caractères respectifs, ce n’est même pas la peine d’y penser ! Jamais ils ne m’accorderaient le droit de la suivre… Surtout elle…
Rah ! C’est à s’en arracher les cheveux ! Je ne peux pas partir avec elle. Ni l’empêcher de partir ! Il faut me rendre à l’évidence. Ce serait faire preuve d’égoïsme ! D’égoïsme pur et dur… Et puis, qu’est-ce que je pourrai dire pour ma défense ? Ou pour la convaincre vainement de rester ? Yumi n’est même plus ma petite amie ... Je ne suis plus rien pour elle ... Un simple copain ... Et puis c’est tout ! Je me rappelle encore du jour où elle m’a annoncé ça...
FLASH BACK
On était partit tout les deux vers un banc, isolés des autres une bonne fois pour toutes.
Je me demandais bien ce qui avait pu la tracasser pour qu’elle veuille m’en parler en privé. Il faut dire que Yumi avait le même caractère que moi. Très renfermé. Son éducation japonaise faisait qu’elle n’aimait pas se confier à quiconque. Même à moi. Il était donc rare qu’elle parle de n’importe quoi qui la concernait de près ou de loin. J’avais du remuer ciel et terre pour l’aider à se confier la dernière fois. Mais là ... Ça avait l’air d’être vachement important. Et assez sérieux par conséquent. Odd m’avait d’ailleurs parlé d’une demande en mariage. Idiot ! Mais bon, il ne pouvait pas prévoir ce qu’elle avait décidé ...
Je m’appuyais contre le banc, les mains dans les poches, attendant « impatiemment » qu’elle commence. Un ange passa, puis je me décidais à prendre la parole:
« Alors, j’t’écoute ? »
Elle ne me regardait pas ... Et ça n’était pas bon signe ... Et ce n’était que le début du cauchemar ...
« Euh ... ben voilà. Je trouve qu’on se prend pas mal la tête tous les deux ... »
Oulà !! Où est-ce qu’elle voulait en venir au juste ? Ça ne sentait déjà pas bon ...
« Bah euh ... »
Je ne trouvais rien d’autre à dire. Il était vrai qu’on « se prenait souvent la tête » comme elle le disait si bien, mais bon ... La phrase suivante me cloua sur place. Je me souviens parfaitement de son regard froid, distant, et de son ton glacial, pas plus chaleureux qu’un banc de glace au pôle nord ... L’iceberg du Titanic paraissait même plus chaleureux…
« On est ensemble, et puis on est plus ensemble, et puis t’es jaloux, et puis c’est mon tour, alors franchement, moi je préfère que ce soit clair et net. On est copains et puis c’est tout ! »
En réel état de choc pendant quelques secondes, je repris mes esprits lentement et revenais durement à la réalité... « Que ... Quoi ? Ça voulait dire quoi exactement, copains et puis c’est tout ? » fut la question que je me posais juste après. Ce fut aussi la question que je lui posais. J’étais tellement choqué que j’avais besoin d’une confirmation, tandis qu’une étrange sensation s’emparait de moi ... L’étrange sensation d’être en train de tout perdre sans rien pouvoir faire pour y remédier ...
« Ça veut dire quoi, copains et puis c’est tout ? »
Elle m’envoya des éclairs par le regard, comme exaspérée que je ne comprenne pas sa phrase pourtant basique pour elle. Mais j’étais choqué. Je ... J’avais l’impression de comprendre, je savais que je comprenais tout, même, mais je voulais encore y croire. Je voulais juste y croire encore un peu. Elle me répondit d’un ton mordant, presque blessant, qui termina de m’achever...
« C’est clair, non ?! »
Non ! C’était la seule chose que j’avais envie de lui crier. Non ! Non, ce n’est pas clair !! Pourquoi ? Mais enfin pourquoi tu ... La vérité s’empara soudain de moi, me gelant sur place. Yumi me larguais... Yumi… Yumi me quittait, définitivement… J’avais envie de m’énerver, de l’engueuler, de lui dire qu’elle ne pouvait pas, que je l’aimais, moi, que je ferais tout pour la garder, j’aurais tout fait, tout… Mais rien ne sortait de ma bouche, devenue sèche, en manque d’eau ... Elle me fixait, toujours aussi distante, devenue aussi impénétrable que du granit… Moi qui pensais si bien te connaitre…
Non ! Mais non, bon sang ! Elle ne pouvait pas ! Elle n’avait pas le droit de me faire ça ! … Et pourtant, elle l’avait fait… Elle ne m’aimait plus. C’était la seule solution, elle ne m’aimait plus ! Elle me larguait pour un autre, William, à tous les coups ... Et à partir de maintenant, on n’était plus ensemble ... Et vu son ton et son regard, comme insensibles et indifférents à mon mal-être, ainsi que l’espèce de fossé imaginaire mais pourtant si réel qui grandissait entre nous, c’était définitif ! Plus que définitif... On était ... Yumi et moi, on était ... Plus ... Ensemble ... C’était fini ...
J’en avais presque pleuré de désespoir à l’époque. Parce que je l’aimais cette fille, et que je l’aime encore trop… Ça allait faire un an dans un peu plus d’un mois que nous avions rompus ...
FIN DU FLASH BACK
Mais ça ne fera jamais un an ! Du moins, elle ne sera pas avec moi pour « fêter » nos un an de séparation.
Ça n’aurait pas été un bon anniversaire, c’est sûr, et on n’aurait sûrement pas fait de fête pour « ça », ni fait péter le champagne à flots, mais… Au moins elle aurait été là.
Avec moi.
Avec eux. Avec nous.
Mais non.
Elle s’en va ...
1h52 ... Le temps ne passe pas vite. Surtout quand je sais qu’elle part dans quelques heures, et qu’on s’est dit au revoir hier soir. Elle a lourdement insisté pour ne pas qu’on vienne le matin même, très tôt en passant, mais je suis sûr que même Odd aurait fait un effort… C’est des choses naturelles, je pense qu’on n’a pas forcément envie de faire la grasse matinée quand une maie s’en va pour toujours… Mais elle n’avait pas voulu qu’on vienne. On lui avait donc dit au revoir hier, à la fin des cours. Vu les circonstances, Jim nous avait même laissé sortir quelque peu de l’enceinte du collège. Personne ne riait, aucun d’entre nous, même pas Odd, personne, et strictement n’était d’humeur à rire pour détendre l’atmosphère. Sissi lui avait dit au revoir, sans une once de joie mal placée… On marchait, tranquillement, et je priais pour que ces secondes se transforment en heures… Yumi ne voulait pas qu’on pleure, elle disait que ce serai trop dur pour elle, trop douloureux et qu’elle ne voulait pas garder un souvenir de nous avec des larmes aux yeux ... Mais ça l’était quand même ... C’était trop douloureux ... On ne pouvait pas être joyeux en ces circonstances ... C’était carrément impossible !
FLASH BACK
« Mais souriez à la fin ! Faut être optimiste, bon sang !! Aller ! Les gars… Aelita ?... Je n’ai pas le cancer, vous tous ! Rien qu’à voir votre tête on croirait que je vais mourir… Je m’en vais juste, pour une durée illimitée, ça pourrait être pire, non? »
Non ! Non, merde ! Non il n’y avait pas pire !
J’avais cru qu’elle m’avait tué le jour du « Copain et puis c’est tout » tellement ça m’avait fait mal, mais là, c’était pire ! Mille milliard de fois pire ! L’autre fois, au moins, elle avait été là, près de moi, même si ce n’était qu’en tant qu’amie ... Elle était restée, et une complicité amicale s’était développée entre nous deux…
Là, c’est fini ! Elle partait, et c’était pire que tout!
... Bon, le cancer, ça aurait été horrible, on était tous d’accord là dessus, mais… Si elle avait eu le cancer, on l’aurait affronté tous ensemble, unis, comme toujours, contre tout et pour tout, et elle s’en serait sortie ... J’en suis sûr… Mais là... Ce n’était pas pareil, et dans un certain sens, c’était pire encore...
Voyant qu’aucun d’entre nous ne réagissait, elle avait soupiré, et avait baissé les yeux au sol. Ses épaules avaient tressauté, comme si elle pleurait. Aussitôt, un sentiment de culpabilité s’était emparé de moi. Je me traitais mentalement d’abruti, ce que j’étais à quelques notes près... Bon sang ! Elle était là, c’était peut-être la dernière fois que je la voyais, et.. Je n’étais même pas fichu de lui faire plaisir ! ... Je pouvais faire ça ... On pouvait et on devait tous faire un effort ... Il le fallait ... Pour elle ...
J’avais échangé un regard avec Odd. Puis avec les Einstein. Ils étaient d’accord avec moi. J’avais capté le regard d’Aelita en particulier, elle m’ordonnait d’aller vers Yumi et de la réconforter. Je voulais le faire, mais j’étais bloqué, je ... J’avais peur. J’hésitais un quart de seconde de trop. Yumi releva la tête brusquement, et essuya ses yeux d’un revers de la main. Elle eut un semblant de sourire en nous regardant.
« Bon, on va pas se quitter comme ça quand même ? »
Odd se força à sourire et se reprit en main. Il était vraiment doué pour ça. Bien plus que moi… Mais peut-être que la douleur n’était pas, surement, la même pour lui que pour moi… Il s’approcha d’elle et nous fit un signe de la tête, nous incitant à faire pareil.
« Elle a raison, ma petite japonaise! Aller... Câlin collectif !! »
Je ne perdais pas une seconde, je voulais serrer Yumi contre moi, pour l’empêcher de partir, pour la regarder de près, et la toucher encore une fois ... Je m’approchais donc vivement d’eux, et enlaçais la taille de Yumi, tandis qu’elle passait un bras sur mes épaules. Les autres se joignirent à nous. Depuis le temps qu’on n’avait pas fait ça ... Un bon petit câlin ... D’un coup je me sentis heureux. Presque heureux…
J’oubliais tout. On était ensemble, c’était ce qui importait ...
Puis le parfum de Yumi chatouilla délicatement mes narines et ma joie retomba aussi vite qu’elle était venue. Combien de temps tiendrais-je sans elle ?
Un an ?
Un mois ?
Une semaine ?
Même pas un jour en vérité !
J’avais besoin d’elle tout le temps. Elle était ma bouffée d’oxygène quotidienne. Sans elle je n’étais rien...
Je tournais un peu la tête et me cachais dans ses cheveux, respirant leur odeur particulière. La tête dans son cou, je serrais les dents au maximum pour ne pas pleurer.
J’entendais sa respiration et sentais ses épaules se soulever en rythme. Inspiration, ça montait, expiration ça descendait. Inspiration, monte, expiration, descend... Inspiration, expiration ...
J’avais même l’impression d’entendre son cœur battre. Quelle belle mélodie... La plus jolie de toutes ... J’aurais pu rester des heures à l’écouter sans m’en lasser…
Quelque chose tiqua dans ma tête quand la joue de Yumi se colla contre mon front, quelque chose que j’avais toujours su, mais que je n’avais jamais su interpréter correctement.
Je l’aimais.
Plus que tout, je l’aimais.
J’aimais Yumi, tout simplement.
Je la serrai plus fort, la broyant presque contre moi. Elle répondit à mon étreinte, lâcha Aelita, et se pelotonna contre moi. Elle tremblait beaucoup, beaucoup trop, comme si elle se retenait vainement de pleurer. Je la regardais tendrement. Elle était tellement belle, là, au bord des larmes, dans mes bras. Je me mordais les lèvres et retournais me cacher dans ses cheveux. Là au moins personne ne verrait ma tristesse et le supplice que j’endurais à cause de cette séparation ...
« Je ne tiendrais pas sans toi Yu’ »
FIN DU FLASH BACK
Je me retourne encore dans mon lit, faisant grincer atrocement le matelas. Odd remue dans son lit, s’agite, en proie à un cauchemar je pense… Si ce jour là avait pu en être un… Je soupire, fixe le mur. Il faut absolument que je dorme ! Ça ne sert strictement à rien de remuer le couteau dans la plaie. Mais j’ai mal.
J’ai mal de savoir qu’elle part ...
Qu’elle part pour toujours et que je ne peux rien y faire ...
Et voilà que je recommence à me torturer! Je n’y arriverai jamais!
Je gémis et étouffe un sanglot en me mordant le poing presque jusqu’au sang. Ça fait mal, mais pour être honnête, je n’en ai strictement rien à faire. Une douleur physique contre une autre douleur, différente, mais qui fait tout aussi mal...
J’arrive à patienter encore une demi-heure comme ça, avec la marque de mes dents de plus en plus imprimée sur mon poing, mais passé ce laps de temps, impossible de continuer à souffrir comme ça sans rien faire. Une subite pensée me sort de cet état déchirant. Tant pis, je risque le tout pour le tout.
Je jette un coup d’œil au réveil. Hum ? 2H39... J’ai encore le temps ? ... Oui ! J’ai encore le temps ! On a toujours le temps ! Il n’est jamais trop tard !
Je me lève d’un bon, enfile mon pantalon dans le noir, et attrape ma veste que je coince en vitesse sous mon bras.
Et euh ... Mon portable ? Où il est passé ? ... Ah ! Là ! Sur la table de nuit !
Je le prends aussi et le glisse souplement dans la poche avant de mon jean. Ouvrant le tiroir sous mon lit, je cherche un objet qui me tient particulièrement à cœur pour l’amener avec moi aussi...
Je souris quand je tombe finalement dessus et le regarde un moment, pleins de souvenirs me revenant en tête.
« Tu vas me manquer, vieux, mais bon, je tiens toujours mes promesses ... »
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Il fait vraiment froid ce soir, comme un mauvais présage...
On est pourtant en plein été, mais il fait aussi froid qu’une nuit de Novembre. Je marche dans les petites rues, les enchaînant les unes après les autres précautionneusement, ayant un peu peur de me perdre même si je connais ce chemin par cœur. Le chemin de la maison des Ishiyama ...
J’escalade le petit mur facilement, j’ai pris l’habitude de le faire. Encore une fois, des souvenirs me reviennent en tête. Combien de fois on est passé chercher Yumi au beau milieu de la nuit pour l’amener à l’usine avec nous? Je ne les aie plus comptées depuis longtemps...
Je suis là, sous sa fenêtre; j’attends. J’attends quoi ? Aucune idée en vérité. Ça va faire cinq minutes que je suis là, planté comme un piquet. J’ai un petit problème, un truc que je n’avais pas vraiment prévu est entrain de me tomber dessus: je ne sais plus trop quoi faire maintenant. Jusque là, j’ai suivit mon instinct, mais maintenant, mon instinct m’a un peu comme qui dirait larguer.
J’ai donc le choix simplissime entre: monter, ou rester là et l’appeler, ou rester là et ne rien faire et continuer à attendre la Saint Glinglin!
Ben en fait, ça ne me laisse pas trop le choix, je ne peux pas monter, ni attendre le déluge, donc je vais lui envoyer un message pour la réveiller en douceur. Je m’assoie par terre et joue avec une petite pierre, assez asymétrique et très foncée. Bon! Comment formuler un message correct pour qu’elle accepte de descendre? Je balance ma pierre contre la gouttière, ce qui produit un petit gling qui retentit dans le silence assourdissant de la nuit. Je soupire; prends mon portable et fait apparaître la page blanche. Bon, déjà, on va mettre le bon destinataire. Y... Yumi, voilà, c’est bon. Les minutes passent. Nouveau soupir. Je re-balance une autre pierre, plus grosse, contre la gouttière, ce qui produit un bruit plus net. Ce n’est pas vrai, ça ne m’avance à rien. À rien ! Je me prends la tête entre les mains et pose mes coudes sur mes genoux pour soutenir le tout. C’est la cata !
« Ulrich ? »
Cette voix ! Oh mon Dieu cette voix ! Je… Je relève la tête vivement et aperçois Yumi penchée à la fenêtre de sa chambre. Les cheveux attachés en chignon haut, ce qui met son visage en valeur, sa pâleur ressortant sous la clarté de la lune. Habillée d’un vulgaire pyjama... Je ne l’ai jamais vu aussi belle.
Elle renifle soudainement et s’essuie les yeux d’un geste brusque quand je monte les yeux vers elle, comme prise en flagrant délit. Je remarque seulement à ce moment là qu’elle a les yeux rouges et bouffis. Elle pleure. Non ... Non, il ne faut pas !
« Yu’... Yumi, je t’en pris, pleure pas, je... »
Elle tourne la tête sur le côté, regarde les arbres de son jardin pendant un petit moment, avec un soupçon de nostalgie il me semble, puis me fixe moi, halète, pince les lèvres, et enfin baisse la tête en signe de résolution, se retenant de pleurer. Avant même que je n’ai pu dire un mot, elle relève la tête avec un air supérieur, et me toise plus durement, mais je sais bien que ce n’est qu’une façade, une simple illusion ...
« Pourquoi t’es là ? »
Je ne relève pas le ton mordant qu’elle utilise. Ce n’est qu’une mascarade pour cacher son chagrin... Je la connais tellement bien.
« Fallait que je te parle... Absolument… »
Ce qui est tout à fait vrai... Il fallait que je lui parle. C’est un besoin, une nécessité. Je dois lui parler une dernière fois avant qu’elle ne s’en aille, loin. Encore une fois, cette perspective me serre le ventre, me nouant l’estomac d’une manière désagréable, presque nauséeuse. Yumi me regarde, surprise par le ton doux que j’ai employé, puis les larmes montent. Elle secoue la tête négativement.
« Non ... Tu ... Imagine si on se fait prendre ? Mon père ... »
Je serre les poings. Son père ... La seule cause de son déménagement, c’est son père ...
Puis je me calme. S’il n’y avait pas eu le mien, de père, avec ses idées et ses principes, Yumi serait toujours là. Pas obligée de partir.
C’est de ma faute aussi, après tout. Pourquoi je suis né Stern ? Pourquoi ... Et… Et pourquoi je suis tombé amoureux de Yumi ? De Yumi, Ishiyama ?
Stupide rivalité. Stupide promotion et stupide rivalité. Ennemis, rivaux. Les seuls mots de mon père. C’est ce que je suis sensé être face à Yumi. Son rival. Mais moi je l’aime. Mais pas mes parents. Ils ne l’aiment pas, ils ne s’aiment pas.
Cette histoire est tout bonnement ridicule, et maintenant, à cause de ça, elle s’en va. Si loin.
Yumi, à sa fenêtre, m’observe toujours. On se croirait dans un « Roméo et Juliette » des temps modernes. C’est exactement pareil. Moi en Roméo, en bas, appelant Yumi, la très belle Juliette de l’histoire, penchée sur son balcon... En l’occurrence, sa fenêtre, mais bon, on ne va pas chipoter pour si peu.
Cette pensée me fait sourire légèrement, moi. Les sourcils de Yumi se froncent, eux.
« Il y a quelque chose de drôle ? Je te signale que notre situation n’a rien de comique. Il vaudrait mieux que tu t’en aille d’ailleurs, ça vaudrait mieux pour nous deux ! ... »
Mon sourire se fane. Mon cœur se brise. Je soupire.
Cette idée est ridicule. Dans « Roméo et Juliette », les deux amants ... Ben ... Ils s’aiment quoi! Ce qui n’est pas totalement notre cas à Yumi et moi. Du moins, pas le sien ...
Je lui adresse un regard suppliant, et c’est elle qui soupire. Ok, je n’ai pas d’autre solution...
Je passe le bras sous ma veste et en ressort mon précieux objet. Yumi écarquille les yeux au maximum et sa bouche s’ouvre même sur un petit « Oh! » surprit. Je souris franchement cette fois, fier de mon petit effet.
« Je veux juste te le donner. C’est tout. Je ne t’ennuierais plus avec ça après. Je t’avais promis de t’en parler et, pour une fois, j’aimerai respecter mes promesses, tu comprends ?... Juste une fois... »
Elle hésite. Je sais que c’est risqué, mais je plaquerai tout pour elle. Absolument tout ! Mais elle ne s’en rend pas compte, elle ne s’en est jamais rendu compte...
Je veux juste le lui donner, après tout, après je m’en irai. Son hésitation me blesse beaucoup, même si, moi aussi de mon côté, je sais rester impassible. C’est comme si elle n’avait plus confiance en moi. Elle bouge. Elle se décide enfin...
Mon cœur se serre douloureusement. C’est si dur. La dernière image que j’aurais donc de toi sera une fenêtre se refermant ... Pourquoi Yumi ? Pourquoi ?
Je baisse la tête… Il n’y a plus rien à espérer maintenant. D’ailleurs, qu’est-ce que j’avais espérer en venant ici, hein ? Quelle m’accueille les bras ouverts ? Qu’on est tout les deux un fin heureuse ? Pathétique ! Tout bonnement pa-thé-tique !
Je shoot dans un caillou, par désespoir de cause.
Je regarde une nouvelle fois la fenêtre, close, pour de bon cette fois.
Rien.
Toujours rien.
Encore rien.
Une nouvelle fois rien.
Le mur. Je pars dans sa direction. Il faut que je quitte cet endroit au plus vite. Plus rien ne me retient ici.
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Je regarde une nouvelle fois la fenêtre, close, pour de bon cette fois.
Rien.
Toujours rien.
Encore rien.
Une nouvelle fois rien.
Le mur. Je pars dans sa direction. Il faut que je quitte cet endroit au plus vite. Plus rien ne me retient ici.
…..
La douleur.
Rien d’autre hormis la douleur.
Terrible. Énorme. Dévastatrice.
Et pourtant ...
Du bonheur. Le souvenir du bonheur. Doux. Ensorceleur. Avec un arrière goût empoisonné, mais dont le poison a une saveur si agréable en bouche.
Du vrai bonheur. Celui de l’amour. De l’amour partagé. J’ai goûté à l’amour de Yumi Ishiyama et rien d’autre n’a son équivalent en terme de bonheur.
* Soupir*
Et maintenant, maintenant … Elle n’est plus là... Pour de bon cette fois... La fenêtre s’est réellement refermée... Et il y a de quoi souffrir...
Mais c’est vrai que c’était tellement agréable. On se sentait invincible... Et une chose est sure ... On se reverra ! … Qu’importe le prix à payer, on se reverra ! Je la retrouverais ! On se l’est promis... D’une façon magique...
FLASH BACK
Le mur. Je pars dans sa direction. Il faut que je quitte cet endroit au plus vite. Plus rien ne me retient ici.
Un bruit; un semblant de froissement.
Je m’arrête, en alerte; tends l’oreille.
Hum ? … Non, ce n’est rien finalement... Rien ! Je soupire, me maudit intérieurement ; retiens des larmes indésirables qui veulent à tout prix se pointer et sortir...
Puis je sursaute. Un craquement bref. Et une voix...
« Ulrich ?! Eh !! Attends-moi bon sang ! »
Que... Quoi ?! Yumi ? Yu … Yumi ?!? Mais …
Je me retourne vivement. Halète subitement. Ma bouche s’assèche et s’engourdit sous le coup du choc et de la surprise si bien que je n’arrive plus à émettre le moindre son... Si ce n’est un gargouillement incompréhensible... Parce... Parce qu’en fait... je … YUMI !!
C’est elle ! Elle est là ! Entrain d’essayer de descendre par sa fenêtre, s’aidant de la gouttière qui a déjà servi mainte et mainte fois pour ça... Elle est là... Elle vient. Vers moi. La fenêtre ne s’est pas refermée, au contraire, elle s’ouvre encore plus me permettant quelques instants supplémentaires de bonheur avec elle... Je n’arrive pas à y croire. Elle ne s’en va pas, pas comme ça... Pas sans me dire au revoir comme je l’ai cru cinq minutes auparavant.
Je souris béatement. Elle… Elle là bon sang! Elle. Est. Là.
Elle vient vers moi...
Et étouffe entre temps un maudit juron entre ses dents. Elle a le pied coincé dans la gouttière, à même pas un mètre du sol. Et comme bien sûr, ça la met de mauvais poil, j’ai soudainement un petit frisson d’appréhension quand elle jette son regard de braise sur moi.
« Dis, tu vas rester planté là longtemps ?! Rends-toi utile ! Aide-moi plutôt à descendre de là… »
Et puis, au cas où ça n’aurait pas suffit à me faire bouger, elle ajoute en articulant chaque syllabe : « Sinon je te jure que je remonte... »
Je garde mon sourire idiot au visage, tellement large qu’il doit aller d’une oreille à l’autre.
Elle pourrait m’insulter en japonais que ça ne changerai en rien mon comportement. Même si je n’ai pas peur qu’elle mette ses menaces à exécution - Après tout, avec le pied dans cet état, elle n’ira pas plus vers le haut que vers le bas - je m’approche quand même assez rapidement d’elle pour ne pas la contrarier.
J’analyse rapidement la situation: Yumi n’a qu’une jambe au sol, et la deuxième, bloquée d’une manière assez spéciale, fait qu’elle aurait besoin de remonter un peu, ou d’être soulevée, pour se débloquer. Je prends une grande inspiration qui la fait frissonner; elle ne m’a pas senti arriver. Je lui souris. Aux grands mots, les grands remèdes. Je passe une main sur sa taille et l’autre sous ses genoux. Elle se raidit et lance un petit cri de surprise.
Je ris légèrement et la regarde en articulant un « Bah quoi ? » à peine audible. Elle se décrispe perceptiblement et me sourit, avant d’aller décoincer sa jambe de là où elle se trouve. Bah voilà ! Ce n’était pas sorcier ! Merci qui ? Elle se tourne justement vers moi et me souffle un « Merci » sur le bout des lèvres. Je me mets à rougir et à me sentir con ...
Elle est si près maintenant, si belle, si près, et dans mes bras en plus, que je commence à me sentir flotter...
Jamais on n’a été si près l’un de l’autre...
Serais-ce un signe, un coup de pouce du destin?
Je ne suis pas venu pour ça mais... Serait-ce maintenant le moment? …
Yumi me fixe, semblant ressentir le même trouble que moi …
Je tente de sourire. Elle aussi ...
C’est comme magique ...
Je m’approche légèrement ...
Chaque chose en son temps, je veux aller doucement... Je veux voir si elle le veut aussi ...
Yumi, dont les mains étaient posées autour de mon cou, resserre sa prise et avance la tête encore plus … Les yeux dans les yeux ... Je penche ma tête délicatement sur le côté... Yumi s’avance, nos nez se frôlent...
Et elle baisse la tête rapidement et s’enfonce dans mon cou.
Je m’arrête, comprends que j’ai gaffé.
Les épaules de Yumi tressautent et je l’entends sangloter contre mon épaule... Non... Je me racle la gorge et tente vainement de m’excuser mais elle m’interrompt, comprenant mes intentions...
« Non, je … Ce n’est pas ce que tu crois c’est juste que... Je... Ce n’est pas le bon moment... À un autre moment, un autre jour, sûrement, je t’aurais dit oui, mais là... Je ne peux pas Ulrich … Je ne peux pas … Je … »
Je la pose par terre, tente de capter son regard indéchiffrable et embué de larmes…Je pose un doigt sur ses lèvres pour la faire taire… Manquerait plus qu’elle se croie coupable, elle, maintenant !
« Chut ! Je sais. Je sais, va. Ne t’en fais pas … Je sais... »
Elle secoue la tête négativement, et plante son regard dans le mien… J’ai le cœur qui part en miettes…
« Ce n’est pas parce que je ne … »
Je coupe ses protestations en l’étouffant contre moi, la broyant presque.
J’attends cinq bonnes minutes, afin qu’elle se calme, et pour profiter encore un peu de sa chaleur.
Comment je vais faire sans elle ?
Je soupire et la prends par les épaules pour mieux regarder son visage. Belle. Comme toujours. Mais encore plus belle au clair de lune.
Yumi...
Elle m’adresse un sourire timide et ferme les yeux, collant son front au mien...
Je suis de nouveau pris pas l’envie de l’embrasser, mais je ne peux pas céder. Il ne faut surtout pas céder.
Alors je me recule et vais chercher mon petit cadeau, pour le lui donner.
C’est, après tout, la raison de ma présence ici, non ? ...
Encore une fois, Yumi paraît surprise devant ce cadeau. J’en rirais presque de sa tête. Je lui souris et le lui tends. Sa respiration se coupe. Elle hésite. J’insiste un peu et elle le prend finalement. Le regarde avec des étoiles plein les yeux. Yeux qui s’embuent de larmes.
Elle baisse la tête et serre fort mon journal contre elle. Je lui prends le menton et le relève doucement pour la regarder. Les larmes sont abondantes... Ouille!
« Hey... Ce n’est pas la peine de te mettre dans ces états-là... C’est juste mon journal, hum ? Bon ! »
Elle me lance un petit sourire et se frotte les yeux pour essuyer l’eau qui en coule... Je ne résiste pas et l’aide, profitant de ça pour lui caresser ses joues... Qui se colorent quand elle se rend compte de mon petit manège...
« Mais il a son importance pour moi... Merci Ulrich ... Merci … »
Je souris et lui articule un petit « De rien ».
Puis entant l’heure des adieux arriver, je l’attire contre moi et la serre, fort, toujours plus fort. Je ne veux pas. Je ne veux pas qu’elle parte.
C’est trop dur !
Elle n’a pas le droit !
Pas le droit !
Encore une fois, j’ai envie de crier ! Encore une fois j’ai envie de m’énerver, de lui hurler dessus. Mais encore une fois je me tais, je n’ai aucunement le droit de lui imposer cette douleur supplémentaire.
J’ai choisi. Elle partira oui, mais on se reverra.
Je prends son visage en coupe, hésite.
Yumi halète, je sens ses yeux qui me dises que non, mais je ne peux pas, je ne veux pas m’arrêter. Je …
Pourtant je ne le fait pas, malgré le fait que je rêve de l’embrasser, je ne le fais pas...
Je me contente d’embrasser tendrement son front et de lui murmurer quelques mots qui veulent tout dire...
Ces quelques mots, simples, durs à dire à voix haute, sont pourtant la raison simple de ma présence ici ce soir. Je n’aurai pas eu de journal, j’aurai trouvé un autre prétexte pour venir. Pour lui dire. Juste lui dire que...
Je l’aime...
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Mais au moment où j’ouvre la bouche pour lui dire ces quelques mots si symboliques, je m’arrête.
Réfléchit.
Ce n’est pas la bonne chose à faire.
Je laisse échapper un soupir. Encore une fois, le rationnel prend le dessus sur la folie.
Je me contente donc d’un baiser sur son front. Doux. Très doux.
Elle frissonne, ce qui me donne envie de la serrer jusqu’à l’étouffer contre moi, laissant passer les minutes, oubliant les problèmes qui chamboulent ma vie depuis quelques semaines. Et dire que je pensais que tout serait plus calme, sans XANA! Et bien non ! Je m’étais trompé. J’ai à peine eu le temps d’envisager le fait que Yumi et moi on se remette ensemble que bang! D’un coup, tout c’est effondré ! Tout mon petit monde, sur son nuage de bonheur du à la promesse de ma japonaise, tout s’est écrouler !
Quand mon père a vu Yumi, qu’il a vu ses parents, quand il a compris qu’elle et moi on était amis, quand il a lu sur mon visage la manière dont je la regardais, quand il a saisi que c’était peut-être même plus que de l’amitié entre nous, il a explosé. Jamais je n’aurai cru que mon père puisse être aussi cruel.
Je n’ai jamais pu reparler au père de Yumi, mon père l’ayant tellement ridiculiser que Mr Ishiyama avait fini par me mettre dans le même sac que lui, m’empêchant de voir sa fille...
J’étais un Stern.
Je n’étais plus le petit Ulrich qu’ils avaient même invité un jour à venir manger chez eux... Je n’étais qu’un sale Stern, égoïste de nature, évidemment !
Je secoue la tête de droite à gauche, pour chasser cette horrible image de ma mémoire et reviens à la réalité.
Bon … J’imagine qu’il est l’heure de lui dire au revoir …
C’est donc ce que je lui dis. Au revoir. Rien d’autre.
Au revoir et pas adieux. Non, pas d’adieux. On se reverra. C’est juste des au revoir, pour un laps de temps indéterminé... C’est tout... Pas d’adieux, pas d’adieux et c’est tout …
Les larmes montent, mais je les retiens. Ma fierté est en jeu, même si je n’en ai rien à faire de la perdre. Je … J’ai seulement le sentiment d’être entrain de me bercer d’illusions stupides et insensées! Ça fait rudement mal!
Ça ne peut plus durer, plus je reste, plus je souffre.
À quoi bon éterniser les adieux? Ils arrivent quand même un jour où l’autre …
Le moment est venu. Je dois être fort, il le faut.
Caressant une dernière fois le visage de Yumi, je me recule et commence à m’éloigner, lentement, pas après pas, en marche arrière pour l’instant. J’observe Yumi qui tremble et serre mon journal contre elle. Yumi...
Ma belle Yumi dont les larmes débordent déjà abondamment. Elle a laissé sa fierté de côté, elle.
Moi aussi je pleure, seulement, je pleure plus intérieurement qu’extérieurement. Mes larmes sont invisibles, mais elles coulent en masse à l’intérieur de moi, comme un torrent de chagrin. Je sais qu’en le montrant, mon chagrin fera d’autant plus pleurer Yumi, et je suis prêt à tout pour lui éviter de souffrir davantage, donc, je lui ordonne de rester là où il est, caché, le laissant couler à flots …
J’escalade le muret aisément et silencieusement. Me retourne une dernière fois pour regarder une dernière fois Yumi. Elle est encore debout et lève le bras; tends sa main vers moi durant un quart de seconde, presque suppliante, comme pour me retenir et m’empêcher de partir, puis le rabaisse et détourne les yeux en un éclair.
Je retiens une dernière fois mes larmes. Plus que quelques secondes et je pourrai me libérer et pleurer en paix.
Je passe ma deuxième jambe de l’autre côté.
Jetant un dernier regard sur le jardin, je vois que les jambes de Yumi ont lâché. Elle est à genoux sur le sol dur de son jardin, et elle pleure. Recroquevillée sur elle même, elle pleure. Comme un enfant. Comme un adulte. Comme une personne au bord du gouffre.
Cette vision me remplit de tristesse, de douleur. Elle m’engourdit le corps et, lentement, je me laisse retomber au sol.
Sitôt que mes pieds le frôlent, je me mets à courir. Loin.
Hors de question de rester avec cette image presque terrifiante en tête. Alors je cours. Loin.
Sauf que mes chevilles ne me soutiennent plus. J’ai à peine fait dix mètres qu’elles me lâchent et que je m’écroule sur le trottoir.
Et, en plein milieu de cette nuit de juillet, je me mets à pleurer. À pleurer comme un malade. Seul. Comme un malade seul au monde dans son chagrin …