Histoire : Un peu trop loin dans le passé

Écrite par Tchoucky le 25 juin 2004 (10837 mots)

Un gigantesque soleil numérique darde de ses rayons le désert virtuel de Lyoko, créant pour le décor une atmosphère orangée. Une tour brûle de rouge, au 36° Nord-Est, provoquant dans le sol de Lyoko de telles pulsations que la surface en frémit.
Dissimulés derrière des reliefs, Aelita, Yumi, Ulrich et Odd observent.
_ Trois Krabes et un méga-tank.
_ La routine, quoi ! Marmonne Ulrich.
_ Mmmm, murmure Yumi, c’est tout de même sérieux, comme défense. Il nous faut une stratégie.
_ Oh, arrête, Yumi ! Grogne Odd. Ces bestioles, c’est devenu si facile à vaincre que ce n’est plus amusant !
Détournant les yeux un instant des monstres qui gardent la tour, Yumi observe ses compagnons d’armes. Ulrich joue mollement avec son sabre et Odd se fait les griffes sur un rocher.
_ Je vous sens blasés, aujourd’hui, les gars. Tout va bien ?
_ Oh oui ! Grommèle Ulrich. On va désactiver cette tour, puis on revivra exactement la même journée qu’avant l’attaque, sans la moindre modification possible. A part ça tout va bien !
_ Dites, fait la voix de Jérémie dans le haut-parleur, ce n’est pas que je ne suis pas intéressé par vos états d’âme, mais je vous rappelle que le temps presse !
_ C’est bon, c’est bon, râle Odd, on y va, Einstein, t’énerve pas !
Ulrich s’est redressé.
_ Bon. Le méga-tank, d’abord. Une fois qu’il sera hors-jeu, chacun son Krabe et Aelita, tu fonces. Yumi, tu vas attaquer le méga-tank par la droite, et tu essaie de l’entraîner à ta poursuite. Odd et moi, on veillera à ce qu’il ne te rattrape pas.
« J’adore quand il prend ce ton autoritaire », songe Yumi en s’éloignant, un petit sourire sur les lèvres, « il fait immédiatement plus mûr. »
Devant la tour, les monstres ne semblent pas avoir pris conscience de la présence de nos amis, car ils n’ont pas bougé. Surgissant d’un relief sur la droite. Yumi lance vers le méga-tank son éventail de combat. Évidemment, il rebondit sur la carapace métallique du monstre sphérique.
Si futile que paraisse cette attaque _on ne peut détruire un méga-tank que s’il s’ouvre pour tirer_, le monstre n’a pas l’air de l’apprécier du tout. Se mettant en mouvement, il se dirige vers la jeune fille, qui ramasse son éventail et s’enfuit. Le monstre roule sur ses traces. Sitôt qu’ils sont hors de portée des Krabes, la fugitive se retourne, fait face à son poursuivant. La boule de métal s’ouvre alors en deux, découvrant son cœur, et s’échauffe, près à tirer.
_ Et toi, la bouboule !
Odd vient de surgir d’on ne sait où, le bras tendu en avant, près à tirer.
_ Flèche laser !
Mauvais angle. La fléchette ricoche sur la carapace, manquant le cœur de vingt bons centimètres.
_ Hmmm... Petite forme aujourd’hui, Odd. Commente Yumi, qui a roulé sur le coté pour éviter le mur de feu lancé par la créature. Ulrich, qu’est-ce que tu fais ?!
Sans attendre que le mur meurtrier se soit désagrégé, Ulrich bondit sur la bête, et plonge son sabre dans son cœur, non sans s’être quelque peu brûlé au passage.
_ Impact !
Il saute à terre, tandis que la bête explose dans un déluge de flamme.
_ Ulrich, annonce Jérémie en off, ton petit numéro t’a coûté rien moins que soixante-dix point de vie, alors évite de t’exposer comme ça face aux Krabes !
Yumi a rejoint Ulrich qui se relève.
_ Qu’est-ce qui t’a pris ? A quelques secondes près, tu pouvais l’avoir sans que ça te coûte rien !
_ Oui, mais il aurait pu te lancer une seconde salve !
_ Ulrich, que tu es bête !
_ Peut-être, mais c’est pour ça que tu m’aimes ! Répond le garçon avec un sourire charmeur à désarmer le plus hargneux des méga-tank.
Par bonheur, Odd ne semble pas avoir entendu, il est trop occupé à esquiver les tirs lancés par les Krabes.
_ Heu, les copains, un peu d’aide ne serait pas de refus !
_ On arrive ! Fonce, Aelita !
Sans plus prendre garde à la bataille, Aelita fonce vers la tour. Trop affairé avec leurs adversaires, les Krabes ne la voient pas se faufiler derrière eux. Elle arrive devant la tour et traverse le mur, comme on traverse un mur d’eau.
_ C’est bon, les amis, lance la voix de Jérémie, Aelita est dans la tour, vous pouvez vous replier !
Ulrich et Yumi commencent à battre en retraite quand Odd pousse un cri.
_ Regardez ! Regardez le troisième Krabe ! Qu’est-ce qu’il fait ?
Le Krabe de Yumi, le seul à être encore en service, s’est soudain désintéressé du combat. Il s’est tourné vers la tour et cogne avec acharnement sur son mur.
_ C’est incroyable, dit Yumi, on dirait qu’il essaie de la suivre à l’intérieur.
_ C ’est complètement débile ! S’exclame Odd. Il sait bien qu’il peut pas !
_ En tout cas, pas question de lui laisser la moindre chance, dit Ulrich.
Sabre au clair, il charge en direction du monstre.
_ Reviens Ulrich, dit Jérémie dans le haut-parleur, ce n’est pas la peine ! Les murs de la tour sont solides !
_ On n’est jamais trop prudent, réplique l’audacieux.
Il bondit, rebondit sur la tour et enfonce son sabre dans le cœur du monstre.
Exactement au même instant, le laser de défense tiré par le monstre l’atteint en pleine poitrine, le dévirtualisant.
Encore exactement au même instant, la tour et Lyoko s’illuminent d’une aveuglante lumière blanche.
_ Retour vers le passé. Annonce la voix neutre de Jérémie.
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Le blanc du retour dans le passé n’avait jamais été aussi cotonneux et aussi éblouissant. Quand Ulrich ouvrit les yeux, il vit anormalement trouble. Son corps était bizarrement courbaturé. Il sentait même une légère nausée, ce qui était inhabituel.
Il frotta ses yeux et les rouvrit, pour constater qu’il se trouvait dans le parc du collège. Seul. Le soleil se couchait au loin derrière les arbres.
Ca ne ressemblait à aucun des événements des dernières vingt-quatre heures. Il sentit une légère angoisse naître dans son ventre. Les retours dans le passé ramenaient toujours à des instants vécus, et il était sûr de n’avoir jamais vécu cet instant là.
Un bruit derrière lui coupa court à ses réflexions. Il se retourna, et la pointe d’angoisse qu’il avait ressenti se changea en panique.
Le Krabe !
Le Krabe l’avait suivit jusqu’ici ! Le Krabe s’était matérialisé en même temps que lui !
Sans élucubrer plus longtemps pour comprendre ce qui se passait, le garçon fit volte face et s’enfuit à toutes jambes. Il courut à travers le parc sans s’arrêter, sans rien sentir que la terreur au ventre, sans rien penser que « C’est dingue ! Complètement dingue ! »
La cabane du jardinier se trouvait sur sa droite. Il fit un quart de tour, et s’y précipita. La porte était verrouillée, il dût l’enfoncer d’un coup d’épaule. A l’intérieur, il se barricada avec tout ce qu’il put trouver et se mit à fouiller frénétiquement parmi les outils.
« Il y avait une tronçonneuse ici. Pourquoi rien n’est à sa place ? »
Il finit par en trouver une, qui n’était pas celle qu’il connaissait mais qui semblait fonctionner. Il dégagea la porte et ressortit, marchant au devant de la bête.
Elle faisait trois têtes de plus que lui. Ici dans la réalité, il n’avait aucun pouvoir, et l’impact d’un rayon laser pouvait lui coûter plus cher qu’une dévirtualisation. Mais il ne pouvait pas laisser cette chose se promener dans le collège.
Avant de lui laisser le temps de réagir, il tronçonna les pattes avants du Krabe. Déséquilibré, le monstre s’effondra dans un bruit sec, tirant furieusement autour de lui, mais sans parvenir à viser quoique ce soit. Ulrich lui fendit le crâne en deux. Le monstre disparu dans une gerbe de feu.
Ulrich resta là un temps, sans pouvoir bouger, sa tronçonneuse à la main. Quand son cerveau se remit à fonctionner, ce fut pour constater qu’il frissonnait glacé par la sueur froide qui avait recouvert son dos un instant. Il lui fallut attendre une bonne vingtaine de seconde, que son cœur ait reprit un rythme normal, avant de se demander ce que toute cela signifiait. Il fallait qu’il avertisse Jérémie, immédiatement.
Il remit la tronçonneuse en place et marcha vers le collège. Quand il arriva dans la cour, la pointe d’angoisse qu’il avait sentit en se retrouvant seul dans le parc le reprit, plus aiguë. La cour était vide. A cette heure de la journée, il aurait été normal de ne trouver que quelques retardataire, mais jamais il n’avait vu la cour aussi vide.
Il la traversa, se dirigea vers les dortoirs, et monta les escaliers. Aucun son ne lui parvenait. Ni musique, ni rire, ni bavardage, rien de ce qu’on entendait habituellement dans les dortoirs, rien du tout, du tout.
Arrivé à son étage, il alla frapper à la porte de Jérémie et ouvrit sans attendre de réponse.
_ Jérémie, il se passe des choses...
Il n’acheva pas. La chambre était vide. Pas vides parce qu’il n’y avait personne. Vraiment vide. L’ordinateur de Jérémie, ses livres, le poster d’Einstein au-dessus du lit, tout avait disparu. Le matelas était nu, sans draps ni couverture.
Ulrich se précipita vers sa propre chambre, elle était dans le même état. Ses affaires n’étaient plus là, ni celles de Odd, ni même celles du chien Kiwi.
« Qu’est-ce que c’est que ça ! Qu’est-ce c’est que cette galère ? »
Il n’eut pas le loisir de s’interroger plus longtemps. Une main s’abattit sur son épaule, coupant court à ses réflexions.
_ Tu cherche quelque chose, petit ?
Il se retourna et vit un homme qu’il ne connaissait pas, aux cheveux grisonnants et à l’air sévère.
_ Je... Balbutia Ulrich. Je cherche Odd. Il dort dans cette chambre.
_ Très drôle, mon garçon ! Dis-moi, je ne te connais pas, toi ? Tu n’es pas élève ici ?
_ Pas élève ? Comment ça ? Je suis interne ici depuis la sixième !
_ L’internat n’ouvrira que l’an prochain, alors ne fait pas le finaud ! Quel est ton nom ?
Assommé par la nouvelle, Ulrich ne répondit pas. L’homme prit son silence pour un refus d’obtempérer.
_ Très bien, tu l’auras voulu ! Puisque tu as pénétré ici par effraction, tu devras t ’expliquer avec la police !
_ Non ! Non ! S’écria Ulrich en reprenant ses esprits. Je vais vous suivre... Mais laissez-moi juste récupérer mon sac, je l’ai laissé là-bas, au bout du couloir.
Et, sans compter ni une, ni deux, il se sauva en courrant.
_ Eh, cria le gardien, eh !
Par bonheur, contrairement à Ulrich, l’homme ne semblait pas être très sportif. Le garçon le sema facilement et s’enfuit hors du collège.
« Je ne sais pas où sont passés Odd et Jérémie, mais Yumi, elle, ne peut pas être ailleurs que chez elle. »
S’il n’avait pas été aussi pressé et préoccupé, il aurait sans doute remarqué, dans les rues qu’il traversait, d’autres changements subtils par rapport à celles qu’il avait traversé avant son retour dans le passé. Les affiches publicitaires n’étaient pas les mêmes. Certains arrêt d’autobus avait disparus. Mais Ulrich avait l’esprit trop obnubilé par son but pour voir tout cela. Il songeait à Yumi, et uniquement à elle. Il voulait la rejoindre.
La maison des Ishiyama était toujours là, fidèle à elle-même. Un peu rasséréné par cette vision familière, Ulrich s’arrêta de courir. Mais lorsqu’il s’approcha, le sourire qui naissait déjà sur ses lèvres se figea tout net.
Dans le jardin des Ishiyama, une toute petite fille poussait un gros camion en plastique rouge. En apercevant le garçon, elle leva la tête.
_ T’es qui toi ?
Elle parlait avec un fort accent japonais.
_ Moi ? Balbutia Ulrich pris de court. Je... Dis, tu t’appelle bien Yumi ?
_ Oui. Répondit l’enfant, apparemment ravie d’utiliser les termes de sa leçon de français. Je suis Yumi Ishiyama.
Précision inutile. Elle ressemblait tant à elle-même qu’il aurait pu la reconnaître entre mille petites filles japonaises.
_ Heu... Tu as quel âge, Yumi ?
_ J’ai six ans, répondit la fillette, non sans une certaine fierté.
Ulrich eut le sentiment qu’une main invisible versait des tonnes de sable sur sa poitrine, l’empêchant de respirer.
_ Oh, c’est... C’est bien. Tu es une grande fille alors ! Eh bien... Au revoir, Yumi.
Tournant le dos à la petite fille, il s’éloigna d’un pas lourd, luttant pour refuser l’implacable évidence. Il était bien dans la bonne ville, au bon endroit. Mais il y était huit ans trop tôt.
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_ Tu es prête, Aelita ? Demande Jérémie.
_ Vas-y, compose le numéro.
Jérémie pianote sur son clavier. Pendant quelques instant seul le « la » du téléphone raisonne dans le laboratoire, puis :
_ Allô ? Fait la voix du proviseur.
_ Allô, répond Aelita avec une voix de femme qui n’est pas la sienne, ici la mère d’Ulrich. Je vous informe que nous avons ramené notre fils chez nous, à cause d’une urgence familiale. Je ne peux pas vous donner de détail, mais vous comprenez que nous ne retirerions pas Ulrich du collège si nous n’avions pas de sérieuses raisons.
_ Bien sûr, Madame, répond respectueusement le proviseur, je comprends très bien. Combien de temps Ulrich va-t-il être absent ?
_ Impossible à déterminer pour le moment, mais je vous appellerais dés que j’en saurais plus.
_ C’est entendu, Madame. Il ne me reste qu’à vous souhaiter que votre situation familiale s’arrange promptement.
_ Je vous remercie, Monsieur, au revoir !
_ Au revoir.
Un déclic. Le proviseur a raccroché. Dans le laboratoire, Yumi, Odd et Jérémie respirent.
_ Quelle chance, soupire Jérémie, qu’on ait trouvé un échantillon de voix de la mère d’Ulrich !
_ Ca oui ! Renchérit Odd. Merci à Millie et Tamiya pour la brillante interview qu’elles ont faite des parents de notre joueur vedette lors de la rencontre de foot inter-lycée.
_ Tu t’es débrouillée comme un chef, Aelita, dit Yumi au visage toujours sur l’écran, grâce à toi, nous avons quelques jours de marge pour retrouver Ulrich et le ramener.
Odd, assis dans son coin, près de l’ascenseur, ne semble pas partager le soulagement général.
_ Et qu’est-ce qu’on fera si...
_ Odd ! L’interromps Yumi, sévèrement.
_ ...Si ça nous demande plus de temps ? Achève Odd d’un air contrit.
Il allait dire « Si Ulrich ne revient pas. » Ils le savent tous, parce qu’ils ont tous les quatre la même pensée. Mais ils ne veulent pas l’entendre dire à voix haute, ça non. Pas question.
_ On réfléchira aux problèmes au fur et à mesure qu’ils se posent, déclare Jérémie d’un ton sec, pour couper court à toute discussion sur ce sujet dangereux. Pour l’heure, notre question principale, c’est « Où est Ulrich ? »
Yumi fixe l’immense hologramme qui brille au milieu de la pièce. C’est un plan de Lyoko en 3D. Les quatre territoires virtuels y sont représentés.
_ Xana ne pourrait pas l’avoir retenu dans une prison virtuelle ? Demande-t-elle. Ça nous est déjà arrivé, et Aelita et toi, vous nous en avez sorti.
Jérémie secoue la tête d’un air dubitatif.
_ J’ai lancé un scan sur Lyoko pour repérer toute trace d’activité de ce genre. Il n’y en a pas. Quoiqu’il soit arrivé à Ulrich, en tout cas, ce n’est pas ça.
_ Mais bon sang, s’exclame Odd, il est bien quelque part, non ? Ou alors ça défie toutes les lois de la physique ! L’eau s’évapore, d’accord. Les Ulrichs, non.
Sur l’écran de l’ordinateur, le visage d’Aelita est devenu profondément grave.
_ J’ai une théorie, dit-elle, sur ce qui a pu arriver. Bien sûr, ce n’est qu’une théorie, mais plus j’y songe, plus elle me semble bonne.
Les trois autres se rapprochent de l’écran, intéressés.
_ Raconte, demande Jérémie.
Du regard, l’humanoïde interroge les trois visages penchés sur elle.
_ Vous dites qu’Ulrich a été dévirtualisé au moment même où le retour dans le passé était déclenché.
_ Exactement, dit Odd. Il a été dévirtualisé, on ne l’a plus revu depuis.
_ Aelita, demande Yumi, soudain inquiète, tu n’essaies pas de nous dire que tu penses qu’il est...
_ Non ! Non ! Se défend Aelita. Non, je pense qu’Ulrich est en bonne santé. Seulement, le retour dans le passé s’est déclenché au moment où sa masse molaire devenait instable. À cause de cette instabilité, il est possible qu’il n’ait pas été pris dans la courbe temporelle.
_ La quoi ? Répète Odd.
_ La courbe temporelle. Comme le temps est fait de spirale et que ces spirales sont faites de courbes malléables, il suffit de remonter jusqu’au début d’une de ces courbes pour modifier le cours des événements. Mais comme Ulrich était instable au moment de la remontée, la courbe temporelle n’a pas pu l’aspirer en elle et il a dû continuer la remontée seul. Voilà ce que je pense qu’il est arrivé.
Silence dans le laboratoire. Silence interloqué pour Yumi et Odd, qui se regardent d’un air largués. Silence de réflexion pour Jérémie. Il plisse le front, repasse revu tout les éléments qu’il connaît, puis marmonne :
_ Bien sûr, bien sûr. Ca doit être ça !
_ Heu, Einstein, risque Odd, tu pourrais traduire tout ça en bon français, pour les auditeurs qui ne parlent pas le Aelitien ?
_ Ce qu’Aelita veut dire, c’est que, probablement, quoique plus j’y pense, plus ça me paraît beaucoup plus que probable...
_ Au fait, Jérémie, s’énerve Yumi, au fait !
_ Bon. Aelita pense qu’Ulrich a simplement été attiré un peu trop loin dans le passé.
Nouveau silence. Silence dubitatif cette fois. Odd n’est pas sûr d’avoir compris, même après la traduction de Jérémie. Yumi, elle, secoue la tête.
_ Si Ulrich avait atterri quelque part dans notre passé, on s’en souviendrait, non ?
_ Pas forcément, répond Aelita. Il peut avoir atterri à une époque où vous n’étiez pas encore au collège, et où on ne se connaissait pas.
_ Eh oh, minute ! S’écrie soudain Odd, alarmé. Tu penses qu’Ulrich peut avoir remonté le temps jusqu’à l’époque des dinosaures ?
_ Non, affirme sans la moindre hésitation l’humanoïde aux cheveux roses. Ça, c’est impossible !
_ Et pourquoi ? Demande Yumi.
_ Parce qu’on ne peut pas atterrir à n’importe quelle époque. Il faut qu’il y ait, comment dire, une sorte de repère...
_ Un signal-relais, si vous préférez, croit bon de préciser Jérémie.
_ Je ne préfère pas du tout, répond Odd, repère ou signal-relais, pour moi, ça fait pas tilt. Aspirine ! Aspirine ! Mon royaume pour une aspirine !
_ Disons que c’est toujours au début d’un événement conséquent, un événement qui peut créer une nouvelle courbe. En ce qui nous concerne, ces événements conséquents sont les attaques de Xana.
_ Conclusion ? Demande Yumi qui a définitivement renoncé à suivre le raisonnement.
_ Conclusion, répond l’humanoïde, Ulrich ne peut avoir atterri qu’avant une attaque de Xana.
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Ulrich n’aurait jamais cru qu’il put y avoir autant de monde dans une usine. Y pénétrer sans être vu n’avait pas posé de problème, il avait profité de l’arrêt prolongé d’un camion de livraison à la barrière de contrôle pour se glisser à l’intérieur, et en était ressortit tout aussi discrètement une fois dans l’usine.
Non, le problème, ç’avait été de circuler, une fois sur place, entre les caisses et les véhicules sans se faire apercevoir de personne.
Tous ces gens et tout ce mouvement inhabituel, dans un endroit si familier, cela le perturbait, aussi ce fut avec soulagement qu’il atteignit enfin la trappe secrète de la chaufferie, et qu’il se glissa dans le conduit étroit qui menait au laboratoire.
Il ne savait pas ce qu’il comptait faire, mais il était sûr d’une chose. Si une opportunité de retourner chez lui devait se présenter, elle ne se présenterait que là. Aussi devait-il atteindre le laboratoire incognito et s’y cacher.
Le souffle court, de peur d’attirer l’attention du personnel par un halètement trop fort, il s’avança en rampant dans l’étroit couloir de béton. A l’extrémité du couloir, des éclats de voix lui parvinrent. On se disputait dans la salle des ordinateurs !
Il atteignit le bout du tunnel et risqua un œil hors de l’ouverture. Au-dessous de lui, le laboratoire paraissait très différent de celui dans lequel Jérémie avait l’habitude de travailler. Des tables et des chaises étaient installées contre le mur, sur lequel étaient punaisés des schémas, des feuilles de calcul et un tableau blanc, sur lequel étaient tracés des chiffres au feutre.
Devant la porte de l’ascenseur, deux hommes échangeaient des paroles vives. Les deux belligérants portaient des blouses blanches, et semblaient tous deux très échauffés.
Le premier était petit, chauve, à l’air revêche. Sa physionomie n’inspirait pas la sympathie, et son attitude n’arrangeait rien. Il secouait la tête et croisait les bras, comme un enfant capricieux. Son collègue avait une trentaine d’années, des cheveux très noirs et un peu ébouriffés. Sous l’effet de la colère, son teint était devenu rubicond. Il s’efforçait pourtant de parler de manière posée :
_ Je vous répète, Monsieur Blaise, que nous ne sommes pas près ! Il nous reste beaucoup trop de choses à mettre au point avant de tenter une expérience !
_ En théorie, vous m’avez dit que le programme était fonctionnel.
_ En théorie, oui. Mais le logiciel Xana est un logiciel complexe. On ne peut pas se contenter de théories !
Ulrich tressaillit en entendant le nom de son ennemi prononcé avec une telle désinvolture. Ces gens savaient-ils vraiment de quoi ils parlaient ? Il se hissa sur la plate-forme qui surplombait le laboratoire et y resta couché, invisible, pour écouter très attentivement la suite de la conversation.
_ Mon cher Joachim, susurra Monsieur Blaise avec un air mauvais, les Américains non plus ne peuvent se contenter de théories ! Ils arrivent demain et ils nous réclameront des résultats !
Le vieil homme souriait maintenant de manière perverse. A son regard, Ulrich devina qu’il aurait été ravi de pouvoir rejeter la faute sur son collègue, si les Américains en question n’étaient pas satisfaits.
_ Mais enfin, s’énervait Joachim, vous rendez-vous compte des résultats que vous attendez de nous ? Un retour dans le passé, même de quelques minutes, n’est pas une expérience qu’on fait à la légère !
Le jeune informaticien avait de plus en plus de mal à contrôler sa fureur. Il en perdait sa voix, ses mots. En désespoir de cause, il se retourna en direction du fond de la salle.
_ Enfin, dis quelque chose, Ingrid ! Soutiens-moi, un peu !
Monsieur Blaise, pour la première fois depuis qu’Ulrich avait commencé à observer la dispute, daigna se détourner de son adversaire pour regarder dans la même direction que lui.
_ C’est vrai, je ne vous ai pas encore entendu parler, mademoiselle Kiepelstein. Vous pensez comme votre collègue ?
L’interpellée, qui depuis le début était restée assise sur un siège, devant les écrans d’ordinateur, consentit à lever les yeux. C’était une jeune femme d’une vingtaine d’année, jeune, beaucoup plus jeune que ses deux collègues, dont le regard bleu et gris semblait emprunt de lassitude.
_ Monsieur Blaise, soupira-t-elle, Xana est opérationnel. Mais il a été conçu pour fonctionner avec quatre scanners, et le quatrième ne nous a pas encore été livré.
Ulrich eut le sentiment qu’elle avait renoncé à convaincre M. Blaise avant même d’avoir essayé. Elle se serait sans doute replongée dans ses écrans si Joachim, d’un signe discret ne l’avait pas encouragée à continuer.
_ Je suggère, ajouta-t-elle donc sans beaucoup de conviction, que nous nous contentions de montrer aux américains les résultats obtenus dans l’analyse des molécules et de leur évolution. Le retour dans le passé peut attendre.
_ Impossible, répondit le vieil homme sur un ton hystérique. Vous voulez faire passer Xana pour un simple logiciel d’analyse, et il est bien plus que ça ! Il y a des années de recherches dans ce programme, et nous sommes trop près du but ! Si les Américains décident de nous couper les vivres maintenant, c’est une catastrophe !
« Ce type me rappelle quelqu’un, songea Ulrich. Ah oui ! Jim dans ses mauvais jours ! »
_ J’ai bien peur, monsieur Blaise, murmura la jeune femme d’un air découragé, qu’un bogue dans le logiciel Xana soit une catastrophe pire encore.
_ Alors, mademoiselle Kiepelstein, débrouillez-vous pour qu’il ne bogue pas ! Nous ferons l’expérience dès demain. Je vous souhaite une bonne nuit.
Et, sans laisser au deux autres le temps de répliquer, monsieur Blaise entra dans l’ascenseur. Tandis que les portes se refermaient sur lui, Joachim se tourna vers sa collègue.
_ Ingrid, rappelle-moi, pourquoi on est obligé de se taper ce mec ?
_ Parce qu’il est notre supérieur hiérarchique ! Répliqua Ingrid Kiepelstein, qui s’était remise à pianoter sur son clavier. Et plutôt que de râler, vient m’aider à reprogrammer Xana. Si l’expérience doit-être faite, autant qu’il soit près !
_ Sans moi, répondit Joachim. Je devrais être parti depuis une demi-heure. Qu’il bogue, leur logiciel de malheur ! Passe la nuit à refaire tous les calculs si tu veux, mais très peu pour moi. Ras l’bol de ce boulot !
_ J’en attendais pas moins de toi, soupira Ingrid d’un ton aigre. Rentre bien, et profite bien de ta nuit, parce que moi je vais la passer ici.
_ Si tu y tiens, mais personne ne t’y force. A demain.
Il sortit à son tour. Toujours dissimulé sur sa plate-forme, Ulrich ne pouvait croire à ce qu’il venait d’entendre. « Ils vont le faire ! Ils vont faire boguer Xana, et c’est comme ça que tout va commencer ! Et moi, il faut que j’assiste à ça et je ne peux RIEN faire ! »
_ C’est ça, à demain. Murmura la jeune femme toute seule.
Elle poussa un soupir résigné, puis s’empara d’un micro.
_ Aelita ? Tu me reçois, Aelita ?
De sa cachette, Ulrich ne put apercevoir le visage qui apparaissait sur l’écran, mais il frémit en entendant la voix familière :
_ Bonjour, Ingrid. Comment ça va ?
_ Ca pourrait aller mieux. Mes collègues ont décidé de demander à Xana un petit saut dans le passé.
_ Déjà, s’étonna l’humanoïde, mais... Et le protocole d’expérimentation ?
_ Oublié. Les Américains arrivent demain, et monsieur Blaise craint pour ses gros sous. Aelita, je n’ai aucune idée des conséquences qu’un bogue dans Xana pourrait avoir, et quelles répercutions cela aurait sur Lyoko. S’il te plaît, demain, tiens-toi à l’écart des tours. Je ne pense pas que tu risque quoique ce soit dans Lyoko même, mais n’entre dans aucune tour jusqu’à ce que je te rappelle pour te dire que tout va bien.
_ Entendu. Répondit la voix de l’humanoïde aux cheveux roses.
Ingrid sourit, s’étira, et enleva sa barrette pour secouer ses longs cheveux noirs ondulés. Elle avait l’air d’une petite fille.
_ Quand toute cette histoire sera finie, si tu veux, on pourrait configurer un nouveau territoire sur Lyoko. Un territoire « Prairie » peut-être, avec des fleurs, et un éclairage de matinée.
_ Ce serait sûrement très bien.
Ulrich ignorait totalement à quoi pouvait lui servir d’entendre cette conversation, mais il l’écoutait avec passion.
_ Ingrid, demanda Aelita, pourquoi tu ne parles pas de moi à monsieur Blaise et à Joachim ? S’il vous faut prouver vos compétences aux américains, ma création et celle de Lyoko sont une très belle performance.
L’informaticienne partit d’un petit rire bref et ironique.
_ Aelita, répondit-elle en recoiffant ses cheveux, toi et Lyoko, vous êtes mon œuvre d’art. Et la particularité des œuvres d’art, c’est qu’elles sont toujours incomprises. Monsieur Blaise considèrerait que j’ai utilisé le matériel du labo pour créer un jeu vidéo ultra-perfectionné. De toute façon, je ne t’ai pas créée pour que tu serves de numéro aux américains.
_ Ah oui ? Pourquoi m’as-tu créée alors ?
Cette fois, Ingrid Kiepelstein rit franchement. C’était un rire gai, lumineux, qu’Ulrich reçut comme une eau fraîche et apaisante après l’angoisse lancinante de toute la soirée.
_Pourquoi l’homme envoie-t-il des fusées sur la lune ? Je t’ai créée parce que j’avais la possibilité de le faire, pour le plaisir. Je dois admettre que le résultat a dépassé mes plus folles espérances.
_ Très flattée, répondit l’humanoïde.
La jeune femme hocha la tête et soupira.
_ Il va falloir que je te laisse, Aelita. J’ai des centaines de calcul à refaire pour demain.
_ Tu veux que je t’aide ?
_ Non, tu n’as pas à faire mon travail, ce serait de la triche. Je te rappelle demain soir.
_ Alors, demain, Ingrid.
_ A demain.
Un déclic se fit entendre, et Ulrich devina que l’humanoïde s’était déconnectée.
Au-dessous de lui, Ingrid Kiepelstein poussa un nouveau soupir et se remit à pianoter frénétiquement sur son clavier.
« Je reste où je suis. Pensa Ulrich. Ça vaut mieux pour l’instant. »
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_ Aelita, tu me reçois ?
_ Jérémie ? Que fais-tu dans le laboratoire à cette heure ?
_ Je n’arrivais pas à dormir. Où tu en es ?
_ Je crois que je progresse. J’ai retrouvé la trace d’Ulrich sur un canal voisin qui a conservé son emprunte biologique. J’avais raison. Il a dérapé dans une autre spirale temporelle.
La voix de l’humanoïde est douce et rassurante, après la tension de la journée. Jérémie ferme les yeux, essaie un instant d’oublier son inquiétude, d’être juste là, avec elle, dans la lumière verte du labo, de s’accrocher à la présence apaisante de son ami, pour devenir plus fort, pour être capable d’affronter ce qui va suivre.
_ Aelita, comment va-t-on le ramener ?
Un sourire d’ange éclaire le doux visage blanc de l’humanoïde. Mais son ton reste grave.
_ Pour l’instant, il faut que j’arrive à déterminer à quelle époque il a atterri. Une fois que je saurais cela, je pourrais agir. Là, c’est encore un peu compliqué. En plus, j’ai l’impression qu’il a atterri dans une spirale d’origine, une de celles qui auraient cours si je n’avais pas déclenché un retour dans le passé. Ça rend la trace plus difficile à suivre, mais j’y arriverais. Tu as confiance en moi, n’est-ce pas ?
Jérémie lui sourit à son tour, malgré la gravité de la situation.
_ Bien sûr que j’ai confiance en toi, Aelita, lui dit-il tendrement, je sais que tu vas nous ramener Ulrich, et que quand tout se sera bien terminé, comme d’habitude, il va trouver le moyen de se plaindre parce que tout ça, c’était de la routine !
Aelita esquisse un petit rire.
_ Il faut que je m’y remette ! Tu reste un peu avec moi ?
_ Oui, je vais t’aider, je préfère. Au bahut, j’entends Odd qui n’arrête pas de tourner en rond dans la chambre d’à côté, ça me rend fou ! Oh, attends !
D’un geste vif, le garçon enlève ses écouteurs et tend l’oreille. Pas de doute, il a bien entendu. Des bruits sourds lui parviennent du plafond.
_ Aelita, il faut que je t’abandonne une minute, je crois qu’il y a quelqu’un dans la salle cathédrale !
_ Compris. Rappelle-moi dès que tu sais ce que c’est.
Elle disparaît de l’écran. Jérémie repose son casque et se dirige vers l’échelle qui mène à la chaufferie. Silencieusement il en gravit les échelons.
Les bruits parviennent plus nettement à son oreille. Ce sont des bruits de coups, de caisses qu’on déplace. Arrivé en haut, le garçon se glisse à travers la trappe et se dirige sur la pointe des pieds vers la salle cathédrale. Là...
_ Yumi ?
Yumi, échevelée, et dans un état de nerfs que Jérémie ne lui a jamais vu, est en train de pousser les vielles caisses qui traînent là, de frapper sur les murs pour en faire tomber les moindres traces de poussières !
_ Yumi ? Mais qu’est-ce que tu fais là ? T’es devenue dingue ou quoi ?
La jeune fille sursaute violemment en entendant la voix de Jérémie, mais dés qu’elle l’aperçoit, elle reprend son air dur.
_ Il nous a forcément laissé un indice ! Si j’étais piégée dans le passé, c’est ce que je ferais. Je vous laisserais un message, gravé dans un mur, pour que vous puissiez m’aider !
_ Yumi...
_ S’il a laissé quelque chose, c’est forcément dans l’usine. Et si on ne l’a pas trouvé encore, c’est forcément caché. Allez, aide-moi à chercher !
_ Yumi...
_ Quoi ? Quoi, Yumi ?
Jérémie s’efforce d’adopter un ton doux et apaisant, il n’a jamais vu son amie perdre son calme à ce point.
_ Yumi, tu ne trouveras rien.
_ Comment ça rien ? Bien sûr que si, il suffit de bien regarder partout !
Elle en a aux yeux des larmes de rages et d’impuissance. A la vue de ses larmes, Jérémie sent son cœur se serrer. « Quand ai-je vu Yumi pleurer pour la dernière fois ? Se demande-t-il. Yumi ne pleure jamais, jamais, jamais. »
Du même ton calme, avec lequel il a commencé à lui parler, il explique.
_ Aelita pense qu’Ulrich a été aspiré dans une courbe temporelle d’origine, c’est à dire qu’il a atterri avant et non après un retour dans le passé. A supposer qu’il ait laissé un indice, il y a eu un retour dans le passé ensuite, ce qui signifie que l’indice a été effacé, tu comprends ?
_ Non.
Mais elle s’est arrêtée de chercher et s’est laissé tomber sur le sol.
_ Ce fichu Krabe, murmure-t-elle d’une voix éteinte, c’est moi qui étais sensée m’en occuper. J’arrête pas d’y repenser. Si j’avais détruit ce satané Krabe...
_ Surtout ne commence dans ce jeu-là !
De doux et apaisant, le ton de Jérémie est devenu dur et sévère. Yumi en est si surprise qu’elle en oublie sa détresse un instant.
_ Si tu avais détruit le Krabe. Ou si Odd n’avait pas remarqué qu’il essayait de la suivre dans la tour. Si Aelita avait désactivé la tour un instant plutôt ou un instant plus tard. Si j’avais trouvé les mots pour convaincre Ulrich de se mettre à couvert. En cherchant, on trouve toujours des raisons de se sentir coupable. C’est même le moyen le plus efficace pour devenir complètement dingue. Mais on ne peut pas se le permettre. Surtout pas toi, Yumi !
Il s’agenouille devant elle et ses mains sur les épaules de la jeune fille.
_ D’habitude, murmure-t-il en reprenant son ton apaisant, quand ça va mal, c’est toi qui nous remonte le moral. Chaque fois que j’ai le sentiment que cette fois c’est fichu, qu’on va y passer, je me dis « Bah, Yumi va bien trouver une solution ! » Si tu n’étais pas là, je deviendrais fou, à chaque fois qu’on frôle une catastrophe. Il faut que tu tiennes le coup. J’en ai besoin, et Odd aussi.
La gorge nouée, la jeune fille hoche la tête. Jérémie lui sourit.
_ Allez, descendons au labo. Quand tu es arrivée, Aelita était justement en train de me dire qu’elle progressait dans ses recherches.
Encore un peu tremblants sous le coup du déferlement d’émotion qu’ils viennent de vivre, les deux amis se dirigent vers le monte-charge, et descendent dans le laboratoire. Là Jérémie reprend place devant l’ordinateur et remet ses écouteurs.
_ Aelita ? Tout va bien, c’était seulement Yumi qui...
_ Jérémie !
Le visage de l’humanoïde vient de réapparaître sur l’écran. Elle paraît très excitée.
_ Jérémie, ça y est ! Je l’ai retrouvé ! Je sais où il a atterri ! Ou plutôt je sais quand !
_ Formidable, Aelita ! Quand donc, alors ?
_ Je t’ai dis qu’il devait avoir atterri juste avant une attaque de Xana. Maintenant, il m’apparaît clairement qu’il s’agit de la toute première.
_ La toute première ? Répète Yumi.
Le visage de la jeune fille, qui semblait avoir repris des couleurs est redevenu blanc comme un linge.
_ Aelita, ôte-moi d’un doute, la toute première attaque de Xana, c’est bien celle qui a décimé tout le personnel de l’usine ?
_ Pas tout le personnel, non. Répond l’humanoïde. Ingrid a survécu.
Jérémie jette un regard inquiet à Yumi, qui respire avec effort pour garder son calme.
_ Ulrich ne sera peut-être pas dans l’usine au moment de l’attaque, hasarde-t-il.
_ Il SERA dans l’usine, Jérémie. Tu connais Ulrich !
Un lourd silence tombe dans le labo. Un silence de plomb que rien ne semble pouvoir interrompre.
_ Aelita, demande Jérémie faiblement, tu ne nous as jamais raconté. La première attaque de Xana, qu’est-ce que c’était ?
Sur l’écran, l’humanoïde reste un instant silencieuse. Son visage est devenu grave. Elle ne semble pas pressée de répondre à la question. Puis elle secoue la tête.
_ C’était un incendie. Xana a verrouillé toutes les portes de l’usine, pour que personne ne puisse sortir, puis il a mis le feu.
Sa voix est devenue tremblante, et son élocution difficile. Ce souvenir lui est douloureux.
_ Ingrid a survécu parce qu’elle s’était réfugiée ici. Pour ne pas s’endommager lui-même Xana était obligé de faire en sorte que le laboratoire ne brûle pas.
_ Elle était seule ? Demande Yumi.
Aelita ne répond pas. Yumi se penche sur l’écran et prend un ton doux mais ferme.
_ Aelita, est-ce qu’Ingrid était seule dans le labo ?
_ Je ne sais pas.
_ La vérité, Aelita !
_ C’est la vérité. Je n’ai vu qu’elle, pourtant... Il m’a semblé l’entendre parler à quelqu’un. Quelqu’un que je ne voyais pas.
Jérémie et Yumi se regardent sans mot dire. Que pourraient-il ajouter ?
_ Savez-vous le moyen de ramener Ulrich à notre époque ? Demande la jeune fille désireuse soudain de changer de sujet.
Aelita sourit.
_ Je vais lancer un relais d’appel vers Ulrich dès maintenant. Cela devrait être simple, mais il faut attendre la prochaine attaque de Xana. Si au moment ou je désactive la tour, Jérémie nous programme les même coordonnées de retour dans le passé que lorsqu’Ulrich a disparu, cela le ramènera automatiquement.
_ En résumé, conclut Yumi, pour sauver Ulrich, on a besoin que Xana attaque.
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Ulrich se réveilla au petit matin. Depuis la veille, il n’avait pas bougé du conduit où il était caché. La première partie de la nuit, il l’avait passé à observer Ingrid Kiepelstein qui tentait de reprogrammer Xana in extremis pour l’expérience du lendemain, puis il avait fini par s’endormir.
Quand il ouvrit les yeux, il était dans l’obscurité. Il voulut un instant croire que tout cela n’était qu’un affreux cauchemar mais le froid du béton contre son dos le ramena à la réalité. De nouveau, se hissa hors du conduit et risqua un œil dans le laboratoire. Il était plongé dans la pénombre, et vide. Ingrid était repartie.
« C’est le moment ou jamais. »
Prestement, il se laissa glisser le long de l’échelle, et couru jusqu’aux ordinateurs. Le casque d’Ingrid traînait encore sur le clavier, il s’en coiffa.
_ Aelita ? Aelita ? Tu me reçois ?
Aelita ne le connaissait pas encore, mais s’il lui racontait tout...
_ Aelita ? Réponds, s’il te plaît.
Mais Aelita ne pouvait pas l’entendre. La liaison avec Lyoko ne se faisait pas. Ingrid l’avait sans doute protégé par un code. Rageur, Ulrich se mit à pianoter au hasard sur le clavier, en vain. N’est pas Jérémie qui veut.
Il se laissa tomber sur le fauteuil d’Ingrid, découragé. « C ’est fichu. Je vais rester coincé ici à cette époque, huit ans trop tôt. Je suis seul et je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire pour s’en sortir. Ah, si seulement... »
La lumière se ralluma soudain dans le laboratoire, et un bruit l’informa que le monte-charge s’était mis en marche. Quelqu’un descendait !
Trop tard pour atteindre l’échelle, il plongea derrière les ordinateurs, se dissimulant derrière la colonne de fils qui s’enfonçait dans la salle d’en dessous, celle des scanners.
La porte de l’ascenseur s’ouvrit, livrant passage à Monsieur Blaise. Derrière lui, Ulrich aperçut Ingrid et Joachim, l’air maussade, qui restaient dans la cabine. La porte se referma sur eux et l’engin continua sa descente vers la salle des scanners. A travers l’ouverture laissée pour la colonne de fil, Ulrich les vit arriver.
_ Joachim ? Êtes-vous en place ? Demanda Monsieur Blaise dans le micro.
_ Pas encore, répondit le jeune homme en prenant place dans l’un des scanners. Maintenant j’y suis.
_ Bien. Pour commencer, je vais vous envoyer une minute en arrière. Si ça marche, nous tenterons une heure. Êtes-vous près ?
_ Dépêchez-vous avant que je change d’avis, répondit Joachim d’une voix tendue.
_ Je lance le programme.
Les portes du scanner se refermèrent en grinçant. « Non ! Supplia intérieurement Ulrich. Non ! Non ! »
Inconscient des suppliques muettes dont il était l’objet, Monsieur Blaise tapa le code d’entrée du retour dans le temps. Un grondement sourd se fit entendre dans le laboratoire. Puis soudain, des cris. Ceux de Joachim, qui se débattait à l’intérieur du scanner. Paralysé, Ulrich ne put qu’observer. Ingrid s’était mise à taper de ses poings sur la paroi du scanner.
_ Joachim ! Joachim ! Hurlait-elle. Blaise ! Arrêtez ça immédiatement !
_ Je ne peux pas, cria Monsieur Blaise dans le micro. Toutes les commandes sont bloquées ! Je ne contrôle plus rien !
_ Sans blague ? Ricana la jeune femme avec une ironie mauvaise.
D’un geste vif, elle débrancha tous les fils qu’elle put trouver. Enfin, la porte du scanner s’ouvrit et Joachim s’effondra, suffoquant, sur le sol.
_ Ca va ? Lui demanda sa collègue.
Il hocha la tête et prononça un « ça va » plutôt rauque.
A présent qu’il était rassuré sur le sort de Joachim, Monsieur Blaise cherchait qui accuser de ce fiasco. Il n’eut pas de mal à trouver.
_ Mademoiselle Kiepelstein ! Éructa-t-il dans le micro. Vous étiez sensée reprogrammer Xana pour qu’il fonctionne avec seulement trois scanners.
Encore sous le choc de ce qui venait de se passer, Ingrid Kiepelstein semblait avoir perdu toute sa réserve naturelle. Elle leva les yeux vers le plafond, rouge de fureur, et répliqua avec hargne :
_ J’ai fait ça en une nuit ! Et seule ! Ce n’est pas étonnant si j’ai fait une erreur.
_ Votre erreur aurait pu causer la perte de votre collègue ! Hurla Monsieur Blaise dans le micro.
_ C’est votre précipitation qui est la cause de mes erreurs !
Ulrich se recroquevilla derrière sa colonne de fils, terrifié. « Des gamins ! Ils se chamaillent comme des gamins ! Et pendant ce temps, Xana est en train de se réveiller, de se répandre dans le reste du super-calculateur... »
Une sirène retentit soudain, interrompant la dispute.
_ C’est l’alerte à incendie ! S’exclama Ingrid, d’un air incrédule.
_ Il faut remonter ! Souffla Joachim.
Les deux scientifiques prirent place dans l’ascenseur et remontèrent, tandis que leur supérieur s’échappait par l’échelle.
Dans le laboratoire, ne resta qu’Ulrich, qui sortit de sa cachette. L’alarme retentissait toujours.
« Et ça commence. »
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Un beau soleil éclaire la cour du collège Kadic. Il y a longtemps qu’on n’avait vu une aussi belle journée. L’humeur des collégiens est à la bonne humeur. Isolés dans un coin de la cour, Yumi, Jérémie et Odd observent toute cette joie. Leur visage est sombre.
_ Salut, vous !
Les trois amis se retournent d’un même mouvement. C’est Sissi qui vient de les saluer joyeusement, toujours flanquée de ses sbires, Hervé et Nicolas. Elle a un sourire hypocrite sur les lèvres.
_ Dites. Vous faites une de ces têtes ! Une bonne journée pareille !
_ Qu’est-ce que tu veux ? Demande Yumi d’un air rogue.
_ Moi ? Mais rien ! Je me demandais seulement ce qu’il était arrivé à Ulrich.
_ Une allergie, ricane Odd, une allergie aux quotients intellectuels trop bas. Son médecin lui a conseillé d’éviter ta compagnie quelque temps.
Sissi rougit violemment et se drape dans son orgueil.
_ Comme vous voudrez ! De toute façon, je finirais par le savoir !
Elle se retourne et s’en va, drapée dans sa dignité.
Yumi lève les yeux vers le ciel d’un bleu pur, le visage maussade.
_ Je ne pensais pas que j’aurais à dire ça un jour, mais qu’est-ce que Xana attend pour nous attaquer ?
Pour la dix-neuvième fois depuis le début de la matinée, Jérémie sort son ordinateur portable de son cartable et l’ouvre.
_ Aelita ? Toujours rien ?
_ Non, je regrette, Jérémie, répond la voix de l’humanoïde. Il n’y a rien du côté des tours, pas la moindre pulsation, rien.
_ Vous savez ce qu’on devrait faire ? Dit soudain Odd. On devrait lui envoyer une pétition. « Mon cher Xana, nous vous sommes fort gré de la trêve que vous nous accordez, mais ça commence à nous manquer de ne plus pouvoir faire un pas dans la rue sans être attaqué par un orage de grêle ou un bulldozer fou. Auriez-vous l’obligeance de reprendre vos intentions meurtrières ? »
_ Ah, ah, ah. Commente Yumi sans joie. Très amusant Odd.
Elle est amère, mais au moins, la crise d’hystérie de la nuit précédente semble avoir disparu sans laisser de trace. Elle s’efforce à présent de garder son inquiétude pour elle-même. Malgré tour, une image l’obsède. Un vieil article trouvé dans les archives du journal local. Un article vieux de huit ans. « Inexplicable disparition de tout le personnel d’une usine de sidérurgie. Hier soir, alors que la journée de travail se terminait, les familles ont attendu en vain... »
« Non, n’y pense pas. »
Mais à présent qu’elle a commencé à y penser, elle ne peut plus s’en empêcher. « Toute personne susceptible de fournir des renseignements sur cette affaire est priée de contacter le... »
_ Eh Yumi !
La voix de Jérémie la tire de sa réflexion.
_ Tu rêves, ma vieille. J’étais en train d’expliquer à Odd que Aelita a lancé un appel dans le temps à Ulrich et que cet appel va le ramener automatique à notre époque, dés le prochain retour dans le passé.
_ Ouais, je suis sûre que ça va marcher. Marmonne la jeune fille, plus pour se convaincre elle-même que pour convaincre Odd.
_ Pourvu que Xana n’ait pas tout d’un coup décidé de prendre sa retraite, marmonne ce dernier. Parce que là, il semble bien partit pour.
Soudain, un cri déchirant raisonne dans la cour. Sissi sort en courant du bâtiment des sciences.
Yumi se précipite.
_ Sissi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui se passe ?
_ Un mon... Un mon-mon-... Un mooonstre ! Là, dans le couloir !
Yumi jette un coup d’œil. Une masse informe, vraisemblablement composée des détritus et des déchets des cours de science est en train de ramper à l’intérieur.
_ C’est génial !
_ Génial ? Répète Sissi incrédule. T ’es tombée sur la tête, ou quoi ?
Sans faire attention à elle, Yumi s’est tournée vers Odd et Jérémie.
_ Je me charge de cette chose, dit-elle en s’emparant d’un extincteur. Vous deux, allez récupérer Ulrich !
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Ulrich se hissa hors de la trappe, découvrant un spectacle hallucinant. La salle cathédrale était enfumée. Armés d’extincteurs, des employés courraient vers la salle des machines où l’incendie s’était déclaré. D’autres, en masse, essayaient d’enfoncer les portes de sortie, qui s’étaient d’un seul coup solidement closes.
D’un regard circulaire, Ulrich embrassa toutes les issues possibles, le toit, les fenêtre... Trop aléatoire.
Sans plus se soucier de se dissimuler, il partit à la recherche d’Ingrid Kiepelstein, et l’aperçut qui rampait difficilement pour s’arracher à la masse des employés, devenus fous, qui cognaient de leur poing et de leur pied sur la porte principale.
Il s’avança vers elle, lui saisit le poignet et l’entraîna hors de la cohue. L’informaticienne le regarda comme si elle n’était pas sûre qu’il sera bien là.
_ Que... Qui es-tu, toi ? Et que fais-tu ici ?
_ Le labo, dit Ulrich sans répondre. Il faut y retourner. Xana ne peut pas le laisser brûler, sinon il se brûlerait lui-même.
_ Mais... commença la jeune femme.
Mais il l’entraîna au monte-charge, sans lui laisser le temps de répliquer. En état de choc, la jeune femme se laissa pousser dans la cabine sans songer à protester.
Le monte-charge s’arrêta au niveau de la salle des ordinateurs et se verrouilla dés qu’il furent sortis.
_ Aidez-moi à obstruer les bouche d’aération, dit Ulrich. Sans quoi, la fumée aura tôt fait de nous asphyxier.
La scientifique s’exécuta, et durant une minute, ils ne dirent plus rien, se contentant de boucher toutes les ouvertures possibles dans la salle.
_ Mais... Que s’est-il passé ? Demanda soudain Ingrid, revenant à la réalité.
_ Ce qui s’est passé ? Xana a bogué, il est devenu vivant, et il s’est emparé du supercalculateur pour nous détruire tous, voilà ce qui s’est passé ! Répondit Ulrich, énervé.
Ingrid le regarda intensément, comme une équation mathématique qu’elle ne parviendrait pas à résoudre.
_ Mais... D’où est-ce que tu sors, toi ? Tu as l’air au courant de pas mal de choses...
Ulrich balaya la question du revers de la main.
_ C’est une très longue histoire. Et je vous la raconterais bien, mais je crois que nous manquons de temps !
_ C’est sûr, murmura la scientifique, c’est du temps, qu’il nous faudrait
Elle s’avança vers les ordinateurs, mais ceux-ci étaient hors circuit.
_ Évidemment, ragea-t-elle. J’ai tout débranché.
_ Alors, il faut que je descende dans la salle des scanners, dit Ulrich.
La jeune femme le regarda à nouveau.
_ Descendre ? Et comment ? Toutes les issues sont bloquées.
_ Il y a les conduits d’aération.
_ Ils doivent être pleins de fumée à l’heure qu’il est. Par contre...
Elle s’approcha de la colonne de fils qui s’enfonçait dans le sol.
_ Tu m’as l’air suffisamment petit et mince pour te glisser par-là.
Elle tira sur les fils, découvrant l’ouverture dans le sol. Ulrich se glissa à travers tant bien que mal et atterri dans la salle des scanners. Les fils arrachés par Ingrid traînaient encore sur le sol, il les ramassa et les rebrancha.
_ Ingrid ? Tout est rebranché. Vous pouvez vous connecter.
Par le haut-parleur, il entendit la voix de la scientifique.
_ Merci. J’ignore ce que je vais faire, mais je vais tout tenter pour arrêter le désastre.
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_ Odd ! Frôlions, à deux heures !
_ J’avais vu, merci ! Flèche laser !
Odd et Aelita courent sur les reliefs graniteux du territoire montagne. Les frôlions semblent surgir de partout, apparaissant et disparaissant à volonté derrière les piques et les pointes rocheuses.
_ Tout seul avec des Frôlions dans la montagne, c’est chaud ! Commente Odd, en mitraillant les adversaires de flèches.
_ Si tu veux, on enverra une autre pétition à Xana, répond la voix de Jérémie. « Cher Xana, nous vous sommes gré de nous attaquer, mais pourriez-vous vous défendre un peu moins fort, s’il vous plaît ? »
_ La tour, annonce Aelita.
La tour activée se trouve sur un autre plateau, en face d’eux. Entre elle et eux le vide.
_ Donne-moi quelques minute, Odd, murmure l’humanoïde en s’agenouillant.
_ Je fais de mon mieux, princesse, mais je te conseille de faire vite.
Aelita a joint les mains et s’est mise à chanter. Une passerelle de roche se forme devant elle, s’allongeant progressivement jusqu’à l’autre plateau. Dans son dos, Odd, dans une succession de bon et de pirouettes, mitraille les Frôlions, pour les dissuader de s’approcher plus près.
_ Odd, encore vingt points de vie en moins !
_ Merci, Jérémie, c’est sympa de me remonter le moral !
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Dans le laboratoire, l’air devenait de plus en plus lourd.
_ On va manquer d’oxygène, murmura Ulrich faiblement depuis la salle des scanners.
Ingrid, dont les doigts devenaient de plus en plus lourd à promener sur le clavier, se pencha sur le micro, et souffla d’une voix qui tentait d’être rassurante.
_ Accroche-toi, petit. J’ai examiné tous les programmes. Tu avais raison, Xana a pris le contrôle. Mais il y a un programme dont il n’a pas pu s’emparer, et dont il ne pourra jamais s’emparer, parce que je l’ai conçu inviolable.
Elle entra plusieurs manipulation, mais tout semblait bloqué.
_ Lyoko ne répond pas, dit-elle à voix haute, Xana a levé des murs entre moi et Aelita. Mais les murs, ça se contourne, et je suis forte à ce jeu-là.
Elle pianota encore et la liaison se fit enfin.
_ Aelita ? Tu m’entends ?
La voix de l’humanoïde raisonna dans le laboratoire.
_ Ingrid ? Qu’est-ce qui se passe ? Sur Lyoko, le sol n’arrête pas de trembler ! J’ai peur.
_ Aelita, Xana est devenu fou. Il a décidé de nous détruire tous. Je crois qu’il s’est emparé d’une tour sur Lyoko pour pirater les réseaux de l’usine. Toutes les issues sont bloquées et un incendie s’est déclaré dans la salle des machines !
_ Quelle horreur ! Qu’est-ce qu’on peut faire !
_ Je ne peux rien faire d’où je suis, mais toi tu peux tous nous sauver ! Tu es la seul chose dans le supercalculateur sur laquelle Xana n’est aucune emprise. Il faut que tu trouve la tour dont Xana s’est emparée et que tu la désactive. Le retour dans le passé qui a échoué durant l’expérience s’enclenchera automatiquement, et, si je programme les bonnes coordonnées, nous reviendrons tous quelques heures en arrière, avant que tout ce cauchemar commence !
Depuis la salle des scanner, Ulrich percevait la pointe d’euphorie dans la voix de la scientifique, qui pensait avoir trouvé la solution. Son cœur se serra.
_ Ingrid, dit encore la voix d’Aelita, comment vais-je trouver la tour activée ?
_ Tu dis que le sol de Lyoko tremble. Cherche l’origine de ces tremblements. Tu trouvera la tour.
_ J’y vais !
Malgré l’air suffoquant du laboratoire, Ingrid Kiepelstein rit.
_ Petit, appela-t-elle par le micro, c’est bientôt fini ! Tout va redevenir comme si rien de s’était passé !
Comme elle semblait confiante, sûre d’elle ! Ulrich aurait pu la croire, à l’entendre parler avec tant de conviction. Mais il savait, lui. Il savait.
_ Ingrid, ça ne ramènera pas les morts. Risqua-t-il.
_ Si ! Oh si ! Nous allons revenir quelques heures en arrière, quand tout le monde était encore indême. Tu vas voir !
Mais Ulrich avait déjà vu. Son cœur était débordant d’amertume.
_ Ingrid, dit soudain la voix d’Aelita, ça y est ! J’ai trouvé la tour ! J’y entre !
Un silence, puis :
_ La tour me reconnaît ! Que dois-je faire, maintenant ?
_ Rien. J’ai déjà tout programmé. Contente-toi de taper le code : Lyoko.
Un silence encore, puis l’informaticienne annonça d’une voix claire :
_ Retour...
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_ ... vers le passé, prononce Jérémie de sa voix neutre.
Au collège, Yumi, toujours au prises avec la chose monstrueuse de Xana voit la lumière blanche arriver. Elle sourit.
« Ulrich va revenir. J’ai confiance. »
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A nouveau, le blanc cotonneux éblouissant, les courbatures et la nausée. Ulrich garde les yeux fermés, appréhendant de les ouvrir. Une boule de poil saute soudain sur ses genoux.
_ Kiwi !
Il ouvre les yeux. C’est à nouveau le soir, mais cette fois, il se trouve assis sur son lit, dans sa chambre, au collège. Tout le décor familier est en place. Mais c’est trop beau pour être vrai, Ulrich n’ose y croire.
La porte de la chambre s’ouvre précipitamment, livrant passage à Odd et Jérémie.
_ Ulrich ? Tu es là ?
Ils se figent en le voyant, tellement soulagés de le revoir qu’ils en restent sans voix. Ulrich se lève, les regarde comme s’il s’agissait de fantômes.
_ Que... Quel jour on est ? En quelle année ?
Au son de sa voix, Jérémie semble reprendre ses esprits.
_ Le bon jour et la bonne année, vieux. Bienvenu chez toi !
Odd bondit sur place en levant les bras en signe de victoire.
_ Oui ! On est les meilleurs ! Je savais qu’on y arriverait, je le savais !
_ Oh, mon Dieu, merci mon Dieu, soupire Ulrich en se laissant glisser au sol.
Pour un peu, il se mettrait à sangloter comme un gamin. C’est à peine s’il entend encore la voix de Odd, qui répond à un appel sur son portable.
_ Yumi ? Oui, ne t’inquiète plus, il est rentré, ton Ulrich. Mais j’ai bien peur que tu ne puisses pas lui parler pour l’instant, il a l’air sacrément sonné !
Jérémie s’est agenouillé devant le rescapé.
_ Tout va bien, Ulrich ?
Ulrich hoche la tête et déglutit avec peine.
_ Il faut que je parle à Aelita !
Jérémie sourit, il comprend.
Quelques secondes plus tard, Ulrich est dans la chambre de Jérémie, devant l’ordinateur, Odd et Jérémie toujours derrière lui. Le visage de l’humanoïde aux cheveux roses apparaît sur l’écran.
_ Salut, Ulrich. Contente de te revoir parmi nous.
_ Aelita, demande Ulrich avec difficulté, la gorge nouée. Aelita, est-ce qu’ils sont vraiment... Tous morts ?
Le visage d’Aelita devient grave.
_ Oui, Ulrich.
_ Il aurait pu y avoir des rescapés, non ? Sans que tu en entendes parler ?
_ Non, Ulrich. Il n’y a eu qu’Ingrid. Je suis désolée.
Devant l’ordinateur, Ulrich a pris sa tête dans ses mains. Odd et Jérémie se taisent, inquiets. Ils n’ont pas l’habitude de voir Ulrich si bouleversé.
_ Elle semblait... Si heureuse, murmure le garçon. Elle semblait persuadée d’avoir trouver la solution.
_ Je sais, répond Aelita. Je sais.
Elle lui fait un petit sourire triste.
_ Nous avons fait ce que nous avons pu.
_ Faux !
Ulrich s’est soudain redressé, rageur.
_ Toi, tu as fais ce que tu as pu ! Ingrid a fait ce qu’elle a pu. Moi, j’ai assisté à tout et je n’ai rien fait. Je savais que ce n’était pas la peine de tenter quoi que ce soit parce que... Parce que tout ça s’était DEJA passé !
De nouveau, les yeux qui piquent, les larmes retenues à grand peine. Si seulement Odd et Jérémie pouvaient regarder ailleurs !
_ Tu n’as rien fait ? Répète l’humanoïde avec un petit sourire. Alors, comment Ingrid a-t-elle eu l’idée de se réfugier dans le labo ?
Ulrich hausse les épaules et secoue la tête.
_ Il fallait qu’elle survive ! C’était nécessaire !
_ Tu l’as sauvée, Ulrich. Et en la sauvant, tu m’as sauvée moi, ainsi que les millions de gens à qui je permets chaque jour d’éviter la mort.
_ Peut-être, mais...
_ Je sais. Pour les autres, tu ne pouvais rien tenter, Ulrich. Comme tu l’as dis si bien, tout cela s’était DEJA passé.
Ulrich hoche la tête. Jérémie lui passe affectueusement le bras autour des épaules.
_ Tu devrais te coucher, vieux. Tu as eu ton compte d’émotion pour aujourd’hui.
_ Pas encore. Répond Ulrich. Je crois que j’aurais besoin de marcher. Seul.
Odd et Jérémie échangent un regard, puis hochent la tête. Tandis qu’ils regagnent leurs chambres, Ulrich traverse les couloirs du dortoir et descend les escaliers. Autour de lui raisonnent les bruits familiers, la musique, les bavardages. Il se cramponne à ces sons comme à une bouée de sauvetage.
Une fois dans la cours, l’air du parc l’apaise. Tout est si calme à présent. Des élèves retardataires le saluent avant de rejoindre le dortoir. Il rend leur salut. Le soleil se couche au loin, derrière les arbres. Tout est exactement comme avant, sans la moindre modification, le moindre détail.
Après avoir respiré quelque goulée d’air frais, il prend son téléphone et compose un numéro.
_ Allô, Yumi ? C’est moi.