Histoire : Le temps de la relève

Écrite par Tchoucky le 28 août 2004 (18818 mots)

Dernière édition le 09 juillet 2004

Première partie : La photographie.

Je rentrai seule, ce soir-là. Le temps était maussade. L’hiver s’installait dans les rues. De la buée s’échappait de ma bouche pendant que je marchais, et mon humeur était grise.
Je n’aimais pas rentrer seule. Je préférais les jours ou mon père venait me chercher. Même si nous parlions peu, je me sentais bien avec lui, dans la voiture. Nous aimons les même musiques, les mêmes stations de radios. Et puis, je n’aime pas marcher. Surtout marcher seule, quand il fait froid et gris.
Je songeai en descendant du bus qu’à la même heure, ma mère était assise tranquillement dans l’avion, certaine que son mari était déjà en train de rouler vers l’aéroport pour l’accueillir, même s’il restait encore bien une heure avant qu’elle n’arrive. Ce serait elle qui prendrait place dans la voiture, ils passeraient cinq bonnes minutes à discuter pour savoir quelle station écouter et puis finalement ils s’embrasseraient comme des gamins et ils oublieraient la radio, trop occupés à se raconter leurs semaines respectives. Ils sont comme ça, mes parents. Séparez-les une semaine, ça leur paraîtra un mois. L’ennui, c’est que ma mère est souvent absente, son travail...
Mais ce n’est pas ce que je voulais raconter.

Ce soir-là, donc, je rentrai seule. J’étais d’humeur maussade, perdue dans mes pensées, et je marchais en regardant mes pieds. Ce ne fut que lorsque j’arrivai devant la grille de notre jardin qua je vis l’homme qui attendait, assis sur les marches du perron. Je poussais la grille, prête à lui demander ce qu’il faisait là. Au bruit, il releva la tête, et ma question resta aussitôt coincée dans ma gorge. Je ne pouvais croire ce que je voyais.
J’avais devant moi le visage le plus photographié du moment, celui qui paraissait toutes les semaines à la couverture d’un des magasines débiles que lisent les autres filles au collège.
Je n’avais jamais rencontré cet homme, mais je savais presque tout de lui. La liste des groupes dans lesquels il avait chanté. Le nom de la starlette avec qui il était à ce moment. Tous ses disques étaient dans ma chambre. La seule chose que je n’avais trouvé nulle par, sur lui, c’était son nom, son vrai nom, son nom civil, son nom d’en dehors de la scène. Il le gardait jalousement, comme un trésor. Et il se tenait là, à quelque pas de moi !

Un quart de seconde, je me demandai comment réagir, je songeais un instant à demander un autographe, mais cette pensée ne me fut pas plus tôt venue que je la méprisai. Je choisis de demander, sur un ton neutre.
_ Vous désirez quelque chose ?
Il se redressa. Il semblait courbaturé, comme s’il était assis là depuis longtemps, dans le froid.
_ Je... Balbutia-t-il. Est-ce que c’est bien la maison d’Ulrich et Yumi ?
_ Mes parents ne sont pas là, répondis-je, en essayant de ne pas ciller sous la surprise d’entre l’homme le plus populaire du moment appeler mes parents par leurs prénoms. Ils ne rentreront pas avant deux heures au moins.
_ Tes parents ? Répéta-t-il, un peu abasourdi. Bien sûr, tu dois être Lynne ! Comment je ne m’en suis pas rendu compte plus tôt ?
Cette voix, pour laquelle tremblaient toutes les adolescentes du monde, prononçant mon nom comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle ! Cette fois, je ne put me retenir :
_ Vous me connaissez ?
_ Bien sûr, que je te connais ! La dernière fois que je t’ai vue, tu étais un mignon petit bébé tout rose. Quel âge ça te fait, maintenant ?
_ Treize ans, répondis-je avec humeur, car l’allusion au mignon bébé tout rose m’avait fortement déplu.
Mais ma hargne ne parut pas l’impressionner le moins du monde, son visage avait pris un air songeur.
_ Treize ans, répéta-t-il, les yeux dans le vague. C’est long. C’est beaucoup trop long ! Mais comment garder contact, avec le métier que je fais...
Je l’observais mieux pendant qu’il parlait. De près, il semblait différent des couvertures de magasine. Plus vulnérable, peut-être. Plus enfantin... Je fus soudain prise d’un doute.
_ Je n’ai pas le droit de faire entrer des inconnus dans la maison. Voulez-vous attendre ici, s’il vous plait ?
Aimablement, il s’écarta du perron pour me laisser entrer.
Je pénétrai dans le vestibule, grimpai l’escalier quatre à quatre, et me précipitai dans la chambre de mes parents. J’ouvris un tiroir, et tirai de sous une pile de draps une vieille photographie que ma mère conservait depuis des années.

La photographie représentait cinq adolescents. Deux d’entre eux, une jeune fille vêtue tout de noir et un garçon à l’air réservé, étaient mes parents. Deux autres, un petit garçon blond, avec des lunettes et une tête toute ronde, et une jeune fille aux cheveux roses, m’étaient totalement inconnus. Mais le dernier, qui grimaçait en direction de l’objectif, était incontestablement l’homme qui attendait en bas.
Je redescendis, la photographie en main, et la lui montrai.
_ Vous vous appelez Odd, dis-je, assez fière de connaître son seul secret.
_ Tes parents t’ont raconté ? Me demanda-t-il avec un sourire de connivence.
_ Mes parents ne me racontent rien. Mais des fois, ils parlent sans se douter que j’entends tout.
Il rit joyeusement.
_ Et qu’est-ce que tu sais de moi, exactement ?
_ Vous étiez tous ensembles au collège. Et vous vous entendiez bien.
_ C’est tout ?
_ C’est tout, dis-je.
_ Tu m’étonnes, murmura Odd entre ses dents.
Il regarda à nouveau la photo, puis moi, puis la photo de nouveau.
_ C’est pas croyable.
Je ne pris pas la peine de lui demander ce qui n’était pas croyable. Mes grands-parents Ishiyama me le répètent suffisamment. Il paraît que je suis le portrait craché de ma mère au même âge. J’ai hérité de la plupart de ses traits, de mon père, je n’ai que les cheveux châtains et les yeux noisette. Je suis une asiatique aux yeux noisette, eh oui, il y en a.
_ Lynne, me dit soudain Odd. Je ne peux pas me permettre d’attendre tes parents deux heures de plus. Si je te confie un message, tu leur transmettras ?
La question me parût étrange, je ne voyais pas ce que je pouvais faire d’un message pour mes parents sinon le leur transmettre. Mais il me regardait d’un air très inquiet. Je hochais donc la tête en signe d’approbation. Il sortit de sa poche un stylo et écrivit sur le dos de la photo, puis me la tendit. Je lut le message :
« Aelita est hospitalisée depuis hier à la clinique de Sainte-Colombe. Leucémie, impossible à soigner. Me rend sur place immédiatement. Rejoignez-moi. Odd.»
Je relevais les yeux vers Odd.
_Aelita, c’est le nom de la jeune fille aux cheveux roses, sur la photo ?
Il ne répondit pas, se contenta d’ajouter avant de partir.
_ Donne le message à tes parents aussitôt qu’ils rentreront. C’est important. Chaque heure compte.
Comme il commençait à s’éloigner, je le rappelai :
_ Vous n’avez pas écrit l’adresse de la clinique Sainte-Colombe !
_ Ne t’inquiète pas, ils connaissent !

Je rentrai dans la maison, montai ma chambre, défit mon sac et commençai mon travail. J’avais plusieurs interrois, la semaine suivante, et un exposé à préparer. Mais je ne parvins pas à me concentrer. Je finis par renoncer, redescendis et sortis deux valises du placard à balais. Je jetais dans l’une quelques effets personnels de mon père, dans l’autre des affaires à moi, puis je sortis sur le perron, m’assis et attendis mes parents, dans la même position que Odd, quelque temps auparavant.
Je regardai la photo. Elle m’intriguait depuis longtemps, déjà. Pourquoi ? Elle datait de leurs années collèges, quand ils s’étaient rencontrés. C’était une période importante, mais je n’en savais rien, sauf ce que mes grands-parents Ishiyama m’avaient raconté. Y avait-il autre chose à savoir ? Je ne me souviens plus à quel âge j’ai commencé à m’en persuader. Sans doute quand j’ai réalisé que ma mère conservait la photo de groupe en cachette de mon père, alors qu’il n’y avait aucune raison pour qu’elle le fasse.
Les gens ne se rendent pas toujours compte à quel point les photos parlent. A première vue, elle représentait cinq adolescents comme les autres, mais quand on regardait mieux, on constatait qu’il se dégageait de ce groupe quelque chose de pas ordinaire, comme un rayonnement que je n’aurais su définir. Je savais depuis toujours que mes parents avaient quelque chose de différent. Les autres parents des autres enfants étaient toujours inquiets, pressés, stressés, tandis qu’eux accueillaient tous les déboires de la vie avec un stoïcisme olympique, comme si tout cela n’était rien. Ils avaient quelque chose. Ils avaient tous vécu quelque chose. C’était écris sur leur visage, sur ces visages adolescents qui souriaient à la photographie. Je le savais. C’était aussi sûr que deux et deux font quatre. Mais je ne savais pas quoi.

Il faisait nuit quand la voiture de mes parents tourna le coin de la rue. Je n’avais pas bougé. Pourtant j’avais froid. Ils ne me virent pas tout de suite. Mon père se gara le long du trottoir, et je les vis s’embrasser longuement à travers le pare-brise. Quand je dis longuement, je veux dire, vraiment longuement. Cela me parut une éternité. Je n’osais me lever, aller à leur rencontre. Soudain, ma mère sursauta, et se détacha de mon père, elle venait de m’apercevoir.
Elle sortit de la voiture et se précipita vers moi.
_ Lynne ? Que fais-tu assise dans le froid ? Il y a un problème.
J’étais restée immobile si longtemps que mes lèvres refusaient de bouger. Je me contentais donc de lui tendre la photographie sur laquelle était inscrit le message de Odd. Elle le lut d’une traite et resta immobile un instant. Un visage de cire. Puis elle tendis, d’un geste mécanique, le message à mon père qui l’avait rejointe. Son regard tomba sur les sacs, à mes pieds.
_ Tu as fais les valises ? S’étonna-t-elle.
_ La mienne et celle de Papa. Répondis-je en claquant des dents. La tienne est déjà dans la voiture. Nous serons absent longtemps ?
Ma mère n’eut pas le loisir de répondre à ma question. Mon père venait de terminer la lecture du message de Odd. Ils se regardèrent sans mots dire. Je voyais qu’ils pensaient tous deux aux même choses et que ces choses, je ne pouvais pas les deviner.
Puis ma mère me regarda de nouveau et détacha son écharpe des ses épaules pour m’en couvrir.
_ Tu es gelée, Chérie. Tu aurais dû nous attendre à l’intérieur.
_ Odd a dit que les heures comptaient.
A nouveau, ils échangèrent un regard, puis ma mère prit ce ton autoritaire avec lequel elle négocie la vente de pièce d’avions entre la France et le Japon.
_ C’est moi qui vais conduire pendant la première heure. J’ai pu dormir dans l’avion.
_ Il faut que j’appelle le boulot. Répondit mon père. Et le collège de Lynne, pour justifier son absence.
_ Tu le feras dans la voiture, sur la route.

Nous roulâmes longtemps, dînâmes à une station d’autoroute, et repartîmes aussitôt. Mes parents ne parlaient pas.
A ce moment-là de l’histoire, je ne connaissais rien à l’amitié. Je n’avais jamais eu aucun ami pour qui j’aurais été prête à sacrifier ma vie, seuls mes parents comptaient à mes yeux. Tout ce que je savais de cette femme, Aelita, c’était qu’elle avait été une de leur camarade de collège, et que maintenant elle allait mourir, sans que je l’aie jamais connue. Si je n’avais pas été si obnubilée par ma curiosité, et, peut-être, s’ils n’avaient pas été mes parents, je me serais rendu compte à quel point ils étaient bouleversés, tous les deux, par la nouvelle de cette maladie. Mais comment pouvais-je le concevoir ? Je n’avais encore rien vécu de comparable à ce qu’ils avaient vécu. Pour moi, cette étrangère, c’était un point d’interrogation supplémentaire sur la période où mes parents s’étaient rencontrés.
Je me décidais à poser des questions.
_ Cette Aéélita, c’est une amie à vous ?
Je les vis sursauter en entendant ma voix, comme s’ils avaient oublié ma présence. Ils échangèrent à nouveau un regard, et mon père, qui ne conduisait pas, se retourna.
_ C’est Aelita, Lynne. Et oui, c’est une amie. Une très bonne amie.
Sa voix était ferme et douce, comme d’habitude, mais elle tremblait légèrement. J’en fut remuée jusqu’au fond de l’âme. Je n’avais encore jamais vu mon père retenir des larmes. Je ne l’avais jamais vu pleurer.
_ Pourquoi est-ce que je ne la connais pas ? Demandais-je.
_ Disons, répondit mon père d’une voix faussement légère, que la vie nous a entraînés sur des chemins différents.
_ Et Odd, insistai-je, depuis le temps que je dépense mon argent de poche pour acheter ses CD, vous auriez pu me dire que vous le connaissiez, non ?
_ C’est... Plus compliqué que ça.
Les adultes, j’ai remarqué, utilisent ce genre de phrase quand ils veulent éviter d’avoir à expliquer quelque chose.
_ Si ça fait treize ans que vous avez perdu contact, pourquoi est-ce qu’elle vous rappelle maintenant ? Pourquoi vous ? Qu’est-ce qu’elle vous veut ?
Mon père ne répondit rien. Ils se rassit sur son siège, et regarda la nuit à travers la vitre.
_ Tu devrais dormir, Lynne. Me dit ma mère dans son rétroviseur.
Je cessai d’insister, m’allongeai sur la banquette, et ne tardai pas à m’endormir. Je me réveillai un peu quand mes parents s’arrêtèrent pour changer de conducteur. Je perçus dans mon demi-sommeil une bribe de conversation.
_ Tu crois qu’il va tout rebrancher ?
_ Je ne crois pas, j’en suis sûre. Et Odd aussi, apparemment. C’est pour ça qu’il a dit à Lynne « les heures comptent ».
_ Yumi, après tout ce qu’on a fait...
_ Tu connais Jérémie. Il fera n’importe quoi pour la sauver. N’importe quoi !
_ Pas rebrancher Xana, tout de même !
_ La virtualisation peut sauver Aelita. C’est tout ce qui va compter à ses yeux.
Je répétai dans mon esprit « Xana » « la virtualisation », des mots je ne comprenais pas le sens, puis je me rendormis.

Nous arrivâmes à l’aube. Les murs gris de la ville où nous roulions à présents se teintaient de rose. Mon père, qui était au volant, regardait défiler les maisons avec un air surpris.
_ Cette ville est tellement... Tellement...
_ Petite, acheva ma mère pour lui.
Je me redressai sur ma banquette.
_ C’est là que vous étiez au collège, n’est-ce pas ?
_ Tout juste, répondit mon père. D’ailleurs, si tu regardes à gauche, tu le verras. Le collège Kadic.
Je tordis le cou pour apercevoir une imposante bâtisse entourée d’arbres. Mais nous étions déjà loin.
_ Ulrich, demanda ma mère, pourquoi tu tournes à gauche ? La clinique Sainte-Colombe, c’était sur la droite.
_ Je sais. Mais ils ont ajouté un sens interdit. Saleté de panneau ! Je ne reconnais plus rien !
_ Arrêtons-nous pour boire un café, proposa ma mère. Nous demanderons notre chemin en même temps.
Mon père trouva donc une place pour se garer, et nous entrâmes dans un café qui venait d’ouvrir. Ma mère et moi, nous nous assîmes en terrasse tandis que mon père allait prendre notre commande au comptoir et demander la route.
Ma mère le suivit des yeux et soudain son regard devint étrange.
_ Ulrich, dit-elle à mon père qui revenait, tu as vu cette femme, assise au comptoir.
_ J’ai vu trois couches de maquillage, je n’étais pas sûr qu’il y avait une femme en dessous, mais si tu le dis, je te crois. Pourquoi ?
_ Elle ne te rappelle personne ?
Mon père se retourna vers la femme, qui, elle aussi, avait tourné les yeux vers nous. Le voir se retourner sembla la décider. Elle quitta son siège et se dirigea vers nous.
_ Ulrich et Yumi ? C’est bien vous ?
_ Bonjour, Sissi, dit ma mère aimablement.
La nommée Sissi, pris aussitôt un siège et s’assis à notre table. Elle devait avoir le même âge que mes parents, mais elle en paraissait beaucoup plus. Vêtue d’un manteau en fausse fourrure qui avait dû être chic à l’époque où il était neuf, horriblement maquillée, elle empestait le parfum.
_ Quel plaisiiiir de vous revoir ici ! J’ai appris ce qui arrivait à Jérémie et Aelita, mon Dieu, quelle tragédiiiiiie ! Vous êtes là pour ça, n’est-ce pas ?
Mon père avait pris un air renfrogné. Ma mère s’arrangea pour ne pas répondre à la question.
_ Qu’est-ce que tu deviens, Sissi ? Tu habites par ici ?
_ Oui, minauda la femme. Après mon divorce, je suis venue m’installer avec mon père. Le jour de sa retraite, il s’est installé dans une maison, près du collège. Devinez qui j’ai comme voisine. Milliiiiie ! Elle est devenue une charmante jeune femme ! C’est elle qui me tient au courant de tout ce que deviennent les anciens camarades du collège ! Elle a gardé contact avec tellement de monde ! Figurez-vous qu’Hervé a remarquablement réussi, en montant une petite entreprise d’import export. Il est marié et a trois enfants. Je ne sais pas ce qu’est devenu Nicolas. Mais, mon Diiiieux, je ne me remets pas de ce qui arrive à Jérémie et Aelita ! Un couple si charmant, si uni ! Deux scientifiques si exceptionnels ! Figurez-vous que Jérémie a donné sa démission au laboratoire américain où il travaillait pour ramener sa femme ici ! Mais vous saviez cela, n’est-ce pas ?
Elle avait débité sa tirade d’une traite, et regardait maintenant mes parents d’un air inquisiteur. Elle espérait tirer d’eux des informations supplémentaires.
_ Non, répondit mon père. Nous ignorions que Jérémie avait donné sa démission.
_ Je vois, répondit Sissi en le scrutant comme pour lire en lui. Je vois.
Ma mère regarda sa montre.
_ Tu nous excuseras, Sissi, mais nous devrions déjà être arrivés à la clinique. Il faut qu’on reparte.
_ Bien sûr, bien sûr, répondit Sissi qui avait tourné le regard vers moi. Quelle charmante enfant vous avez là ! C’est tout le portrait de sa mère au même âge.
Je me retins de répondre et suivit mes parents vers la voiture. Mon père grommelait.
_ Il doit y avoir des milliers d’habitants dans cette ville, et il faut qu’on tombe sur ELLE.
_ C’est incroyable comme elle est restée infantile, murmura ma mère. La vie n’a pas dû la gâter.
J’espérais qu’ils feraient plus de commentaires, qui m’apporteraient des détails sur leurs vies d’adolescents, mais ils se turent. Nous ne dîmes plus rien jusqu’à l’arrivée à la clinique.
C’était une clinique toute blanche, si blanche que ça faisait froid dans le dos. Il y régnait un silence glacial, comme dans une tombe. Je me sentais mal à l’aise. Je remarquai, au fur et à mesure que nous approchions de la chambre où était leur amie, des indices de nervosité chez mes parents, comme s’ils appréhendaient ces retrouvailles. Ce fut moi qui poussai la porte de la chambre et y entrai en premier. Odd s’y trouvait déjà, assis près du lit. Une grande femme mince était allongée. Ses cheveux étaient maintenant longs et blonds, mais son visage était étrangement resté le même. Je n’aurais pas pu en dire autant de l’homme qui était debout derrière Odd. Son visage était plus dur, plus émacié. Sans les lunettes et les cheveux blonds, j’aurais eu du mal à reconnaître l’adolescent à tête ronde et au sourire joyeux de la photographie.
Il s’était retourné en nous entendant entrer. Son visage pris une expression de stupéfaction.
_ Ulrich ? Yumi ? Que faites-vous ici ? Qui vous a prévenus ?
Il tourna le regard vers Odd, qui faisait avec ses doigts le signe de la victoire, puis de nouveaux mes parents. Il y eu comme un temps d’hésitation entre eux, puis l’instant d’après tout ce monde s’embrassa sans rien dire. Ma mère serra Aelita dans ses bras. Jérémie pleurait ouvertement tandis que mon père lui faisait l’accolade. Odd souriait crânement, mais je voyais bien que lui aussi avait du mal à se retenir. Pendant une minute, ce ne fut qu’effusion silencieuse et fraternelle. Moi, perdue au milieu de ces adultes qui pleuraient et s’embrassaient, je me sentais mal à l’aise.
Aelita était la seule qui ne pleurait pas. Elle tourna son regard vers moi, un regard d’un vert profond, comme je n’en avais jamais vu.
_ Tu dois être Lynne, me dit-elle d’une voix extrêmement douce.
Elle regarda avec attention mon visage. Je m’attendais à ce qu’elle sorte la traditionnelle réplique sur ma ressemblance avec ma mère, mais ce ne fut pas la phrase qu’elle prononça.
_ Tu es très jolie. Une magnifique jeune fille.
Sa sérénité m’enveloppait toute entière. Je n’arrivais pas à croire qu’on pouvait trouver tant de paix chez quelqu’un qui va bientôt mourir.
_ Je suis ravie de faire ta connaissance. Me dit-elle.
_ Je suis ravie de vous connaître, moi aussi. Répondis-je.
C’était vrai. Il se dégageait d’elle une telle aura de douceur que j’en étais remuée. J’étais mal à l’aise. Tous les autres adultes avaient les yeux tournés vers moi. La tension qu’il y avait entre eux pesait sur mes épaules. Je cherchais quoi dire à Aelita. Mais que dire à quelqu’un qu’on ne connaît pas, et qui va mourir ?
_Vous avez mal ? Demandai-je.
Elle rit doucement.
_ Non. Après les chimiothérapies, je vais mal. Le reste du temps je suis seulement fatiguée.
Toujours ce sourire serein, cette voix calme. Je compris soudain la tension qui régnait dans la pièce, les larmes qui coulaient sur les joues de Jérémie, celles que Odd retenaient derrière son sourire, et le désespoir contenu de mes parents. Je compris soudain qu’il devait être insupportable qu’une amie si belle, si bonne, disparaisse à jamais.
Je ne trouvai plus rien à dire et me tut. Le silence retomba dans la chambre. Enfin, Jérémie brisa le silence.
_ Je sais pourquoi Odd vous a fait venir.
_ Parce que nous avons le droit d’être là, quels que soient les différents qui nous ont opposés, ces dernières années. Répondit ma mère.
_ Sans doute, mais ce n’est pas seulement pour cela que vous êtes ici, n’est-ce pas ? Demanda Jérémie, d’une voix où commençait à percer l’ironie et la colère
_ Jérémie. Le coupa Aelita d’un ton doux mais autoritaire. Ce sont nos amis. Ils ont fait un long chemin pour nous voir.
_ Hum, les interrompit Odd, peut-être devrions-nous laisser Aelita faire connaissance avec la petite, et discuter de tout cela dehors.
Malheureusement pour moi, il n’avait pas oublié ce que j’avais dit à propos des fois où mes parents parlent sans se douter que j’entends tout. Mes parents approuvèrent, et tous les quatre sortirent, me laissant seule avec la malade.
_ Quel est votre métier ? demandai-je.
_ Jérémie et moi, nous sommes informaticiens tous les deux.
_ Mon père est policier. Dis-je. Et ma mère négocie la vente de pièces d’avions entre la France et le japon.
_ Je sais, je sais.
J’avais une foule de questions à poser à cette femme, mais je ne savais pas ce que la décence me permettait de demander, et ce qu’elle ne me permettait pas. Je tournai autour du pot.
_ Comment étaient mes parents, à treize ans ?
_ Sympathique. Et on pouvait compter sur eux.
_ Vous les avez connus dès la sixième.
_ Heu, non. Je suis arrivée au collège Kadic plus tard que ça.
_ Quand ?
_ En troisième, je crois. C’est loin. Je ne sais plus très bien. Il y a vingt ans, maintenant.
Je m’armais de courage.
_ Votre mari connaît un moyen de vous guérir. Dis-je. Et mes parents veulent l’empêcher d’utiliser ce moyen.
Aelita me regarda intensément de son profond regard vert.
_ Qu’est-ce que tu sais exactement ?
C’était la même question que Odd. La même crainte. Ils avaient un secret que je n’étais pas sensée savoir, que mes parents n’étaient pas sensés me révéler.
_ Je ne sais rien. Rien d’autre que ce que j’ai dit, ce que j’ai compris en entendant des bribes de conversations.
_ Tu ne peux pas en apprendre plus, Lynne. Il s’agit de choses qui nous dépassent tous. Mon mari, en effet, croit connaître un moyen de me guérir. Mais c’est un moyen qui ferait courir des risques à beaucoup de monde. Tes parents ont donc raisons de l’en dissuader. Fais-leur confiance.
Cette acceptation de son sort me paraissait surnaturelle. Je m’éloignai du lit. Mon regard tomba sur les affaires posées sur la commode. Un poudrier. Une brosse à cheveux... Des cheveux étaient encore dessus. Je les observai longuement, ces cheveux, ces cheveux si long, si blonds. Je n’arrivais pas à déterminer ce qui me fascinait autant chez eux. Puis lentement, une fenêtre s’ouvrit dans mon esprit. Je la regardais se déverrouiller avec appréhension, car elle s’ouvrait sur une idée si folle, si extraordinaire, que si je la suivais, je ne pourrais plus jamais être la même qu’avant, je le sentais.
Je revins au chevet.
_ Aelita, vous n’êtes pas obligée de donner des détails. Dites-moi seulement, ce moyen que votre mari connaît, qui ferait courir des risques à d’autres personnes, il vous sauverait de façon sûre ?
_ Oui, murmura Aelita. Il me sauverait de façon sûre.
Elle frissonna. Son premier signe de faiblesse depuis que j’étais entrée dans sa chambre. Je m’engouffrai dans la brèche.
_ Vous n’avez jamais peur ?
Elle me regarda sérieusement.
_ Oui, j’ai peur. J’ai peur pour Jérémie. Je ne sais pas comment il fera, sans moi.
Dans les livres, ce genre de phrase me fait toujours sourire. Ca paraît toujours nunuche, artificiel. Mais là, ça ne l’était pas. Cette femme en face de moi était en train de me dire qu’elle se faisait du souci, non pour elle, mais pour son mari, et c’était sincère. Elle ne songeait qu’à lui, pas à elle, comme si l’idée de sa propre mort était un détail comparé à celle de sa solitude à lui.
On croit que les gens comme ça n’existe que dans les livres, et quand on en rencontre en vrai, on croit qu’ils font semblant ou qu’ils sont idiots. Mais Aelita ne faisait pas semblant. Elle n’était pas idiote. Elle était... Au-dessus de toute chose.
Un sentiment de révolte immense commença à s’emparer de moi.
_ Si je comprends bien, votre mari pourrait vous sauver à coup sûr, par contre, il n’est pas sûr que d’autres personnes auraient à souffrir du moyen qu’il compte employer. Et vous voudriez que je fasse confiance à mes parents, qui vous empêchent d’être sauvée ?
_ Pourquoi es-tu en colère, Lynne ? Ni Ulrich, ni Yumi ne me laisseraient mourir, s’ils avaient le choix.
_ Mais ils ont le choix, m’écriai-je. Vous venez de me le dire !
_ Il s’agit de milliers de personnes. Et moi, je ne suis qu’une femme.
Je ne répliquais pas, mais mon opinion était faite. J’avais rencontré des filles, des femmes, mais aucune n’égalait celle-là, aucune, pas même ma mère, que j’avais tenue jusqu’à maintenant comme la plus exceptionnelle de toutes.
_ Je vais vous laisser vous reposer, dis-je. Dites à mes parents s’ils reviennent que je vais dans la salle d’attente.
Je quittais la pièce et allais m’asseoir, la tête posée entre les mains. En moi se bousculaient une multitude de questions, des questions dont je ne cherchais même pas les réponses, car ç’aurait été une quête trop longue et désespérée. Je me concentrais sur ce que j’avais compris, l’essentiel : une femme allait mourir, et si mes parents avaient tout à coup traversé la France, c’était pour convaincre son mari de la laisser mourir. Mes parents. Mes chers parents. Ceux en qui j’avais toujours cru. A qui je m’étais toujours fiée, quelles que soient les circonstances.
Je me mis à pleurer. Je n’aurais pas su dire pourquoi. Je me sentais souillée, salie, responsable de ce que mon père et ma mère étaient en train de faire. Je me laissais noyer dans ce désespoir que je ne comprenais pas. Et doucement, très doucement, je me laissais flotter jusqu’à cette fenêtre qui s’était ouverte dans mon esprit pendant que j’étais dans la chambre d’Aelita. Ce sur quoi elle ouvrait était à la fois terrifiant et attrayant. Je m’en laissais pénétrer. Quelque chose en moi se mit à murmurer des paroles que je me serais interdites en d’autres circonstances. Que j’étais seule dans ce couloir. Que personne ne me surveillait. Que, si je voulais en apprendre plus, ce ne serait ni de Odd, ni d’Aelita, mais que j’avais rencontré ce matin même quelqu’un qui me répondrait.
Je ne pensais pas à mal. Je ne voulais pas décevoir mes parents. Mais je trouvais plus important que tout de ne pas me décevoir moi-même. C’est ainsi que, tandis que mon père et ma mère discutaient avec Jérémie et Odd je ne savais où, qu’Aelita dans sa chambre se reposait, je me levais de mon siège, et, sans que personne ne songe à me demander où j’allais _ les infirmières sont si occupées_, je marchais vers la sortie.

Je déteste la foule. Tous ces gens qui vous entourent, vous bousculez, vous regardent comme si vous étiez de trop, comme si vous preniez trop de place, comme si vous pesiez trop lourd, comme si vous reflétiez trop la lumière. Tous ses gens, avec des questions dans les yeux. (Qu’est-ce qu’elle fait seule dans la rue à cette heure si matinale, cette gamine ? Pourquoi elle n’est pas en classe ?) Chaque début d’année scolaire, à la rentrée, je m’arrange pour arriver avec du retard, pour éviter la foule qui se bouscule près des panneaux d’affichages ou sont inscrits les noms et les classes. Aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours sentie mal à l’aise dans la foule.

J’eus de la chance. Derrière le comptoir du café, c’était toujours le même serveur que celui qui s’était occupé de nous le matin même.
_ Bonjours, dis-je.
_ La petite demoiselle de ce matin ! Vous avez oublié quelque chose ?
_ Heu... Moi, non, mais... Vous vous souvenez de la dame qui est venu s’asseoir à notre table ?
_ Mademoiselle Delmas ? Oui, elle vient tous les matins.
_ Pourriez-vous, s’il vous plaît, m’indiquer ou elle habite ? C’est que, voyez-vous, elle m’a prêté son téléphone et elle a oublié de le reprendre.
_Bien sûr, vous prenez la rue en face, puis la deuxième à gauche, au numéro dix-sept.
_ Je vous remercie, dis-je en m’éloignant.
_ Oublier son téléphone, continua le serveur derrière moi, c’est bien elle, ça ! Cette pauvre demoiselle Delmas, la vie ne l’a pas vraiment gâtée, alors elle se donne des airs. Mais faut voir comme elle s’occupe de son vieux père pour comprendre comme elle a bon cœur...
Je quittai le café, et rejoignit la rue qu’il m’avait indiquée. Au numéro 17, je tombais sur une porte, avec un interphone. Je sonnais à « Delmas ».
_ Allô ? Me répondit une voix féminine, très différente de celle que j’avais entendu pépier ce matin.
_ Je voudrais voir Sissi, dis-je, dans le doute.
_ Qui la demande ? Me répondit la voix, rogue.
_ Lynne. Lynne Stern. La fille d’Ulrich et de Yumi.
Il y eut un silence, puis un bourdonnement m’indiqua que la porte était déverrouillée.
_ Deuxième étage, me dit la voix dans l’interphone.
Je montai. Elle m’attendait sur le palier. Elle était toujours aussi outrageusement maquillée, et portait un chemisier d’une couleur fushia criarde, mais son visage était loin d’être aussi chaleureux qu’auparavant.
_ Entre, me dit-elle. Mais ne fait pas de bruit, mon père dors.
J’entrais dans un appartement petit, étroit et sombre, comme une cage d’ascenseur.
_ Où sont tes parents ? Me demanda-t-elle, non sans un certain soupçon dans la voix.
_ Mes parents sont très occupés. Ils m’ont autorisé à visiter la ville.
_ Seule ? Demanda Sissi.
_ Heu, oui, j’ai treize ans, et je suis très autonome.
A son regard, il était clair qu’elle ne me croyait pas. Mais elle ne dit rien s’assit dans un sofa, m’indiqua un fauteuil.
_ Qu’est-ce que tu veux ?
_ Que vous me parliez de l’époque où mes parents étaient au collège.
Elle eut un rire sardonique.
_ Tu viens me voir pour ça ? Demande à tes parents. Ils te répondront mieux
_ Non, justement, ils ne me répondent pas !
_ Alors, c’est qu’ils ont de bonnes raisons.
Je n’aurais su dire laquelle je préférais, de l’extravagante hystérique que j’avais rencontré le matin même, ou de ce block d’hostilité sèche.
_ Vous les avez connus, au collège ? Vous vous souvenez d’eux ?
Elle haussa les épaules.
_ Tout le monde se souvient d’Ulrich. Mais personne ne l’a connu. Il était réservé. Toujours avec sa bande. Et Yumi qui lui collait au basque, pire qu’un papier tue-mouche. Qu’est-ce que tu veux savoir exactement ?
_ Mes parents, Odd, Jérémie et Aelita... Ils ont un secret. Un secret qui date de cette époque-là.
Elle se tut un instant, et me fixa avec un regard étrange, dont je ne pus déterminer le sens. Un instant, elle sembla prête à me dire quelque chose. Mais elle balaya la question d’un revers de main.
_ Un secret. Moi aussi, à l’époque, je m’étais persuadée qu’ils en avaient un. Je m’étais même juré de découvrir ce que c’était. Quand je pense aux heures que j’ai perdues à fouiller, à guetter, comme une petite gamine idiote que j’étais ! Tout ce que j’y ai jamais gagné, c’est le ridicule dont je me suis couverte.
Elle se leva, marcha vers moi, et se pencha en avant, plantant son regard dans le mien.
_ Tes parents n’ont pas de secrets. Ils sont particulièrement unis, voilà tout. Ca n’étonne que les gens qui n’ont personne, comme moi. Et comme toi, sans doute !
Je ne répondis rien, et tentait de rester impassible, mais j’étais devenue comme un livre ouvert, et je vis dans son regard qu’elle savait qu’elle avait touché juste. M’obligeant à garder une voix égale, j’insistai.
_ Mes parents, et les trois autres, s’ils étaient si unis, pourquoi est-ce qu’ils auraient cessé de se voir les un les autres pendant treize ans ?
Elle me regarda, et une nouvelle lueur passa dans ses yeux.
_ Oh, il y a une raison toute simple, et ça, ce n’est un secret pour personne !
_ Comment ?
Elle marqua un temps avant de répondre, comme pour prolonger l’instant dramatique. Sur son visage, je lus qu’elle allait me faire mal, très mal, et qu’elle en était ravie.
_ Jérémie, dit-elle, n’a pas pu supporter que Yumi et Ulrich réussissent là où lui et Aelita avaient échoué. Qu’ils obtiennent de la vie la seule chose que lui et sa femme n’ont pu obtenir.
J’eus peur de comprendre.
_ Vous voulez dire... ?
_ Je veux dire toi, gamine ! Jérémie est riche depuis qu’il a créé ce logiciel révolutionnaire pour les Américains, et il est mondialement connu. Mais sa femme n’a jamais pur avoir d’enfant. Voilà pourquoi ils se sont éloignés de tes parents. C’était une douleur pour eux, de te voir.
Je me sentis couler dans un gouffre sans fond. Dans ma tête, en désordre, déferla tout un tas d’image, de souvenir, des regards de mes parents, des paroles interrompues devant moi, tant d’indices auxquelles je n’avais pas fait attention jusqu’à présent. C’était à cause de moi. A cause de moi, ils avaient perdu treize ans sans les voir, et maintenant c’était trop tard, elle allait mourir...
Je luttais contre les larmes que le choc m’avait fait venir aux yeux :
_ Pourquoi me faites-vous ça ? Demandai-je. Pourquoi me détestez-vous ? Qu’est-ce je vous ai fait ?
_ Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi n’ai-je pas cette vie-là, moi aussi ? Pourquoi n’ai-je pas un travail qui me plait, un mari qui m’aime, et une fille qui me ressemble ?
Emporté par son élan, elle s’était mise à parler plus fort. Une voix monta de la pièce à côté.
_ Sissi ? Que se passe-t-il, ma chérie ?
_ Rien, papa, répondit-elle sur un ton très différent, doux et rassurant. Ce n’est que la télévision.
Elle se tourna vers moi, et me chuchota :
_ Vas-t-en ! Je ne veux pas qu’il te voit ici.
Que voulait-elle en vérité ? Que son père de ne me voie pas, ou que je ne voie son père ? Parce qu’il était trop tard. J’avais vu. J’avais vu son visage se métamorphoser, son ton se transformer. J’avais compris les paroles du garçon de café « Quand on la voit s’occuper de son père... ».
J’eut soudain de la peine pour elle. Je la vis comme ce qu’elle était, une femme seule, seule, et triste. Une femme qui, au fond, me ressemblait.
Je restai en place.
_ Sissi, chuchotai-je très vite, mes parents ont réellement un secret, un secret que j’ai besoin de savoir, alors je ne bougerai pas d’ici avant que vous m’ayez appris tout ce que vous savez.
Elle me regarda, hésitante, jeta un œil vers la chambre de son père, puis de nouveau sur moi.
_ Tu as gagné, fillette. Attends-moi sur le palier, le temps que je mette mon manteau et que je le prévienne que je sors.

Nous marchâmes en silence. Elle avançait à longue enjambée rapide. Je peinais à la suivre. Elle me conduisit jusqu’au bord du fleuve, jusqu’à un pont, qui conduisait sur une île, une île sur laquelle se dressait un bâtiment qui portait toutes les traces de l’abandon.
_ Sissi, demandai-je, qu’est-ce que c’est ?
_ Une vieille usine désaffectée. Aussi loin que je me souvienne, elle a toujours été abandonnée. Elle l’était déjà, à l’époque du lycée.
Je n’avais jamais entendu dire qu’un bâtiment pouvait rester à l’abandon si longtemps.
_ Pourquoi est-elle encore debout ? Demandai-je.
_ Parce que Jérémie l’a rachetée.
_ Quoi ?
Elle contempla la silhouette de béton gris, et continua, plus pour elle-même que pour moi.
_ L’argent qu’il a gagné en créant son logiciel, il l’a utilisé pour racheter l’usine. Comme ça. Sans raison. Juste pour lui éviter la démolition.
_ Merci, Sissi, dis-je.
Je fit un pas vers le pont.
_ Lynne !
Elle me retint par le bras. Dans son regard, il n’y avait plus d’hostilité, juste une sorte de terreur, comme si elle sentait qu’en me montrant l’usine, elle était allée trop loin.
_ Je crois que tu devrais plutôt retourner voir tes parents. Ils doivent s’inquiéter.
Je dégageai mon bras, et m’éloignait d’un pas.
_ Je ne retournerais voir mes parents que lorsque j’aurais découvert ce qui est si important pour Jérémie dans cette usine. Répondis-je le plus poliment que je pus.
_ Alors, c’est moi qui vais les rejoindre, pour leur dire où tu es.
_ Faites-le.
Je m’éloignais sans me retourner, et avançait sur le pont.

Tout d’abord, je ne vis rien. Juste de la poussière. Un vaste gouffre s’étendait devant moi, beaucoup trop sombre. Je réprimais un frisson. Il fallut quelques minutes à mes yeux pour s’habituer à l’obscurité. Lentement, je me mis à distinguer les contours de la gigantesque salle. Je me trouvais sur une plate-forme, qui dominait un très, très vaste hangar. Les vitres, couvertes d’une poussière noirâtre, ne laissaient plus entrer la lumière. Au-dessous de moi... Mais comment pourrais-je le décrire ? Ce silence, ce noir et cette immensité ! C’était trop sombre pour être une église, trop vaste pour être une tombe, et trop figé, pour être un simple bâtiment en ruine.
Une échelle avait été posée là, pour permettre à l’éventuel visiteur de descendre. Je l’empruntais. En bas, l’air me paru confiné, étouffant, et ma vieille peur du noir se réveillait malgré moi. Je n’avais prévu ni lampe ni briquet, et ne pouvais me fier qu’à la faible lumière du jour pour me guider.
Je fis quelque pas dans la salle cathédrale, mes pas raisonnant sur le sol dallé avec un claquement sinistre, et arrivai devant un vieux monte-charge. L’engin semblait vieux et hors d’usage, mais, malgré la pénombre, je pouvais distinguer des traces dans la poussière. Cette chose avait fonctionné tout récemment, j’en étais certaine.
J’y pénétrai, et appuyait sur le bouton rouge. Le plafonnier de la cabine s’alluma. L’engin se mis à fonctionner et à descendre.
J’aurais dû me sentir inquiète, mais à présent que j’avais de la lumière, je me sentais mieux. J’étais un peu surprise de trouver une machinerie encore en état de marche dans un lieu de telle décrépitude. Mais je me dis que Jérémie avait sans doute fait remettre le mécanisme à neuf.
La cabine s’arrêta devant une gigantesque porte blindée. Je fis la grimace en voyant qu’elle était verrouillée par un digicode. Lentement, je réfléchis. Quand mes parents inventaient un code pour verrouiller leurs cadenas, ordinateurs ou autres, ils avaient un truc particulier, que je n’avais vu faire nulle part ailleurs. Ils soustrayaient les chiffres de la date des chiffres de l’heure à laquelle ils créaient ce code. Ce procédé compliqué m’avait toujours fait rire. A présent, j’étais persuadée d’être devant la porte pour laquelle cette façon de faire avait été inventée.
Je ne savais quand Jérémie était venu pour la dernière fois. A tout hasard, je composai un code créé avec la date et l’heure actuelle. Contre toute attente, la porte blindée s’ouvrit.
Je pénétrai dans une vaste salle ronde, éclairée par des néons verts, qui avaient dû s’allumer au moment où j’entrais. Elle était entièrement vide, avec des murs nus, pas le moindre meuble. Au centre de la rotonde, une espèce de podium, couvert de poussière, dont je ne comprenais pas l’utilité, et tout au fond, un siège, et plusieurs écran d’ordinateurs. Les écrans étaient tous éteints.
Je fis le tour de la pièce, sans parvenir à retrouver la boite mémoire de l’ordinateur relié aux écrans, mais une colonne de fils s’enfonçait dans le sol, me laissant deviner l’existence d’un étage inférieur.
Je retournais dans l’ascenseur. Par chance, le code que j’avais composé semblait me garantir l’accès à tous les étages de ce mystérieux complexe souterrain. Je ré appuyait sur le bouton de commande et m’enfonçait plus profond dans le sol.
A l’étage en dessous, une violente lumière jaune me gifla les yeux, je fronçai les sourcils et observai la salle. Elle était aussi ronde que celle du dessus, encombrées de câbles et d’appareils étranges, mais rien qui ressemble à la mémoire d’un ordinateur.
Devant moi, trônaient trois grands tubes, comme des sarcophages blancs, reliés à des câbles, et encore des câbles qui montaient vers la salle du haut, se répandaient autour d’eux vers les différents boîtiers ou appareils qui étaient là, ou descendaient dans le sol.
C’était très étrange, et très beau, mais ce n’était pas ce que je cherchais. Je retournais dans l’ascenseur.
La lumière de la salle d’en dessous était blanche, très blanche. Cette salle là ne contenait qu’une chose, une espèce de tour, composée de circuits imprimés. Ce truc devait être là depuis des années, mais il semblait flambant neuf.
J’avais trouvé ce que je cherchais.
Je m’avançai et vit dessiné sur l’objet un étrange signe, comme un œil étrange.
_ Xana, je présume ? Murmurai-je pour moi-même. Enchantée. Je suis Lynne.
Soudain, derrière moi, l’ascenseur se referma. J’entendis la cabine qui remontait.
« Déjà ? » M’étonnai-je.
Mes parents venaient me chercher. Sissi avait dû les prévenir. Je n’avais pas beaucoup de temps.
Je fit le tour de l’engin, et trouvai une manette qui devait lui servir d’interrupteur.
Je ne savais rien de la chose que j’avais devant moi, sinon qu’elle pouvait sauver Aelita, tout en faisant courir des risques à d’autres personnes. Mais mes priorités était claires dans ma tête.
_ Je ne laisserais pas mes parents devenir des assassins, dis-je, et surtout pas d’une femme dont ils ont perdu l’amitié à cause de moi.
Je saisis la manette, la relevai, attendis... Rien ne se passa. J’entendis la cabine de l’ascenseur qui redescendait vers moi. Rien de plus. J’avais fait ce que mes parents redoutaient tant de faire. J’avais rebranché Xana.
Je me retournai vers la porte de l’ascenseur. Elle s’ouvrit sur mon père, accompagné de Jérémie.
_ C’est fait, leur dis-je simplement.

Fin de la première partie.

Deuxième partie : Leurs souvenirs.

Dans la vaste salle ronde, sous la lumière verte, Jérémie s’était installé sur le fauteuil, face aux écrans, désormais allumés. J’apercevais, par-dessus son épaule une série de schémas et de chiffres dont je ne comprenais pas le sens. Au centre de la pièce, le podium poussiéreux dont je n’avais pas su déterminer l’utilité projetait une image holographique tri-dimensionnelles, représentant un assemblage de fragments agencés les uns aux autres pour former une sorte de croix à quatre branche.
Mon père faisait les cents pas, près de l’ascenseur, son portable sur l’oreille.
_ Ah, Yumi, enfin... A l’usine !... Oui, nous l’avons retrouvée. Yumi, il faut que toi et Odd vous fassiez sortir Aelita de la clinique, et que vous l’ameniez ici le plus vite possible... Non, c’est Lynne... Elle l’a rebranché, oui ! Venez vite !
A l’autre bout du fil, je devinais que ma mère n’était convaincue. Mon père lui parla de son ton le plus posé.
_ Parce que c’est fait, Yumi ! Lynne l’a fait ! Et nous avons peut-être une chance de sauver Aelita avant qu’« Il » ne se réveille ! ... C’est cela, venez ! Fais-vite, mon amour.
Il raccrocha et tourna les yeux vers Jérémie.
_ Eh bien ?
_ Pour l’instant, « Il » ne bouge pas. Il est resté hors tension pendant vingt ans. Il doit lui falloir du temps pour se reconfigurer.
_ Ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre.
Je les observais sans rien dire, assise contre le mur. Mon père s’approcha et s’accroupit devant moi.
_ Pourquoi tu as fais ça, Lynne ?
_ Qu’est-ce que c’est, ce Xana qui te fait si peur ?
Il soupira.
_ Ne réponds pas à une question par une question, c’est moi qui t’ais appris ce truc. Je te le redemande, Lynne, pourquoi as-tu fais ça ?
_ Sur la photographie... Celle que Maman cachait dans son tiroir...
_ Eh bien ?
_ Aelita avait les cheveux roses, quand elle était ado.
Mon père haussa les épaules, comme s’il ne voyait pas très bien le rapport, mais je le devinais soudain troublé.
_ Et alors, Lynne ? Les adolescents se teignent les cheveux, souvent.
_ Non. J’ai bien observé la brosse à cheveux d’Aelita, à la clinique. Ses cheveux sont teints, mais ils sont teints en blond. Sa couleur naturelle est le rose.
Mon père ne répondit rien, il tourna les yeux vers Jérémie comme s’il espérait son aide, mais celui-ci ne décollait pas les yeux de ses écrans.
_ Qui est réellement Aelita, Papa ? D’où vient-elle ?
Ma question resta suspendue dans le silence. Il ne voulait pas me répondre. Mais, au lieu de les effacer, ce silence, justement, ne fit que souligner mes paroles, prouvant que j’avais touché juste. Il avait beau détourner les yeux, ma question envahissait maintenant l’espace, chaque mur du laboratoire semblait la répercuter.
Puis un grincement, le fauteuil pivota. Pour la première fois depuis que nous étions remonté dans la salles des ordinateurs, Jérémie daigna se retourner vers nous.
Jérémie ne m’était pas sympathique. Il semblait si froid. Si sec. Le voir se retourner me mit mal à l’aise. Je redoutais ce qu’il allait dire. Mais il ne dit rien. Il se contenta de regarder mon père, et mon père le regarda. Je ne put deviner ce qu’ils échangeait, dans ces regards silencieux et prolongés, mais il semblèrent se comprendre. Enfin, Jérémie se retourna vers moi.
_ Viens, Lynne. Je vais tout t’expliquer.
J’hésitai. Le ton m’avait surpris. Étonnamment calme, étonnamment doux. Mais surtout, ce n’était pas le ton d’un adulte s’adressant à un enfant, mais le ton d’un adulte s’adressant à un autre adulte.
_ Approche, dépêche-toi, répéta Jérémie avec humeur. Je ne peux pas quitter ces écrans des yeux.
Je quêtai en direction de mon père un signe ou un geste qui m’indiquerait la conduite à tenir. Mais mon père ne me regardait pas, il regardait toujours Jérémie.
Je m’avançais. Les écrans étaient couverts d’incompréhensibles calculs, d’icônes et de fenêtres qui s’ouvraient et se refermaient.
_ Avant toute chose, me dit Jérémie, tu dois savoir que de tous ceux qui ont travaillé sur le supercalculateur que tu viens de rebrancher, je suis le seul à ne pas avoir péri de mort violente.
Je faillit pouffer de rire. C’était si grotesque ! Si énorme ! Si faussement dramatique, si kitsh, si gothique... Il me fallut quelque seconde pour comprendre qu’il ne plaisantait pas, et quelques autres pour réaliser qu’il n’avait aucune raison de me mentir. Alors, seulement, je commençai à avoir peur. Lui continuait, sans s’interrompre, le fil de son discours.
_Xana, au départ était un logiciel révolutionnaire, conçu pour le projet le plus fou jamais né dans un esprit scientifique. Tout ce que tu as autour de toi, Lynne, ce sont les prémices de la première machine à voyager dans le temps de notre histoire. Le supercalculateur en était l’outil principal, et Xana en était l’esprit.
Mon père s’était placé derrière moi, comme près à me pousser si j’hésitais un temps de trop à marcher vers la vérité.
_ Cela faisait plusieurs année que des scientifique se relayaient dans ce laboratoire, travaillaient à concevoir cette machine dans le plus grand, et le projet touchait à son but. Du dehors, cette usine était une simple usine de sidérurgie. La grande partie des ouvriers qui y travaillaient ignoraient ce qu’il y avait sous leur pied. Je n’ai pas retrouvé les noms de tous ces scientifiques, mais je connais ceux de la dernière équipe. Théodore Blaise, Joachim Presvault, Ingrid Kiepelstein.
_ Ces noms ne me disent rien, dis-je, pourquoi vous attarder à me les donner ?
_ Je voulais te parler d’Ingrid Kiepelstein. Elle avait à peine une vingtaine d’année quand on commença à la faire travailler ici. C’était une surdouée, orpheline de surcroît, qui avait subsisté pendant des année en piratant les ordinateur des banques pour verser quelques centime de chaque compte dans son propre compte. Il avait fallut un vrai coup de chance à la police, pour arriver à la pincer. Elle aurait dû aller en prison, mais le gouvernement l’avais repérée, et trouvée particulièrement douée. Sa condamnation fut donc de travailler ici, sur ce projet. Je doute qu’elle s’y soit sentie bien, et que son travail l’ai vraiment passionnée. Cela justifierait en tout cas ce qu’elle fit durant son séjour ici. Pendant que ses collègue effectuaient les dernier réglage de Xana, elle, elle se servit de la mémoire du supercalculateur pour concevoir et stocker un programme exceptionnel, tout un monde virtuel et idéal, qu’elle nomma Lyoko. Et pour vivre dans se monde virtuel, elle créa un double d’elle même, une représentation de tout ce qu’elle voulait être, une âme parfaite, douée de volonté et de sentiment propre. Elle nomma cet être parfait Aelita.
Je sursautai.
_ Vous vous fichez de moi ! Aelita n’est pas un programme informatique.
_ Ecoute l’histoire jusqu’au bout, Lynne, me dit mon père, c’est préférable.
J’obéis et me calmais. Jérémie continua :
_ Le monde virtuel dans lequel évoluait Aelita n’était pas une simple succession de paysage enchanteurs. Il contenait des tours qui, en réalité, représentaient des banque de donnée, des liens vers d’autres programmes, des ouvertures sur l’internet. Grâce à ces tours, Aelita pouvait communiquer avec le monde réel et l’étudier. Bien sûr, les deux collègues d’Ingrid ignoraient tout de sa création. Ils étaient sous pression, le gouvernement était en train de se désintéresser du projet, il leur fallait des fond, ils touchaient au but mais étaient retardé pour des questions d’argent. Dans un grand mouvement de désespoir, Théodore Blaise décida de tenter une expérience pratique pour convaincre les investisseurs. Ses collègue jugèrent que le logiciel n’était pas près, mais Blaise ne voulu rien savoir.
Ils tentèrent donc l’expérience et... Ce fut un désastre.
Il s’interrompit un instant, sa voix s’était légèrement troublée, puis repris :
_ Xana n’était pas près à être mis en fonction. Son programme bogua. Le bogue atteint Lyoko, et Xana se mit à avoir une volonté propre, comme Aelita. Mais contrairement à l’être qu’Ingrid avait créé, Xana n’éprouvait ni sentiment ni compassion, à peine se fut-il réveillé qu’il avait choisi le but de son existence. Détruire.
Je ne savais pas où cette histoire me mènerait, je ne savais même pas si je voulais ou non y croire, mais je l’écoutais avec passion. Tout cela était insensé, digne des plus mauvais films de science fiction, mais Jérémie ne plaisantait pas. Il était sincère et me racontait ce qui, pour lui, était la vérité.
_ Xana s’empara de Lyoko. Il prit le contrôle d’une des tours et s’en servit pour se glisser dans les réseau de l’usine. Il déclencha la fermeture et le verrouillage des issues, et déclencha un incendie dans la salle des machines. Il tenta de s’emparer aussi d’Aelita, mais elle avait été si bien conçue qu’il était impossible de la pirater. Elle trouva, sur Lyoko, la tour que Xana avait activée, y pénétra et la désactiva. Aussitôt, le retour dans le temps qui avait échoué durant l’expérience se déclencha automatiquement, tout s’effaça, l’usine ne garda aucune trace de l’incendie. Mais ceux qui étaient morts dans les flammes ne revinrent pas à la vie. Même un retour dans le passé ne peux ramener les morts à la vie.
Il se tut, comme fatigué de ce récit difficile. Il fallut que j’insiste.
_ Et ensuite ?
_ Ensuite ? Pendant huit ans, Xana travailla à éliminer tout ceux qui connaissaient son existence et pourraient lui faire du mal. Et Aelita, elle, travailla à l’en empêcher. Xana peupla Lyoko de monstres à sa solde, contre lesquels elle n’avait d’autre recours que la fuite, mais elle rusa et parvenait toujours à désactiver les tours. Mais si quelqu’un avait été tué, le retour vers le passé ne le ramenait pas. J’ai découvert par la suite que tous les scientifiques dont je peut supposer qu’ils ont travaillé sur le projet Xana sont morts dans des circonstances indéterminée... Bref, huit ans passsa, et au bout de huit ans...
_ Nous sommes intervenus, acheva mon père pour lui.
Jérémie eut un sourire, son premier depuis que je l’avais rencontré.
_ Tes parents, Odd et moi... Je ne sais plus pour quelle raison nous sommes allés dans l’usine. Ca devait être un pari, ou je ne sais quoi. Toujours est-il que nous sommes tombés sur le labo par hasard, et Aelita est entrée en contact avec nous. D’abord, nous avons cru à une blague. Mais nous nous sommes vite rendu compte que ce n’en était pas une. Elle disait qu’elle n’arrivait plus à lutter, qu’il était trop fort. Elle nous suppliait de le débrancher avant qu’il attaque de nouveau. Et là, ta mère, qui était la plus réfléchie d’entre nous, a demandé « Et, toi ? ». « Moi, a répondu Aelita, je disparaîtrais en même temps que lui. »
J’avais pénétré dans le récit. J’étais devenu eux. Je pouvais concevoir leur réaction, découvrant le laboratoire, et communiquant avec un programme informatique doué de pensée. Je pouvais aussi concevoir leur sentiment quand cette créature leur avait demandé de la sacrifier. N’avais-je pas moi-même couru, contre le gré de mes parents, pour lui offrir une chance de vivre.
_ Alors, murmurai-je, vous l’avez faite sortir de l’ordinateur en lui créant un corps.
Une partie de moi-même refusait de croire à ce que je disais. L’autre reconstituait lentement la suite de l’histoire sans se demander ce qui était possible ou pas. Jérémie me regardait, un peu surpris.
_ C’est cela. Ca a été plus long à faire qu’à dire, mais c’est ce qui c’est passé.
C’est une chose étrange que de s’entendre confirmer les absurdité auxquelles on pensait. Je tentais de trouver un compromis entre ma raison et mon esprit.
_ Comment avez vous fait ?
Mon père se mit soudain à rire. Un rire nerveux, incontrôlable.
_ Lynne, au nom du Ciel, ne pose pas des questions pareilles ! Il serait bien capable d’essayer de te répondre !
Jérémie souriait aussi, et je crois que le rire de mon père lui faisait du bien. Il ne l’avait pas entendu depuis treize ans, ce rire. Comme il avait du lui manquer !
_ J’ai bien essayé d’expliquer à tes parents et Odd le fonctionnement de la matérialisation, mais ça leur a donné mal à la tête. Disons, que grâce aux scanners qui sont dans la salle du dessous, j’ai réussi à transformer les particules virtuelles qui composait Aelita dans Lyoko en particules réelles. Tu comprends ?
_ Non, répondis-je.
_ Le contraire m’aurais surpris.
_ Et maintenant, continuai-je, vous allez la remettre là-dedans.
_ Pas longtemps, juste pour la matérialiser dans un nouveau corps, qui ne sera pas malade.
_ C’est tout ?
_ C’est tout.
Le silence tomba dans le labo. Tout avait été dit. C’était à moi, à présent, de choisir si je voulais ou non croire à cette histoire. J’étais sur le seuil et hésitait à faire le pas décisif de l’ombre à la lumière. Je regardais encore Jérémie, puis mon père. Ils n’ajouteraient rien de plus, ni l’un, ni l’autre. C’était ma décision.
_ J’ai besoin de sortir, murmurai-je.
Mon père m’emmena par l’épaule, sans mot dire, jusqu’à l’ascenseur.

L’air frais du dehors me revigora. Je ne savais toujours pas si je croyais ou non à l’histoire qu’on m’avais raconté. Elle bousculait toutes mes certitudes, toute mes connaissances sur l’espace et le temps.
_ C’est dur, n’est-ce pas ? Murmura mon père.
Il aurait pu me faire des reproches. J’avais désobéi, je m’étais enfuie, et j’avais déclenché quelque chose qui pouvaient avoir de graves conséquences. Mais il ne chercha pas à m’en faire. A nouveau, j’eu ce sentiment qui m’avait déjà effleuré dans le laboratoire. Quelque chose avait changé entre nous. Je ne serais plus jamais sa petite fille, mais une jeune fille, une adolescente...
_ Oui, c’est dur, répondis-je.
Je crois que si ma raison résistait avec tant d’obstination à tout ce que j’avais appris, c’est parce que j’était terrifiée à l’idée que le temps ne soit plus immuable, que le solide ne soit plus solide, et que des chose comme créer un corps à partir de particules virtuelles ou revenir dans son passé soient possible.
_ Est-ce qu’on s’habitue ? Demandai-je.
_ Je ne sais pas. Moi, je n’ai jamais vraiment pu m’y faire. Ta mère et Odd, eux, semblaient accepter ça avec plus de facilité.
_ Je crois que je tiens plus de toi que de Maman, finalement. Dis-je.
Je me rendis compte que je tremblais, maintenant. Mon père passa un bras apaisant autour de mes épaules.
_ Chut ! Ce n’est rien. Tu as reçu un choc important ! On ne va pas attendre de toi que tu encaisses tout ça sans mot dire !
_ Papa, pourquoi tu ne me reproches rien ?
_ Parce que je n’ai pas de reproche à te faire. Tu as pris une responsabilité difficile en rebranchant Xana. Une responsabilité dont tu porteras le poids toute ta vie. C’est toi qui aurais des reproches à me faire, plutôt. Tu n’aurais pas eu besoin de faire ce que tu as fais si ta mère et moi n’avions pas empêché Jérémie de le faire à ta place.
_ Oh, Papa...
Je sautai à son cou et me mis à pleurer. Il n’était pas dans mes habitudes de donner des démonstrations d’affection, mais je ne pouvais pas m’en empêcher, j’en avais besoin, et puis... Et puis, je sentais que se serait la dernière fois, qu’il ne serait plus possible désormais de nous étreindre comme ça, parce que j’avais commencé ma métamorphose, que j’était en train de cesser d’être une fille pour devenir une femme.
Nous restâmes comme ça quelque minutes. Puis son portable sonna. Il décrocha.
_ Jérémie ? Comment ? Tu es sûr ?
Je le vit s’affaisser, mais le ton de sa voix resta le même ton autoritaire et déterminé. Je fut saisie d’une angoisse sourde.
_ Bon, calme-toi et essaye de localiser la tour activée. Moi, je file au collège, c’est certainement là qu’il frappera en premier.

Je suivais mon père sans trop savoir vers quelle genre d’histoire il m’emmenait. Je ne savais pas ce qui allais se passer, maintenant, mais je savais que ça allait être grave. Mon père n’avait pas menti. Si quelque chose devait arriver maintenant, j’en porterais la responsabilité toute ma vie.
Le collège Kadic était une vaste et imposante bâtisse, dont les pierres avaient certainement vu un siècle passer. Le parc qui l’entourait était gigantesque, comme un domaine seigneurial, ou presque. C’était l’heure de la pause déjeuner. Nombre d’élèves s’ébattaient dans la cours, riant, criant, se disputant, jouant au foot. Une cour ordinaire d’un collège ordinaire.
Tout était tellement ordinaire, autour de moi. Tout niait tellement l’existence de ce que je savais, ce que j’avais déclenché.
Mon père tapa à la vitre du gardien.
_ Qu’est-ce que c’est ? Fit une voix à l’intérieur.
Quelque seconde après, un homme au crâne dégarni jaillit de la loge. Mon père lui montra sa carte professionnelle.
_ Police ! Excusez-moi de vous déranger, mais je dois voir le directeur de toute urgence.
_ C’est que... Madame la directrice est très occupée...
_ C’est important ! J’ai tout lieu de croire que votre établissement vas être la cible d’un attentat terroriste d’ici peu. Il faut faire évacuer le collège de toute urgence.
L’homme regarda mon père, et vit qu’il était sérieux.
_ Je... Je viens vous ouvrir. Dit-il.
Mon père remit sa carte dans sa poche. Comme il mentait facilement ! Je ne l’avais jamais vu mentir avec une telle aisance. Je réalisais que pour lui, tout cela était de la routine. Combien de fois avait-il du inventer des prétexte pour faire vider le collège au moment où le danger menaçait ? Je découvrais la sensation du sang qui bats aux tempes sans s’arrêté, lui, il la retrouvait, comme une vieille habitude...
_ Comment faisiez-vous, demandai-je, quand tu n’avais pas de carte de la police ?
_ On se débrouillait. Tu vas m’attendre là, Lynne, je serais plus crédible si j’ai l’air d’être en service. Je vais te demander de rester sur le trottoir d’en face, et quoi qu’il arrive, de ne pas entrer dans le collège.
Je hochais la tête et allais attendre sur le trottoir d’en face. Je vis mon père entrer dans le bâtiment et attendit. J’attendit comme jamais je n’avais attendu. Il me sembla que jusqu’à cette minute, je n’avais jamais vraiment su ce que signifiait le verbe attendre.

Beaucoup de chose avaient changé dans ma vie depuis la veille. Ma journée d’hier me paraissait vague et lointaine, et tout ce qui me blessait alors me semblait à présent plus futile que des coups d’aiguillons. Pour la première fois, je savais réellement ce que c’était de craindre pour quelqu’un qu’on aime. Tout ce que j’avais ressentit jusque là, ou cru ressentir, n’était que des caprices d’enfant, sans rapport avec la peur, la vraie sainte trouille qui me prenait au ventre à ce moment-là.
Après un temps qui me parut une éternité, j’entendit l’alarme à incendie du collège se mettre à sonner. Les professeurs descendirent dans la cours et rassemblèrent leur classe, qu’ils conduisirent en rand par deux vers la sortie.
Derrière, je vis arriver mon père, avec la directrice. Cette dernière parcourut d’un air inquisiteur la masse des élèves rassemblé, et se tourna vers les professeurs :
_ Tout le monde est bien là ? Personne n’est resté ?
Un professeur, le visage inquiet, intervint :
_ Madame la directrice, il me manque le petit Benoît Giraudeau de la 6°A. Impossible de le trouver !
_ C’est un petit solitaire, expliqua la directrice à mon père. Pendant les récréation, il a la manie de se faufiler dans sa chambre et d’écouter la musique à fond avec un casque ! Il n’a pas dû entendre la sonnerie !
_ Il faut aller le chercher ! Dit mon père.
Mais la directrice n’eut pas le temps de lui répondre. Un bruit long, lourd, sourd et continue comme un roulement étouffé couvrit tous les autre sons. Je vis les regard de mon père, de la directrice, des professeurs et de élève se tourner tous ensemble vers l’intérieur du collège. Je grimpait sur le muret près de moi, et aperçut, au centre de la cours...
Comment décrire cette chose ? C’était immobile et énorme. Ca n’avait ni forme ni couleur. Oui, vous avez bien lu, j’ai bien dit « ni forme, ni couleur ». Le soleil se réfléchissait sur la surface luisante de l’immense masse, dont les contour ne cessait de remuer. La chose resta figée au milieux de la cours un moment, puis elle se mit en mouvement. Elle pris une forme serpentine, et s’abattit avec une violence incroyable sur la façade du bâtiment principal défonçant murs et fenêtres. C’est en entendant le bruit que je compris que cette chose était constituée d’eau, d’eau mouvant selon sa volonté propre, échappant aux lois de la gravité et de la densité, d’eau se déplaçant sans l’aide du moindre récipient. Les murs du bâtiment commençait déjà à s’écrouler quand une deuxième masse sortit du parc cet se jeta, tout aussi sauvagement que la premières, sur le réfectoire.
Mon père fut le premier à retrouver ces esprit. Il saisit le bras de la directrice :
_ Le numéro de chambre du petit Giraudeau, vite !
_ 117, mais...
Sans attendre plus de précision, mon père lui lâcha le bras et se précipita dans la cours.
_ Inspecteur ! Appela la directrice.
_ Papa ! Hurlai-je en écho.
Mais il était déjà passé derrière les horribles masses, et avait pénétré dans le bâtiment des dortoirs.
Je quittai mon muret et m’élançais derrière lui. Un bras me retint juste à la grille.
_ Hep ! Ou allez-vous !
Au comble de la panique, je vis une troisième masse sortir du parc.
_ C’est mon père ! Criai-je avec désespoir, comme si ça pouvait convaincre le professeur de me lâcher.
Alors, comme si mon cri l’avait alerté, la chose au milieu de la cours s’immobilisa soudain. Puis, comme au ralenti dans un mauvais film d’horreur, l’énorme masse d’eau se mis en mouvement vers l’endroit où nous nous tenions, moi, le professeur, et toute l’école.
Nous mîmes quelques secondes à réaliser ce qui ce passait. J’entendis d’un seul coup les collégiens se disperser en hurlant derrière moi. Je restai figée, incapable faire un mouvement. Je vis, derrière la chose, mon père qui jaillissait du dortoir, tenant le petit Giraudeaux par la main. Il cria mon nom, mais je ne pouvais lui répondre, mon corps était devenu comme de la pierre, je ne souhaitais qu’une chose, que cette masse informe m’atteigne enfin et que tout soit fini.
Le professeur qui m’avait saisit par le bras m’entraîna. Je me laissait tirer au loin, dans la rue. Du coin de l’œil, j’aperçut la masse d’eau qui, négligeant les collégiens qui s’éparpillaient au loin, tourna dans ma direction et gicla sur mes talons.
Des éclaboussure m’atteignirent, je hurlai, elles étaient brûlantes.
Le professeur qui me guidait trébucha et tomba, je continuai à courir. En regardant par dessus mon épaule, je vit que la masse d’eau continuait à me poursuivre, négligeant le professeur. Je longeais toujours le mur d’enceinte du collège. Sans réfléchir, je l’escaladai, sautait par dessus et atterrit dans le parc. Je m’était fait mal au pied en tombant, mais je n’y pris pas garde et me remis à courir, à courir sans m’arrêter, jusqu’à ce qu’une main me saisisse l’épaule. Je hurlai.
_ C’est moi, Lynne ! Dit mon père.
Il regardait le mur par lequel j’étais arrivée. La chose commençait déjà à le défoncer.
_Papa, pourquoi est-ce que ce truc s’en prend à moi ? Demandais-je, au bord de la crise de nerf.
_ Il te prends pour Yumi, répondit mon père. Il n’a pas réalisé que le temps avait passé, il cherche encore les adolescents que nous étions.
C’est à ce moment-là que je réalisai vraiment que quand les gens disent que je ressemble à ma mère, ce n’est pas une simple formule de politesse.
_ Par ici, dit mon père.
Je me laissait guider. J’aperçut au loin les ruines du collège, les eaux folles n’avaient pas mis longtemps à le détruire entièrement. Il m’entraîna au centre du parc, au pied d’un chêne, et souleva une plaque d’égout. J’aperçut une échelle qui s’enfonçait dans le sol.
_ Descends, vite !
Je me laissait glisser en bas. En quelque seconde, j’appréhendais l’endroit où j’étais arrivée, un long tunnel d’égout, mais là où aurait dû couler un canal souterrain, il n’y avait qu’une fosse vide. Je posai le pied sur le trottoir qui était là, et relevai la tête. Mon père n’eut que le temps de rabattre la plaque d’égout sur lui avant que la masse d’eau ne s’y écrase. Le choc lui fit perdre l’équilibre, il bascula et, après une chute qui me parut interminable, vint s’écraser sur le sol. J’entendis un horrible bruit de craquement. Il hurla. Je me précipitai.
_ Papa ! Ca va !
_ Non, je crois que je me suis cassé la jambe !
Sa jambe faisait un angle inquiétant. Il la regarda rageusement.
_ C’est pas le moment ! Ta mère et Odd vont avoir besoin d’aide !
_ Je vais chercher du secours, dis-je.
_ Non. Ca prendrait trop de temps, et Xana va te poursuivre. Écoute, je ne suis plus utile à rien avec ma jambe dans cet état. Il va falloir que tu me remplaces. Tu vas retourner à l’usine.
_ Je ne te laisserais pas, m’écriai-je, terrifiée à l’idée de ce qui pourrait lui arriver dans cet égout.
_ Oh, si, Lynne, tu vas le faire. Je m’en sortirai mieux si je n’ai pas à veiller sur toi. A l’usine, par contre, tu pourras être utile. Tu vas suivre ce tunnel, et aller tout droit jusqu’à ce que tu arrive au fleuve. Là, tu trouvera une échelle qui te menera juste sur le pont devant l’usine.
_ D’abord, je dois te trouver un médecin.
_ Non, Lynne. Maintenant que l’attaque est lancée, le plus urgent est qu’Aelita désactive la tour. Tu as entendu ce que t’as raconté Jérémie ? S’il y a un seul mort, aucun retour dans le temps ne le fera revenir. Vas !
Je compris alors qu’il fallait que je lui obéisse, que des vies étaient en jeu.

Je suivis le tunnel déserté par les eau et arrivait au fleuve. Il y avait la une grille, par la quelle l’eau du fleuve aurait du pénétrer dans l’égout et l’eau de l’égout dans le fleuve. Mais l’égout restait sec, et l’eau du fleuve ne traversait pas plus la grille que si elle avait été une cloison étanche. Je remontai l’échelle et arrivais devant l’usine, sur le pont. Je me tournai vers le fleuve. C’était hallucinant. Des golems d’eau, semblable à ceux qui avaient attaquer le collèges jaillissaient du fleuve et se répandaient dans la ville.
_ Ah ce rythme là, il ne restera bientôt plus un seul mur debout.
Je songeai à Sissi, et à son père. Comment le mettrait-elle à l’abri ? Je n’avais pas de temps à perdre.
Quand j’arrivai dans le laboratoire, Jérémie était toujours devant son écran, tel que je l’avais laissé, mais il avait un casque sur les oreilles et un micro.
_ Yumi ! Disait-il. Cinq Block à onze heure. Odd plus que cinquante point de vie !
_ Heu... Jérémie ? Risquai-je timidement.
_ Ah, Lynne ! Ton père m’a appelé pour me prévenir. Descends à la salles des scanners.
_ Des scanners ? Répétai-je, sans comprendre.
_ Il ne t’as rien dit ? Ah, c’est Ulrich tout craché, ça ! Bon, descends, entre dans un scanner et attends, je t’expliquerais une fois que tu seras arrivée.
_ Arrivée où ?
_ Eh bien... Aïe, non, Yumi, il t’as touchée !
_ Vous m’expliquerez ! Dis-je en me précipitant dans l’ascenseur.
Je le vit me lancer un sourire de reconnaissance par-dessus son épaule. Je ne savais pas où était ma mère, mais elle était en danger. Ca me suffisait. J’étais prête à faire tout ce qu’il me dirait sans poser de question. Peut importe si j’avais ou non raison de lui faire confiance. J’arrivais au deuxième sous-sol et vis que la porte d’un des trois grand sarcophage blanc était ouvert. Je pénétrais à l’intérieur.
_ Lynne, fit la voix de Jérémie dans un haut parleur, es-tu en place ?
_ Oui, répondis-je.
Je vis alors les deux grande portes blanches du sarcophages se refermer sur moi. Et à nouveau, une sombre angoisse me prit. Qu’allait-il m’arriver ?
_ Transfert Lynne, annonçait la voix de Jérémie dans le haut-parleur.
Je vis alors s’élever du sol des dizaines particules lumineuses, tandis qu’un souffle d’air chaud me remontait le long du corps, faisant voler mes cheveux.
_ Scanner, continua Jérémie.
Le souffle devint soudain plus fort, je sentis lentement mes pied qui se détachaient du sol et je me retint de résister à ce mouvement. Je flottais maintenant entre ciel et terre, au milieu du scanner.
Puis, soudain, un flash, tandis que la voix de Jérémie achevait :
_ Virtualisation !

C’est la sensation la plus bizarre que j’ai jamais ressenti. Tout mon corps s’effaça, ainsi que les parois du scanner et l’air autour de moi. Ma vue se brouilla un instant, mes tempes vibrèrent au son de se qui ressemblait à un battement de cœur, puis ma façon d’entendre se modifia, comme si les son pénétrait directement dans mon esprit. Je voulu bouger, mais je ne sentit plus ni mes bras ni mes jambe, ni ma peau, ni mes cheveux, plus rien. Puis ma vue me revint, différente elle aussi, comme si les image s’imposait directement à ma pensée. Je vis apparaître un décors fantasmagorique. De vastes étendues de sols sablonneux éparse, flottant au milieu d’un ciel rouge, et parsemée de roches orangée. C’était immense, illogique, inimaginable. J’atterris sur un plateau, ou plutôt je me vis atterrir sur un plateau, car je ne sentis pas ma chute.
_ Jérémie, appelai-je.
J’entendis le son de ma voix, mais je ne sentit pas mes lèvre remuer, ni ma bouche vibrer au son. Il n’y avait plus de salive dans ma bouche, je ne pouvais même plus être sûre d’avoir une bouche, d’avoir un corps solide.
_ Lynne, tu me reçois ? Fit la voix de Jérémie.

Flash.
21h30, impossible de dormir. C’est demain, le grand jour. Demain, elle sera là, elle dînera avec lui. Il faut qu’il se repose, ce serait bête d’avoir des cernes sous les yeux leur premier jour. Mais non, vraiment impossible.
Il quitte son lit et se dirige vers son bureau. S’assoit devant son ordinateur, l’allume.
_ Eh, Aelita, tu dors ?
Le temps de charger l’image, et la voilà, gaie, souriante :
_ Si je dors ? Enfin, Jérémie, tu sais bien que les créature virtuelles ne dorment pas !
Comme elle est belle !
.....

_ Lynne, réponds-moi ! Ca ne va pas ?
_ Je vous entends, Jérémie.
J’avais mal à la tête. Enfin, façon de parler. C’était une sensation étrange. Je ne sentais pas mon corps, et pourtant j’avais mal. Ce n’était pas un mal physique, mais mental. Tout en moi était mental, mes mouvements, mes paroles... Je réalisai alors ce qui m’était arrivé. J’étais... virtuelle.
_ Je suis sur Lyoko ? Demandai-je tout haut.
_ Oui, dis Jérémie. Et tu as l’apparence dictée par ton subconscient à l’ordinateur.
Je regardais mes mains. Elles étaient armées de longue griffes acérée et tout mon corps était recouvert d’écailles bleues.
_ Alors, murmurai-je, mon subconscient m’imagine en femme-serpent. Charmant.
Un bruit se fit soudain entendre derrière moi. Je réagis sans avoir le temps de réfléchir. Je me retournai et une gigantesque boule de feu jaillit de ma main, allant fracasser un rocher rouge qui se trouvait là.
_ Eh, calme ! S’écria Odd. Ce n’est que moi.
Par bonheur, il avait eu le réflexe de rouler sur le coté. En le voyant, je ne pus me retenir d’éclater de rire. Il était mi-homme mi-chat, tout svelte, et bleu, et agile. Une longue queue remuait derrière lui, et ses mains, comme des coussinets de félin, étaient armée de petites griffes. Par dessus, il avait toujours le même visage, ce visage qui paraissait toute les semaines à la couverture d’un magasine. Cette fois, j’avais atteint le fond de l’absurdité et du non-sens !
_ Quelle allure vous avez !
_ Non, mais tu t’es regardée, toi, miss « Peau de serpent » !
Venant de mon idole de toujours, cette phrase aurait dû me blesser, mais je ne pouvait plus m’arrêter de rire. Il semblait que les fous-rires nerveux soient encore possibles sur Lyoko. La voix de Jérémie nous rappela à l’ordre.
_ Dites, les deux comiques ! Aelita et Yumi sont prises dans un feu croisé, il serait bon d’aller les voir !
_ Heu, oui, patron, dit Odd. Viens, gamine, suis-moi !
Je le suivit, sans discuter, en tentant de retrouver mon calme. J’étais au-delà des questions à présent.
C’était étrange. Courir était facile, sans les sensation d’essoufflement et de fatigue qui l’accompagne dans la vie réelle.
Autour de nous, le désert numérique s’étendait, immense. D’étranges sons me parvenais, comme des grésillement de télé mal réglée.
Odd m’expliquait tout pendant que nous courrions.
_ Nous sommes là pour détruire les monstres qui empêchent Aelita d’accéder à la tour. Ils sont armés de lasers, et s’ils nous touchent trop souvent, nous retournons dans la réalité. Mais ça, ce n’est pas grave. Si Aelita se fait trop toucher, elle, elle meurt.
_ Et pour tuer un monstre ?
_ C’est simple, il faut frapper sur le symbole dessiné sur leur corps. Ca les fait exploser.
_ C’est tout ? Ce n’est pas difficile.

_ Parles pas trop vite. Cette fois, Xana a trouvé un système de brouillage. Jérémie n’arrive pas à localiser la tour infestée. Nous sommes obligés de progresser en aveugles, et ces sales bêtes ne nous lâchent pas !
Nous arrivâmes au sommet d’une falaise. Je vis en bas ma mère et Aelita au milieu de reliefs dressés en rangée comme un mégalithe. Elles étaient entourées de drôle de créatures en forme de cube. Ma mère n’avait pas, comme moi, subit de métamorphose flagrante. Elle était habillée à la mode Japonaise et arrêtait avec un éventail les tirs de laser que les monstres dirigeaient vers Aelita. Aelita, elle, avait retrouvé ses cheveux courts et rose d’adolescente, et ses oreilles étaient en pointe. On aurait dit une extra-terrestre.
Odd et moi nous laissions glisser jusqu’au pied de la falaise, tandis qu’elles s’éloignaient des créatures pour s’abriter derrière les monolithes. Soudain, je vis ma mère porter ses mains à ses tempes. Aussitôt l’un des rochers qui se dressaient devant elle se détacha du sol. Je saisis le bras de Odd.
_ Comment fait-elle ça ?
_ C’est son pouvoir spécial sur Lyoko. La télékinésie.
_ Son pouvoir spécial, répétai-je.
_ Oui, tu en as un, toi aussi, mais on ne saura pas lequel avant qu’il ne se manifeste. C’est ton subconscient qui l’a déterminé comme tout le reste.
Le rocher qui flottaient dans les airs s’abattit sur deux des créatures qui menaçaient Aelita. Il en restait encore trois.
_ N’oublie pas, me cria Odd, vise le symbole sur leur ventre.
Il bondit, un très gracieux saut périlleux digne d’un champion athlétique et cria : _ Flèche Laser !
Une flèche jaillit de son poing tendu et alla s’écraser sur la carapace du monstre, manquant le symbole de quelque centimètre. Mais déjà je m’étais élancé. J’avais cessé de réfléchir. Tout ce que je fis, je le fis d’instinct, chaque geste me semblait d’une évidence absolue.
Je lâchais une boule de feu vers la chose en forme de cube que Odd avait manqué, fondit sur l’autre et enfonçait mes griffe dans son ventre, là où était dessiné le drôle de symbole que j’avais déjà vu sur le supercalculateur. Le premier explosa dans mon dos. Le second ne tarda pas à le suivre.
_ A ta droite, Lynne ! Cria Jérémie dans son micro.
Je tournai la tête. Le troisième cube s’était immobilisé à quelque mètre de moi. Son ventre s’illuminait.
_ Il va te tirer dessus, me cria Odd. Plonge !
Je plongeait sur le coté. Le rayon de feu passa à quelque centimètre.
_ Flèche laser ! Cria Odd.
Je vis le troisième cube exploser. Aelita et ma mère sortirent de leur abri pour nous rejoindre.
_ Pas mal du tout, fillette, me dit Odd en posant la main sur mon épaule. Du vrai concentré de Yumi et d’Ulrich !

Flash.
Quatre Block, deux contre lui, deux contre Yumi. Non, cinq, en voilà un autres, qui arrive. Non, Ulrich a réussi à le détruire.
_ Odd, conduit Aelita à la tour ! Crie Ulrich. Yumi est en difficulté !
« Ca m’aurait étonné, qu’il ne fasse pas passer sa chère Yumi avant tout le monde! »
Il bondi par dessus les deux Blocks qui l’assaillent, tirant une flèche laser et en détruisant un au passage. Une galipette, une autre flèche, encore un block de moins.
_ Aelita !
Il court vers l’humanoïde, cachée derrière un bloc de glace. Celle-ci jaillit de son abris et court vers lui.
_ Accroche-toi, princesse. Il va y avoir du sport !
Ils se précipitent tous les deux vers la tour, où les attendent deux nouveaux Blocks en faction.
_ Odd, dit la voix de Jérémie dans ses oreilles, deux autres Blocks arrivent face à toi.
« C’est maintenant qu’il les voit, faudrait qu’il se réveille, l’Einstein ! »
_ T’inquiète, c’est vu ! Aelita, mets-toi à l’abri deux secondes... Humpf !
Il bondit. Les tir ennemis fusent. Il pirouette dans les air pour les esquiver.
_ Flèche laser !
Détruits tous les deux. Et par lui tout seul !
_ Ouais ! Et la foule acclame le vainqueur ! L’émotion est à son comble ! Le public est en délire, il applaudit à tout rompre, c’est le triomphe !
_ Odd ! Odd ! Hurle Jérémie dans le haut parleur. Odd, arrête ton cirque, y a un troisième Block !
_ Hein ? Un troisième ? Où ça ?
Une étrange sensation de picotement, étrange parce qu’elle n’a rien de corporelle le prends.
_Odd ! Crie Yumi, qui vient d’arriver, enfin débarrassée de ses adversaire.
Touché ! Touché et humilié !
_ Oh non ! Fait Jérémie dans le haut parleur. Odd ! T’as perdu trop de pointe vie !
La fureur le prend tout entier. Il roule sur le côté et s’accroupit sur ses pattes, et aperçoit le block fautif. « Ça, tu vas me le payer mon vieux. »
_ Odd ! Qu’est-ce que tu fait ?
Il s’est relevé, et se précipite vers le block restant.
_ Odd ! Mets-toi à couvert ! Tu prend trop de risque !
Plus que quelques mètre, le ventre du Block se met à luire, il s’apprête à tirer.
_ Odd ! Un impact et t’es fini ! T’as plus que dix points de vie ! Dix !
Le Block tire. Il évite le laser en se laissant tomber sur les genoux
_ Dix, répète-il en glissant sur les genoux sur le sol de glace, c’est largement suffisant !
Il lève le poing, près à tirer. « Toi, mon vieux, tu vas morfler grave !»
...

_ Lynne, tu m’entends ? Ca va ?
A nouveau cette sensation d’avoir mal sans avoir mal, de douleur de l’esprit. Ma mère me regardait inquiète.
_ Lynne, qu’est-ce qui se passe ?
_ Je viens d’avoir une sorte de vision... C’est la deuxième fois que ça m’arrive depuis que je suis sur Lyoko.
_ Une vision, répéta la voix de Jérémie dans le haut parleur, ce doit être ton pouvoir spécial qui se manifeste.
_ Concentre ta pensée sur l’espace, me conseilla Aelita. Tu retrouveras plus facilement tes esprits.
Je fit ce qu’elle me disait et me concentrai sur le vaste décors que j’avais aperçut en arrivant. Je me sentais mieux.
Odd me regardais, intéressé.
_ Tu as des flashs d’anticipation, comme moi ?
_ Non, c’était le passé. Vous étiez jeunes... Il y avait un troisième block que vous n’aviez pas vu. Il vous a touché ! Et la première fois, j’ai vu Jérémie, jeune, qui parlais à Aelita. Elle n’était pas matérialisée encore.
_ Ben bravo, fit Odd avec une moue, ça ne nous avance pas à grand chose, ton don spécial. On le connaît, notre passé. C’est pas avec ça que tu feras fortune sur les champs de foires!
_ Je crois que j’ai compris, dit soudain ma mère.
Elle me semblait différente de d’habitude, pleine d’une énergie nouvelle, comme si elle avait rajeunie de vingt ans. Ce qui d’ailleurs était probablement le cas. Non qu’elle ait été contente de la tournure des événement, mais être à nouveau entourée des amis qu’elle avais perdu de vue pendant si longtemps lui faisait du bien. Son regard pétillait comme jamais. J’eu le sentiment de la découvrir pour la première froid, comme si, toutes ses année, elle s’était cachée sous une carapace sévère et austère, me dissimulant sa vraie personnalité.
Elle se tourna vers Odd.
_ A quoi pensais-tu, en touchant l’épaule de Lynne ?
_ Je me disais que c’était tout à fait moi à son âge.
_ C’est cela, et tu as eu ce souvenir, que Lynne a perçu. Ton pouvoir, Lynne, est de lire dans les pensées.
_ Lire dans les pensée, répétai-je.
Nous nous tûmes un instant, réalisant tous ensemble ce que ça signifiait.
_ Chérie, me dit ma mère. Crois-tu que tu pourrais lire dans les pensées de Xana, pour savoir où est la tour que nous ne trouvons pas ?
_ Je... Je vais essayer.
Je fermais les yeux, et cherchait dans mon esprit le recoin ou se cachait mon pouvoir télépathique.

Flash.
Ils courent, ils courent, mais il semble que jamais ils ne courront assez vite. Le géant de fer les poursuit, refusent de les lâcher d’une semelle.. Il détruit tout le collège sur son passage.
« On ne va pas courir éternellement comme ça »Pense-t-elle.
Ulrich a vraisemblablement eu la même pensée, car il se tourne vers elle.
_ Il est collant ! T’as une idée ?
_ Nan !
« Il est marrant, lui ! Où veut-il que je trouve une idée pour se débarrasser d’un robot de deux mètre de haut. »
Elle propose :
_ Si on demandait à notre spécialiste des robots ?
...

_ Eh bien ? Demanda ma mère. Ca a marché ?
_ Non. C’était un souvenir à toi. Mais je crois avoir compris comment ça fonctionne.
Je posai un genou à terre, et mit mes deux paumes à plat sur le sol de Lyoko. D’autres images me venaient à présent. Jérémie évanouis, recroquevillé au milieu d’un scanner, Yumi tombant dans la mer numérique, Aelita se redressant, décidée à quitter son abri entre les pierre, « vous êtes près pour une dernière sortie ». Je repoussai ces images et continuai à chercher. Mon esprit se mit à flotter autour de moi, à errer dans Lyoko... Et soudain, « Il » m’attira en lui. J’étais devenue immense, puissante, haineuse. Détruire. Cibles prioritaires : Yumi Ishiyama, Jérémie Belpoix, Odd Della Robba, Ulrich Stern. Tour activée. Aimantation des particules d’eau. Stratégie, mort par noyade, brûlure, et destructrion des lieux de vie...
Je hurlai, en revenant en moi-même. A nouveau la douleur, plus fulgurante que jamais, et l’impossibilité d’avoir une pensée concrète.
Aelita et ma mère s’étaient agenouillée près de moi, m’appelant sans que j’arrive à leur répondre.
_ Je... J’ai trouvé la tour activé, parvint-je à dire avec effort. Elle se trouve à quelque degrés plus au nord.
Je n’avais plus aucune force. C’était une sensation extrêmement désagréable.
_ Nous y allons, dit ma mère. Repose-toi ici.
_ Non... Non...
Je refusai de rester en arrière. Je me concentrai à nouveau sur l’espace, et parvint à me relever.
_ Ca va, je peux vous accompagner. Vous avez besoin de tout le monde.
_ Alors dépêchons-nous, dit Odd.
_ Mais... Voulut protester ma mère.
_ Je vient d’avoir la radio. Dit la voix de Jérémie dans le haut parleur. Les golems d’eau créé par Xana font des ravages.
Cela décida ma mère à ne rien ajouter. Nous nous mimes à courir. Aelita et moi courrions en tête.
_ Vous alliez mieux ? Lui demandai-je sans ralentir ma course.
_ Oui, répondit-elle. Je n’ai plus mal. L’ennui c’est que justement, je n’ai plus aucune sensation.
_ Que se passera-t-il, après que vous ayez désactivé la tour ?
_ Il y aura un retour dans le passé, et je me retrouverais de nouveau dans mon corps malade.
_ Quoi ?
Je ne pouvais croire à ce qu’elle venait de me dire. Je refusai d’y croire. J’avais déclenché une catastrophe, juste pour qu’elle s’en sorte. Et tout cela ne servirais à rien. C’était trop injuste.
_ Vous m’aviez dit que rebrancher Xana vous sauverais à coup sûr ! M’exclamai-je, désespérée.
_ Pour cela, il aurait fallut que je puisse entrer dans le scanner avant que Xana n’attaque. Et ce n’est pas le cas.
_ Méga-tank en approche ! Fit la voix de Jérémie.
Aelita s’immobilisa. Je vis venir à nous deux énormes boules, plus grosses que voitures.
_ Jérémie, criai-je, c’est quoi, ces horreurs !
_ Tu va comprendre, dit ma mère en s’interposant entre moi et eux.
Elle ouvrit son éventail, et je constatais de près qu’il était armé de pointe. En face, l’une des deux boules s’ouvrit en deux, découvrant une structure semblable au corps d’une araignée sur lequel serait peint le symbole de Xana. Ma mère fit un gigantesque saut, comme elle serait incapable d’en faire dans la réalité et lança son éventail devant elle, comme un frisbee. L’éventail atteignit le symbole de Xana, et le Méga-tank explosa. D’une mains habile, ma mère rattrapa son éventail qui était revenu à elle comme un boomerang. Mais un mur de feu, jailli du deuxième méga-tank qui venait de s’ouvrir à son tour, la frappa de plein fouet. Je la vit se pixéliser et disparaître lentement.
_ Maman !
_ Elle s’est dévirtualisée, me dit Aelita, elle est retournée dans le monde réel.
Odd avait déjà bondi sur le deuxième Méga-tank avant qu’il ne se referme.
_ Salut, la bouboule, je t’ai manqué ?
Une flèche laser, jaillie de son poing, toucha le monstre en plein cœur. Celui-ci explosa. Les débris de l’explosion touchèrent Odd qui se dévirtualisa à son tour.
J’étais seule. Pas question de rester en place.
_ Venez, dis-je à Aelita, la tour est juste de l’autre côté de cette crête.
_ Ca y est, dit Jérémie, je la vois sur l’holomap. Faites attention elle est gardée par des Frôlions.
Nous franchîmes la crête, et aperçûmes la tour et les monstres qui la gardait. Les frôlions étaient des espèce de sac à pomme de terre munie d’ailes qui volaient en bourdonnant.
_ Je vais te demander d’attirer leur attention, me dit Aelita, pendant que je courrait vers la tour.
_ Lynne, me dit Jérémie. Leur laser enlève 20 point de vie par impact, et tu dois éviter le jet d’acide, tout comme les vapeur qui s’en dégage.
_ J’y vais, répondis-je.
Je courrais au devant des frôlions. Une boule de feu apparut dans le creux de ma paume. Je la lançais sur le frôlion le plus proche. Celui-ci se consuma et tout ses congénère piquèrent sur moi. Je trouvai tout de suite ces sacs à pomme de terre beaucoup moins drôles, du coup. Je courrus le plus loin possible de la tour, et me mis à lancer boule de feu sur boule de feu, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus aucun.
_ Aelita, appelai-je.
Je tentai de la contacter par télépathie, pour m’assurer qu’elle allait bien.

Flash...
Comme il pleut, d’un seul coup, comme le temps est gris. Est-ce elle qui à imprégné l’athmosphère automnale de son désespoir ? Dehors, les gens se pressent pour rentrer chez eux, les clients du café discutent bruyamment. Ils ne savent pas. Elle sert sa tasse de thé brûlante, dans ses mains froide. « Je ne pourrais jamais avoir d’enfant »
En face, Yumi semble embarassée, confuse. Instinctivement, elle s’est mise à dissimuler derrière la table son ventre déjà rond. Pourtant, qu’elle est belle, à présent qu’elle porte la vie en elle !
_ Je suis désolée, Aelita.
_ Tu n’as pas à être désolée.
_ Je le suis malgré tout.
Elle secoue la tête. Il ne faut pas que Yumi se sente responsable. Ce sera suffisamment difficile à expliquer à Jérémie.
_ Comprends-moi, continue Yumi, il a fallut plus d’un ans à Jérémie pour mettre au point le programme de matérialisation. Combien de temps lui faudra-t-il pour réparer le défaut qui t’empêche d’avoir des enfants ? Nous ne sommes plus au collège. Nous ne pouvons plus être sûrs d’être là quand il faut. Ulrich a son concours, et Odd commence une carrière qui nécessite tout son temps. Quand à moi... Je sais que ce n’est pas délicat de dire ça, mais... Je ne peut plus me permettre de prendre certains risques, tu comprends ?
_ Oui, plus que tu ne crois.
Elle se penche par dessus la table et pose la main sur le ventre rond de son amie.
_ Je ne demanderais pas à Jérémie de rebrancher le supercalculateur, même pour avoir des enfants. Ne te fais pas de soucie.
_ Je sais, répond Yumi. Mais Jérémie, lui, voudra le faire.
_ Je le retiendrais.
....

Je vis soudain une lumière blanche jaillir de la tour et m’envelloper toute entière.
_ Retour vers le passé. Fit une voix_ celle de Jérémie_ venue d’on ne sais où...

La première sensations qui me revint, c’est l’odeur familière du feutre qui couvrait les banquette de notre voiture. J’entendis le bruit du moteur, ressentit les vibrations. J’étais de nouveau allongée sur la banquette arrière, exactement dans la position ou je m’étais réveillée le matin même. J’ouvris les yeux. A travers la vitre, je vis la sortie d’autoroute, et le soleil qui se levait.
Encore un peu éblouie, je me redressais sur la banquette. Mes parents était silencieux, plus sombre encore que la première fois que nous avions pénétré ensemble dans cette ville.
Au volant, mon père regardait les murs des immeubles, intacts, rosés par le soleil levant.
_ Cette ville est tellement...
_ Petite acheva ma mère pour lui.
Je tordais le coup pour apercevoir une nouvelle fois le collège Kadic. Il semblait intact, et ne portait aucune trace de l’attaque qu’il avait subit.
C’était fini. Tout était fini, tout avait été réparé. Plus que fini, plus que réparé, tout avais été effacé, et personne n’en garderais le moindre souvenir. Ma mère avait branché la radio, mais aucune nouvelle dramatique ne venait perturber la paix de cette matinée. La météo annonçait du soleil.
_ Inutile de demander notre chemin, cette fois-ci, dit mon père, je connais le parcours.
Personne n’était mort. Personne n’avais péri durant l’attaque. Pourtant sa voix était sinistre. Aelita n’avais pas été sauvée. Ma mère le guettais du coin de l’œil. Je la sentais retenir derrière ses lèvres la foule de parole réconfortante qui aurait aidé mon père à surmonter son désespoir. Elle serrait les dents et se contenta de lui saisir la main, celle dont il s’étais servit pour rétrograder, et la conserver dans la sienne.
Je réalisai qu’ils ne se rendaient pas compte que je me souvenais de tout. J’eu envie de leur dire, mais je me retins. Ils avaient besoin, pour l’heure, de me croire encore endormie sur ma banquette. C’était insupportable de les voir si triste, a présent que je savais pourquoi.
Au détour de quelques rues, mon père trouva où se garer devant la clinique sainte Colombe. Nous allions y retourner, revoir cette chambre, cette femme si exeptionnelle, privée de tout ce qui fait la joie de la vie, les amis, la vieillesse tranquille, les enfant...
_ Papa. Maman. Appelai-je, alors qu’ils s’apprêtaient à descendre.
Ils arrêtèrent leur mouvement et se tournèrent vers moi. Ils avaient tous les deux les traits tirés, et ils étaient pâle. Un instant, j’hésitai à continuer. J’aurais préférer leur épargner ce que j’allais dire. Mais je savais qu’il le fallait.
_ Papa, Maman, il faut rebrancher le supercalculateur.
Pendant un instant ils ne réagirent pas. Je les laissais intégrer chacun de mes mot, comprendre ce qu’ils signifiaient. Puis je continuais.
_ Il faut rebrancher Xana. Pas seulement pour guérir Aelita de sa leucémie. Il faut le laisser brancher jusqu’à ce que Jérémie ait corrigé le défaut du programme de matérialisation. Elle a le droit d’avoir des enfants.
Mon père secoua la tête. Depuis treize, ils avaient du tourner le problème dans tous les sens, une bonne vingtaine de fois. Je ne pourrais rien leur dire qu’ils ne savaient pas déjà, je le savais, mais je devais les convaincre. Moi seule pouvais le faire.
_ Nous savons qu’elle y a droit, Lynne. Mais tu sais quelle vie nous menons. Ta mère est toujours entre la France et le Japon, quand à Odd, il a tout les jours un concert dans un pays différents. Si Xana attaque, Jérémie et Aelita seront seuls pour l’affronter, nous ne pourront jamais venir les secourir à temps.
_ Il y a moi, dis-je. J’ai l’âge d’entrer en pension au collège Kadic.
Ils ne répondirent ni l’un ni l’autre. Je m’efforçai de dissimuler à quel point j’avais peur de la voie sur laquelle je m’engageais. Je pris l’attitude la plus déterminée possible, la plus décidée.
_ Vous leur devez bien ça. Dis-je encore.
J’avais la gorge nouée.
Mes parents se regardaient, déconcerté. Ils n’étaient visiblement pas préparé à affronter cette situation. Treize ans de questionnement et de remord les avaient usés. Je sentais leur faiblesse. Pendant quelques instant trop brefs, ils avaient cru pouvoir sauver leur amie avant que Xana n’attaque, et à présent qu’ils avaient goûté à cet espoir, y renoncer leur était douloureux.
_ C’est hors de question. Dit simplement ma mère.
Elle se braquait. Elle se braquait parce qu’elle savais que c’était la solution, et qu’il lui était insupportable de l’admettre. Je lui parlais doucement, comme à une grande sœur, plutôt qu’à ma mère.
_ Tant que je serais là, il y aura toujours quelqu’un pour escorter Aelita sur Lyoko. Comme elle n’est plus dépendante du supercalculateur, Jérémie n’auras besoin de le brancher que pour faire les recherche qu’il ne peut pas faire sur un autre ordinateur. Et chaque fois qu’il aura besoin de le faire, il n’aura qu’à attendre que je sois à côté de lui, et il m’enverra sur Lyoko, immédiatement en cas d’attaque. Xana n’aura jamais le temps de réagir. Et, moi, je ne risquerais rien, puisque Xana sera débranché tout le temps ou je serai hors de l’usine.
Ma mère cherchait à répliquer, mais elle ne trouvais rien à me dire. Je ne lui laissait pas le temps de rassembler ses forces pour résister à mes arguments et continuais, toujours aussi doucement.
_ Vous me manquerez. Mais on se verra les Week-end, et vous viendrez me voir aussi. Vous pourrez en même temps rendre visite à Aelita et Jérémie, il est grand temps de vous réconcilier tous, la séparation vous rend malheureux, et je sais qu’elle les rend malheureux aussi.
Ma mère semblait ne plus rien vouloir dire. Elle refusai encore de dire oui, mais n’avais plus assez de volonté pour dire non. Mon père, lui, sembla revenir de sa stupeur première :
_ Lynne, dit-il, tu n’as aucune idée de ce que c’est. Plus jamais tu ne dormiras tranquille. Je sais, ce sera plus facile pour toi que cela ne l’a été pour nous, puisque Jérémie pourras choisir les moments ou il réactive le supercalculateur. Mais tu ne cessera de te demander « Est-ce que je suis vraiment à la hauteur ? Arriverai-je à la protéger demain ? ». Et il faudra mentir, mentir à tout le monde, à tes professeurs, à tes grand parents, à tes amis. Tu ne pourras partager cela qu’avec nous.
_ Je sais ce que c’est. J’ai lu dans vos souvenirs. Je sais que je ne pourrais plus jamais être tranquille, qu’il faudra sans cesse que je soit sur le qui-vive. Je sais aussi que si quelque chose tournait mal, j’en porterais la responsabilité toute ma vie... Je sais que ce n’est pas le monde que vous vouliez pour moi, vous auriez préféré que je grandisse dans un monde sans danger. Mais Papa, Maman, il n’y a pas de monde sans danger. Et Jérémie et Aelita ont déjà attendu treize ans. J’ai eu droit à une enfance paisible, grâce à leur sacrifice. Je leur doit de payer ma dette, et vous aussi.
Ils se regardèrent, puis ma mère parla, et je sus à son ton que j’avais gagné.
_ Ils nous attendent. Nous reparlerons de tout cela plus tard.

Je pars demain. J’ai un peu peur. Mais Odd m’a déjà indiqué tout les truc pour sortir du collège sans se faire pincer. Les médecins n’arrivent pas à s’expliquer la miraculeuse guérison d’Aelita, mais Jérémie a veillé à ce qu’il n’y ait pas trop de publicité autour de sa femme. J’ai demandé à ma mère la permission d’emporter dans mon sac la photographie de groupe où ils sont tous, adolescents. Elle me l’a cédée de bon cœur. Elle n’en n’a plus besoin, à présent.
Je vois bien que mes parents ne sont pas tranquilles, et je sais combien ça leur coûte de me laisser partir. Mais Jérémie et Aelita ont fait un sacrifice semblable pour eux et ils le savent. Ils se séparent de leur fille, mais ils ont retrouvé deux amis, et je sais que plus rien ne brisera cette amitié, à présent. Je suis le lien, le ciment, celle qui les a tous réuni.
Voilà. Je ne dirais rien de plus. Ni la ville ou je vais, ni le nom de scène de Odd, que vous connaissez tous sans le savoir. Je m’appelle Lynne. J’ai treize ans. Si j’ai raconté cette histoire, c’est pour que vous sachiez que vous n’avez rien à craindre. Le temps de la relève est arrivé.

Fin de l'histoire.